René Bonnet est né à Paris, le 9 mai 1905 de parents qui avaient quitté autour de 1900 leur Limousin natal pour échapper au chômage frappant le métier de son père, scieur de long, et dans l’espoir de « changer la vie », comme tant de migrants de l’intérieur. Ce petit rappel de l’attraction par le mirage d’une vie meilleure n’est pas inutile en toile de fond de l’histoire d’un ouvrier qui a toujours voulu rester fidèle à ses origines et à sa classe. C’est en bas âge que le petit René fut confié à ses grands-parents en Corrèze où il demeura jusqu’à l’adolescence, son récit Enfance limousine évoque ces années heureuses.
Puis ses parents le rappelèrent à Paris pour qu’il entre en apprentissage dans l’entreprise de charpente où son père était devenu manœuvre et où lui-même accomplira toute sa carrière. À l’école de la vie conte son apprentissage et ses premiers travaux sur le terrain. Il nous informe aussi des premières lectures qui vont orienter sa vie future : Barbusse et sa revue Monde, Romain Rolland, Jack London, Gorki, Martinet, Vildrac, Duhamel, Guillaumin. Le volume se referme à la fin des années 1920-1928, à la veille de son mariage, le 13 novembre 1929. Une petite fille en naîtra, Françoise, qui deviendra professeur et rédigera une thèse sur la littérature ouvrière allemande. C’est à la même époque qu’un camarade de travail fit lire à Bonnet des œuvres d’Henry Poulaille avec lequel il entra en contact, par lettre en 1931, puis par une première rencontre en 1932. Ce sera le début d’une amitié sans faille que seule la mort de Poulaille, de neuf ans son aîné, interrompra. Poulaille encouragea Bonnet à écrire, lui donna des conseils, un peu comme Marcel Martinet l’avait lui-même encouragé à ne pas tenter d’imiter les écrivains bourgeois mais à travailler à l’expression de sa propre expérience d’homme du peuple et d’ouvrier.
Dans un certain nombre de journaux d’intérêt régional, dans quelques petites revues ouvrières et deux journaux nationaux (le Peuple, la Flèche), Bonnet publia des contes, des comptes rendus de lecture et des études. Ainsi son témoignage sur « le Musée du Soir », la bibliothèque populaire fondé avec Poulaille et quelques amis, qui fut la grande aventure militante de sa vie, et qui sera stoppée par la guerre. Parmi les amis de Poulaille, Bonnet se lia notamment avec Lucien Bourgeois sur qui il publiera une première étude en juillet 1934. Mobilisé comme réserviste, il sera fait prisonnier en juin 1940 et passera les années suivantes dans un camp près de Düsseldorf. Il en ramènera des souvenirs restés inédits, mais dont deux extraits parus fin 1945 dans l’ultime revue de Poulaille, Maintenant, sont repris dans cet ouvrage. Par ailleurs le dernier numéro de Maintenant, consacré au centenaire de la Révolution de 1848, présentera une étude historique de Bonnet sur « Agricol Perdiguier, militant du compagnonnage, représentant du peuple et ouvrier écrivain ». Dans les années d’après-guerre, Bonnet collaborera aux Cahiers du Peuple de Michel Ragon. Il apparaîtra une dizaine de fois, entre 1957 et 1962 dans le Musée du Soir des frères Berteloot, qui reprirent ce titre après une parution parisienne puis six livraisons belges, aventures éphémères auxquelles Bonnet avait déjà participé. On trouve dans ces années-là le nom de René Bonnet dans de multiples petites revues prolétariennes.
En 1960, paraît sa Petite histoire de la charpenterie et d’une charpente. C’est qu’entre-temps, durant toutes ces périodes de rencontres et d’activités littéraires, René Bonnet n’a pas quitté l’atelier ni les dangers de la charpenterie. Sa connaissance du métier s’est élargie. Devenu ouvrier d’élite, il a voulu transmettre son savoir aux jeunes ouvriers qu’il a été amené à former. Nostalgique du compagnonnage auquel il n’a pas appartenu, il s’est fait un devoir de transmettre son expérience. Ce petit livre tout à fait attachant est rédigé comme un manuel d’apprentissage. Mais c’est aussi le testament d’un ouvrier qui lègue son savoir aux générations futures, quoique déjà, en 1960, il ne se fasse pas d’illusion sur l’avenir du métier : la mécanisation et ses prolongements, les contraintes économiques pesant sur la production, ne lui ont pas échappé et l’ouvrage se termine sur une note guère optimiste. Édité par les compagnons, ce livre peut être regardé comme un manifeste de la conscience professionnelle.
René Bonnet, issu de la civilisation paysanne traditionnelle est devenu un ouvrier d’élite grâce aux qualités humaines et sociales transmises naturellement par ses ascendants paysans-artisans. Ce sont leurs valeurs qui l’ont porté au sommet de son art dans la charpente. En littérature, il a produit de même des textes artisanaux qui ont la marque profonde des véritables écrits prolétariens. Il n’a cherché ni le style, ni l’effet, ni la notoriété, ni le gain. Bonnet, comme Jean Prugnot avec lequel il a bien des points communs et dont il fut l’ami, a été un des rares militants du refus de parvenir si cher à Poulaille. Pour les historiens du futur, ses livres seront des documents bruts d’un grand intérêt pour la compréhension au XXème siècle de l’histoire des métiers, des fondements ouvriers de la société moderne et de la vie quotidienne des ouvriers. Veuf depuis 1968, René Bonnet s’est éteint le 21 août 1988 à Paris.
René Bonnet, À l’école de la vie précédé de Enfance limousine, préfaces de Lucien Gachon et de Jean Prugnot, éditions Plein Chant, 2020, 320 pages, 18 €.