Ces Assises de la Forêt et du Bois en Limousin, organisées par Fibois Nouvelle-Aquitaine, l'interprofession régionale de la filière Forêt Bois Papier, réunissaient différents acteurs de la filière. Représentants de coopératives forestières et d’usines de transformation du bois, élus locaux, représentants syndicaux et associatifs étaient invités à « une journée d’information et d’échanges autour de la forêt, du bois et de l’impact du changement climatique [...] placée sous le signe du dialogue ». Canopée, très engagée pour la protection des forêts en Limousin n’a pourtant pas été conviée, malgré sa demande de participation. Elle s’est donc invitée en déployant une banderole sur le bâtiment accueillant le rassemblement. « Coupes rases : on ne se taira pas » pouvait-on y lire.
Fondée en 2018, Canopée est devenue en quelques années une association de premier plan sur les questions de défense des forêts. Elle a fortement contribué à mettre en lumière au niveau national les problématiques autour de la gestion forestière en Limousin. Elle était présente par exemple, lors de la mobilisation à Tarnac pour défendre le Bois du Chat de la coupe rase. Canopée s'était également mobilisée lors de la manifestation du 5 octobre contre les projets Biosyl et Farges qui avait réuni entre 2 000 et
3 000 personnes à Guéret.
Ces dernières années, en effet, le contexte autour de la gestion sylvicole en Limousin s’est tendu. À tel point que Fibois Nouvelle-Aquitaine organise des formations de
« gestion des situations conflictuelles en forêt » car les professionnels de la filière subiraient « des attaques, des agressions verbales, parfois même physiques, lors de rencontres avec des élus, des promeneurs ou des militants écologiques mécontents des actions menées par ces professionnels ». Ces formations visent notamment à « s’approprier les éléments de langage élaborés par l'interprofession » peut-on lire sur le site de Fibois.
Au niveau national également, la situation est conflictuelle entre une partie de la filière et les défenseurs des « forêts vivantes », opposés aux coupes rases et à un modèle de gestion sylvicole industriel. En août dernier, l’interprofession nationale France Bois Forêt et 12 autres organisations de la filière ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris, visant à faire annuler l’agrément dont dispose Canopée au titre de la protection de l’environnement.
Octroyé fin 2023 par le ministère de la Transition écologique, l’agrément d'association de protection de l'environnement permet à Canopée de bénéficier de certaines prérogatives pour agir en justice et de siéger dans des instances consultatives, comme le Conseil supérieur de la forêt et du bois. Selon les initiateurs de la procédure d’annulation, Canopée inciterait au harcèlement, mènerait des « campagnes calomnieuses » et serait présumée impliquée dans des délits, notamment des « violations de propriétés privées » ou « des menaces de mort. »
« Ils essayent de construire un faisceau d'indices en disant ils sont méchants, ce sont des éco-terroristes », réplique Bruno Doucet, chargé des campagnes « forêts françaises » chez Canopée, ils nomment plein d'actions pour lesquelles on n'a jamais été condamné. La dernière procédure en date, c'est celle de Monsieur Ribes, l’ancien président de Fibois Nouvelle-Aquitaine et ancien dirigeant de la société d'exploitation forestière Argil. Il dit qu'on l'a injurié parce que dans une vidéo, on est allé sur une de ses coupes rases qui fait 50 hectares, à l'entrée de Meymac, et on a dit que c’est un « président-gredin ». Il a perdu son procès. Et malgré tout, c'est une procédure qui est utilisée dans le dossier de retrait de l’agrément pour dire, éregardez, il y a plein de procédures contre Canopée ».
Pour justifier leur demande d’annulation de cet agrément, les organisations de la filière bois s’appuient également sur l’argument selon lequel certaines conditions d’octroi ne seraient pas remplies. « Le principal argument, c’est qu'on n'aurait pas autant de membres que ce qu'on prétend, explique Bruno. Ils pensent qu'on n'a pas vraiment près de
4 000 membres, parce que c'est arrivé très vite : alors que ce sont des vrais membres dont la liste a été vérifiée par la préfecture ».
Selon Bruno Doucet, cette demande d’annulation vise avant tout à « faire taire » l’association : « Avant, la filière disait » vous ne pouvez pas faire partie des discussions parce que vous n'avez pas cet agrément ». Maintenant, qu'on l'a, ils attaquent notre agrément pour qu'on le perde. Donc le problème, ce n'est pas qu’on l’ait ou qu'on ne l'ait pas : c'est juste qu'ils ne veulent pas qu'on soit là ».
Bruno Doucet dénonce plus largement une multiplication des procès qu’il qualifie de « procédures-bâillons ». Cette accumulation de poursuites entrave le travail de l’association : « Je vais au commissariat environ une fois par mois, explique-t-il, c'est très facile pour la filière de porter plainte : c'est gratuit et ils savent qu'ils sont plus nombreux. À côté de ça, d'une certaine manière, ça nous épuise et ça nous empêche de faire notre travail ».
L’association mène elle aussi des attaques en justice. Elle entend notamment contester les « Schémas régionaux de gestion sylvicole » de l’État, qui définissent les règles de gestion pour les forêts privées (dans le Limousin, 95 % des parcelles forestières appartiennent à des propriétaires privés). Canopée les accuse de ne pas être assez prescriptifs sur les questions de biodiversité.
Canopée, qui travaille aujourd'hui avec plusieurs avocats indépendants, attend l’arrivée prochaine d'un juriste au sein de son équipe : pour faire face à cette accumulation de procédures judiciaires.
Eloi Boyé