Par delà cette double surprise, l’ouvrage de Camille Fabre nous apporte un vibrant témoignage des rudes combats qu’il a menés pour faire prévaloir les valeurs de l’anarchisme libertaire et du communisme dans cette période de la III° République.
Durant la première partie (1874-1914) il fait l’expérience du prix à payer dans une famille marquée par la pauvreté. À douze ans il est à l’école des frères à Beaulieu. Bon élève il est recruté pour le noviciat des frères. Au terme de six ans il se libère des contraintes de sa “prison religieuse“. Il rejoint sa mère et son frère Henri à Paris. Il se place comme domestique et découvre le luxe de la richesse. Congédié il se retrouve chômeur avec Henri. Allant de ville en ville ils vivent de la chine où Henri avec son expérience d’employé de commerce excelle. À 20 ans Camille s’engage pour trois ans dans la vie militaire qu’il aborde d’une manière sympathique avant d’en être dégoûté par l’usage des procédés brutaux de la hiérarchie. Toutefois au cours de cette période, à la suite de trois conférences de Sébastien Faure, le fondateur du Libertaire, il s’engage dans l’anarchisme libertaire. C’est le tournant radical qui oriente désormais toute son existence. “Je fuyais la vie militaire comme j’avais fui la vie religieuse“. Il se retrouve chômeur et reprend sa vie de chineur. Dans ce temps d’anar-chineur il fait la mauvaise rencontre à Limoges d’un candidat à “la reprise individuelle“ qui l’entraîne dans une opération de cambriolage avec profanation de l’église de Bugeat. Elle se termine par sa condamnation à dix ans de réclusion et vingt d’interdiction de séjour. Cette très lourde sanction et les six années passées dans les deux bagnes “maison de force et de correction“ forgent son sentiment de révolte à l’égard de la “morale bourgeoise“. En quittant cette nouvelle prison, avec l’aide de son frère, devenu éditeur et un réseau d’amis anarchistes il reprend son métier de colporteur. Très vite les liens qu’il tisse avec un groupe d’anarcho-syndicalistes de Nancy le conduisent à s’installer sur un terrain pour fonder une communauté agricole où il édifie la cabane qui lui tient lieu d’habitation. Il collabore régulièrement au bulletin hebdomadaire créé par ses amis nancéiens Le Cri populaire. Au cours d’un colportage il rencontre Louise à Tours qui l’accompagne à Nancy. Lorsqu’elle attend un enfant ils quittent la cabane pour s’installer à Neuves-Maisons où il s’établit comme marchand de vins avec l’aide financière de son frère. Comme il l’écrit lui-même son livre aurait dû s’achever là, “le cri d’une conscience individuelle qui sait être l’écho du sentiment profond des innombrables victimes des iniquités sociales“. Mais “le coup de tonnerre de la guerre mondiale“ a modifié le cours de ses réflexions.
Dans la seconde partie de l’ouvrage (1914-1944) Camille Fabre, dans sa quarantième année, “pour suivre délibérément l’élan national qui animait le peuple français“, signe un engagement pour la durée de la guerre. Très vite pour sortir de l’ennui et de l’inaction du soldat il se porte volontaire pour suivre des pelotons d’instruction et se retrouve au bout de deux ans avec le grade de lieutenant. En quelques pages il fait une description particulièrement féroce du milieu de la hiérarchie militaire où il a du mal à réprimer sa révolte. En novembre 1916, au cours d’une école de perfectionnement dans le maniement d’une grenade il est victime d’un terrible accident. Il en sort invalide amputé d’un bras, borgne et demi sourd.
Réformé avec une invalidité à 95 % il termine la guerre au sein de sa famille installée à Montreuil depuis le début de la guerre et vivant chichement d’une petite épicerie. C’est à nouveau son frère, éditeur d’un hebdomadaire pamphlétaire Les Hommes du Jour qui vient à son secours. Bien que leurs idées politiques ne concordent plus Henri lui confie la charge d’administrer une nouvelle publication Le Journal du peuple. Publiant sous le pseudonyme Fambreille, Camille se détache très vite de la ligne éditoriale de son frère et fonde l’Almanach du peuple. Il s’installe en grande banlieue pour suivre l’instruction de ses deux filles et crée un cabinet de contentieux “l’Entraide juridique“. Ses engagements politiques au comité directeur de l’Association républicaine des anciens combattants (l’ARAC) et à la section parisienne de la SFIO le ramènent très vite sur Paris. Sa vie militante est “celle du révolté qui devient révolutionnaire“ et pour reprendre son opposition au régime de la bourgeoisie, il abandonne ses camarades anarchistes pour s’inscrire à la section socialiste de son domicile. Après le congrès de Tours en “fervent admirateur des artisans de la victoire prolétarienne en Russie“ il s’engage dans le parti communiste naissant. Son besoin et son goût de l’action le conduisent à multiplier ses activités militantes à la Fédération des locataires, à l’Union des coopérateurs, au Secours rouge international. En 1925 il est porté sur la liste du parti communiste comme candidat à la municipalité de Clamart. Pour subvenir aux besoins familiaux et toujours avec l’appui de son frère il est correcteur dans une imprimerie. Mais en 1933 il se résigne à prendre une semi-retraite dans une maison qu’il a fait construire à étampes. Tout en partageant le plaisir de la lecture et du jardinage il rédige chaque semaine un bulletin dans l’hebdomadaire L’étampois. Ce qui lui valut d’être sollicité par l’Union locale des syndicats pour tenir une permanence afin d’aider ses camarades syndiqués dans leur lutte contre leurs exploiteurs. Sa santé ébranlée par une congestion pulmonaire l’oblige à quitter étampes avec sa famille durant l’hiver 1940-1941 pour trouver asile et repos chez son gendre Alphonse Barbé, marchand forain et anarchiste libertaire. À quelques kilomètres de Falaise il achète une chèvrerie qu’il tentera de partager avec une associée. Il clôt son manuscrit le 17 mai 1944 et mourra en décembre 1945.
Pour suivre son itinéraire dans cette seconde partie Camille Fabre s’adresse familièrement à son lecteur pour lui faire partager ses réflexions et analyses des courants idéologiques et politiques de l’entre-deux-guerres. Au terme du parcours la fascination devant la fidélité aux engagements libertaires et communistes l’emporte sur toute autre considération.
Alain Carof