Les premières rencontres de la forêt qui se sont tenues fin juillet 2018 sur le Plateau durant une semaine ; l'opposition et la contre-opposition qui se sont manifestées en août 2018 autour du projet d'usine à pellets ; le dossier de ce numéro d'IPNS (pages 7 à 10) ; le film de François-Xavier Drouet, Le Temps des forêts, en sortie nationale le 12 septembre 2018... La question forestière prend une place de plus en plus importante dans les débats locaux. Petit compte-rendu des rencontres.
Diverses associations et collectifs, venus des quatre coins de France, et des habitants d'ici et d'ailleurs, se sont retrouvés sur le site de l'ex-colonie de vacances EDF du Chammet (sur la commune de Faux-la-Montagne), du 23 au 29 juillet 2018. Sur ce site abandonné depuis une dizaine d'années, ils se retrouvaient pour agir ensemble et d'échanger sur les questions que soulève l'industrialisation forestière croissante.
L'implantation de ces rencontres au Chammet, magnifique site de 13 hectares, est un choix, une alerte, pour ne pas laisser à l'abandon ses innombrables structures aujourd'hui délabrées (piscine, terrain de foot, centre équestre, immense gymnase, base nautique de canoë-kayak, restaurant, hébergements pour 180 enfants, etc.), fantômes d'un passé révolu d'abondance et de luxe et témoins de la décadence d'une société de consommation des loisirs.
Les leçons d'autres luttes
L'objet de ce rassemblement était de renforcer l'opposition au projet d'implantation de l'usine de pellets torréfiés de Bugeat/Viam - CIBV - en s'appuyant sur les expériences et luttes menées sur d'autres territoires – et elles sont nombreuses ! Il s'agissait également de proposer d'autres approches de la forêt, concrètement, sur le terrain, par des visites de parcelles autour du lac Chammet, à Gentioux, à Lachaud, à Bugeat, présentées par des techniciens, ingénieurs ou enseignants, qui ont montré des exemples d'une gestion autre que le modèle productiviste de plantations en ligne et de coupes rases à court terme. Des sorties naturalistes, botaniques, herboristes, une sortie “chasseur-cueilleur“, des ateliers lecture, des discussions, des films, des exposés et conférences ont enrichi la réflexion et permis de présenter d'autres visions de la forêt. Ces rencontres ont rassemblé de 30 à plus de 100 personnes selon les sujets proposés.
Durant cette semaine, les différentes associations œuvrant dans leur région contre l'exploitation démesurée des forêts ont exposé l'historique de leurs luttes souvent menées depuis de nombreuses années - de recours administratif en cours d'appel - et de leurs moyens d'action. Leurs victoires juridiques sont des leçons de persévérance, de ténacité, de solidarité et ouvrent des portes à d'autres possibles, après annulation des projets.
La tour de la discorde
Il y avait aussi dans ces rencontres un appel particulièrement bienveillant à la reprise en main de façon réfléchie et constructive de notre territoire, de nos vies, en lien avec tous ceux qui commencent à reconstruire ailleurs un monde plus solidaire et pour lesquels apprendre et transmettre les savoir-faire sont des priorités. Ainsi le collectif Abrakadabois venu de la zad de Notre-Dame-des-Landes pour encadrer pendant la semaine l'atelier-construction d'une tour de guet qui fut érigée face au site de CIBV le jour de la clôture des rencontres le dimanche 29 juillet 2018. La destruction de la tour par des défenseurs du projet CIBV 3 jours après sa construction montre à quel point il y a incompréhension entre différentes visions du monde et du développement du territoire. On n'en continue pas moins à croire qu'il est possible de stopper cette fuite en avant vers un productivisme effréné et de voir émerger une réelle prise de conscience. Tout semble tellement fragile et prêt à s'écrouler autour de nous, qu'il faudra de toute façon se rassembler et s'entraider. À l'issue des rencontres de la forêt un appel a la mobilisation à été lancé sous le titre “De la Montagne limousine et partout en France, phase 1 du plan vigie-pellet“ (à lire ici : https://bit.ly/2Cj6Ay5).
Jackie Garreau
- Des soutiens venus des 4 coins de France
Après la destruction de la tour de guet montée en résistance au projet de l'usine à pellets, de nombreuses associations qui ont participé aux rencontres de la forêt ont manifesté leur soutien à la lutte contre CIBV. Adret Morvan (2000 adhérents dans le Morvan) a dénoncé “les coups de force de quelques-uns qui croient défendre les emplois, alors qu'ils se font manipuler.“ SOS Forêt France renchérit : “Tous ceux qui croient les discours des politiques sur l'emploi se trompent. Plusieurs autres grands projets liés à la biomasse forestière le démontrent. La ruée sur la matière première bois affectera d'autres emplois existants.“ D'autres messages, de SOS Forêt du Sud, d'Anor Environnement, de l'association pour la restauration et la protection de l'environnement naturel du Tonnerrois ou d'Impact 33990 (Gironde), prouvent que sur le sujet de la biomasse forestière les luttes se ressemblent... et s'assemblent !
- Le temps des forêts
Sous ce titre François-Xavier Drouet présente un état des lieux de la forêt française vu du côté de ceux qui espèrent et défendent une forêt qui ne soit pas qu'une ressource de matière première à exploiter. Après une longue séquence sur le Plateau, le film nous emmène dans le Morvan, dans les Landes et dans l'Est de la France. On y croise des agents de l'ONF en révolte, un sylviculteur cynique dans les Landes, une association de citoyens dans le Morvan et même Alain Rousset, président de la région Nouvelle Aquitaine qui fait l'éloge de la forêt industrielle. Du côté des professionnels, la Fédération nationale du bois présente le film dans sa dernière newsletter avec une certaine méfiance et annonce : “Afin d'avoir des réponses à formuler sur ce type d'initiative et contrer les idées reçues, nous travaillons à la mise en place d'outils de communication pédagogique et à des partenariats avec des scientifiques qui pourraient donner une caution nécessaire aux messages que porte la filière.“ Le film sera diffusé lors de la fête de la Montagne limousine.
Le chant du monde … c'était mieux avant !
Ce qui suit n'a pas grand chose à voir avec la sylviculture, l'économie, les luttes pour un environnement sain et beau. C'est plutôt de la poésie, en réalité de la philosophie. Philosophie de la vie, on l'oublie trop souvent, les arbres sont vivants, avant d'être morts. Et comment meurent-ils ?
Tenez, cette histoire de mort d'arbre, un peu triste. Du temps où il n'y avait pas encore beaucoup de résineux chez nous, et où les feuillus commençaient à gêner. “Le diable est dans les détails“ écrivait Nietszche, en voici une illustration.
“La nuit. La rivière roulait à coups d'épaules à travers la forêt, A. s'avança jusqu'à la pointe du champ. D'un côté l'eau profonde, souple comme du poil de chat, de l'autre les hennissements du gué. A.toucha le chêne, il écouta dans sa main les tremblements de l'arbre. C'était un vieux chêne plus gros qu'un homme de la Montagne, il était à la “belle pointe“, et déjà, la moitié de ses racines sortaient de terre.
- ça va ? demanda A.
L'arbre ne s'arrêtait pas de trembler.
- non dit A., ça n'a pas l'air d'aller.
Et A.flatta doucement l'arbre avec sa longue main“ (librement adapté de Jean Giono, “Le chant du monde“.) Est-ce ce genre d'aventure qu'ont connu nos feuillus quand il fallait faire de la place ? Regardez bien l'image. C'est beaucoup plus beau qu'une coupe rase, pas difficile. Et pourtant, ces arbres rabougris meurent doucement en attendant de laisser le champ libre aux planteurs. Une lente agonie commence. Deux cercles à la tronçonneuse, afin d'atteindre le cœur de l'arbre ; la sève ne monte plus. Les petits frères plus loin ont subi le même sort. Tout ça pour éviter de les couper proprement. Pas de rémanents, le sol restera propre pour accueillir d'autres sapins, qu'on distingue au loin. Et les oiseaux disparaîtront, les insectes aussi. C'est vu du côté de Nedde et Beaumont. Cela n'a pas la gravité d'autres traitements qu'“on“ s'apprête à faire subir aux forêts du plateau, du côté de Viam. Et pourtant cela donne aussi une sale idée de ce que l'homme peut inventer pour tuer.
Les deux Michel, alias Ricou et Emile.