Élections municipales : Quand certains réclament plus de démocratie, d’autres ont peur de perdre le pouvoir

Date
dimanche 1 juin 2014 16:29
Numéro de journal
47
Auteur(s)
Jean-François Pressicaud
Michel Ponchut
Michel Patinaud
François Christin
Mike Evans
Visite(s)
5140 visite(s)

Quelques semaines après les élections municipales, le recul nous permet d’apprécier les résultats plus sereinement que lors de leur proclamation, moment où la surprise et l’émotion parasitaient la réflexion.

Des résultats difficiles à interpréter

La plupart des listes n’affichant pas de couleur politique, déterminer qui se cache derrière des titres comme “ensemble pour...“, “bien vivre à ...“, “solidaires et dynamiques“, “union et rassemblement“, ou “défense des intérêts communaux“, exige d’être très au fait des relations sociales (familiales, politiques, économiques, interpersonnelles) dans chaque commune.
Une grille d’interprétation qui ne prendrait en considération que l’appartenance politique serait donc  inopérante dans les petites communes. Même dans le cas de listes bloquées (commune de plus de 1000 habitants), les enjeux locaux, les conflits de personnes brouillent souvent la compréhension des résultats. Ainsi en est-il en Creuse de Ste Feyre et de Felletin. À Felletin, la liste majoritaire a certes bénéficié des votes de la vieille droite felletinoise, mais sur les trois adjoints, deux sont nettement marqués à gauche et un conseiller est encarté au PS. Quant à la sénatrice Renée Nicoux, elle ne revendiquait pas pour sa liste l’étiquette de gauche, ni à fortiori PS, mais la qualifiait seulement “d’ouverte“. Et beaucoup de ses membres n’affichaient pas d’appartenance politique.
 

Ici comme ailleurs

Le premier constat  n’est guère original. Il consiste à remarquer que les tendances observées au niveau national se retrouvent en Limousin : 
- la désaffection vis-à-vis du gouvernement et du PS y est aussi marquée qu’ailleurs ; la défaite d’Alain Rodet à Limoges est emblématique et a eu un retentissement national. Mais Brive, Ussel, Argentat, Bellac sont également passées à droite, alors que Guéret et Tulle maintenaient leur ancrage à gauche (cf. lettre de Démerliat aux militants) ;
- le vote protestataire, avec notamment des scores inhabituels pour le Front National, traduit l’atmosphère pessimiste et agressive qui transpire un peu partout dans la société française (ex : les Bonnets rouges en Bretagne).
 

Néo – natifs : le retour

Mais, ce qui est plus surprenant, particulièrement dans la Montagne limousine, c’est le retour, avec une intensité inconnue jusqu’alors, du vieux conflit entre néo-ruraux et habitants de souche.
Dès les années 1970, cette opposition s’était développée avec des différences notables selon les communes (voir texte de Mike Evans). Il semblait pourtant que, depuis cette époque, les choses s’étaient largement calmées. Dans les années 1990, on avait assisté ça et là à l’entrée de néo-ruraux dans les conseils municipaux et, malgré la tendance à l’augmentation de leur nombre, il semblait que leur arrivée ne suscitait plus la même méfiance que dans les années antérieures. On aimait à penser que le caractère généralement plus préparé et mieux adapté au pays des nouvelles installations, ainsi que l’appréciation plus positive portée sur elles par la majorité des élus locaux, nous conduisait vers l’apaisement et la cohabitation sereine.
Las, il a suffi qu’en 2014 les néo-ruraux apparaissent comme une force qui s’organisait (cf. “Propositions pour une plate-forme commune de la Montagne limousine“, IPNS n° 46) pour que leur aspiration proclamée à la démocratie directe soit vécue comme une volonté de prise de pouvoir à laquelle il fallait s’opposer.
Selon les communes, les conflits n’ont pas pris la même forme, mais on retrouve à Gentioux, à Rempnat, à Eymoutiers, à St Frion et certainement ailleurs, une opposition entre habitants de souche et néo-ruraux. 
Une approche plus fine montre que les deux catégories de populations ne sont pas homogènes ; alors qu’une partie des autochtones apprécie la présence des “jeunes“, une autre se gausse des “baboss“, et les plus virulents voudraient bien se débarrasser de ces “même pas propriétaires“. Du côté des néo-ruraux, si beaucoup s’intégrent en travaillant à la pérennisation de leur installation, certains choisissent un mode de vie plus marginal, tant sur le plan économique que dans le domaine culturel ou celui de la vie quotidienne, ce qui entretient les incompréhensions. La recherche d’un mode de vie collectif contribue à les éloigner d’un fonctionnement traditionnel. Il reste que la violence des réactions à l’encontre des néo-ruraux, qui a sans doute atteint son paroxysme à Gentioux, mais est aussi perceptible ailleurs, justifie une analyse approfondie.
 

Du dejà vu

Il nous semble qu’il y a des composantes habituelles, déjà existantes dans les années 1970, et des éléments plus récents qui expliquent la virulence des oppositions.
Dans les facteurs déjà connus, la première composante est résumée par l’inscription relevée à Gentioux en 2014 : “Laissez-nous mourir en paix“. On peut interpréter de la manière suivante cette prière, déjà entendue en 1978 dans une autre commune : “Nos enfants sont partis, nous les avons encouragés au départ car nous savions qu’il n’était pas possible de faire sa vie ici, et ce n’est pas vous, qui n’êtes même pas nés ici, qui allez nous prouver le contraire. Nous aspirons au calme et à la tranquillité, et votre agitation nous dérange“.
En second lieu, la question du travail peut être discriminante ; alors que dans la société traditionnelle, le travail est la première valeur (on respecte “ceux qui bossent“ et on méprise les “fainéants“), il n’a pas du tout la même place chez les néo-ruraux, même si beaucoup d’entre eux ont fait leurs preuves comme travailleurs compétents et courageux.
La troisième composante concerne les aspirations culturelles : les loisirs des uns, la chasse, la pêche, la belote,  ne sont pas ceux des autres qui préfèrent la musique, le théâtre, le ciné ou l’ornithologie. Les occasions de rencontres sont en conséquence peu nombreuses. Un travail comme celui de Guy Alloucherie1 à Faux la Montagne prend ici tout son intérêt. La distance culturelle se cristallise aussi sur des thèmes comme le féminisme, la liberté sexuelle, les habitudes vestimentaires ou capillaires.
 

Le vrai visage du problème

blaireau2Mais il nous semble que deux éléments ont pris ces derniers mois une importance primordiale dans le conflit actuel : ils concernent la propriété et le pouvoir.
Concernant la propriété, lorsqu’on lit dans la Plate-forme “s’accorder le pouvoir de contrôle sur l’avenir du foncier et du bâti en se dotant d’outils spécifiques (droit de préemption...)“, on ne peut s’étonner des réactions négatives, surtout si on se souvient que, dans les années 1990, Marcel Boucaud avait mobilisé beaucoup de monde autour de Royère de Vassivière, grâce à une association, l’Adir (Association de défense des intérêts ruraux), opposée à la création du parc naturel régional, suspecté d’attenter à la propriété privée et au droit de chasse. Sur le plateau, la propriété est toujours censée donner la liberté et faire les vrais hommes !
Pour ce qui est du pouvoir, on peut constater que les néo-ruraux ont eu une attitude volontariste au cours de ces élections municipales ; ils se sont présentés comme une force montante susceptible de bousculer les habitudes de résignation et de fatalisme. Certains locaux ont interprété cette attitude comme un appétit de pouvoir qu’il fallait contrecarrer.
 

Cohabitation impossible ?

Les meilleurs exemples de cohabitation fructueuse entre néo et autochtones concernent les communes où les néo ont attendu qu’on vienne les solliciter pour entrer dans les conseils municipaux au milieu de gens du cru (Faux la Montagne) ou ont fait un long travail en amont pour aboutir à des candidatures mélant nouveaux et anciens habitants (Tarnac). L’exemple du maire du Chefresne, dans la Manche, qui a créé un comité de village dans sa commune (cf. IPNS n° 45) va aussi dans ce sens : non candidat, il a néanmoins été élu au conseil municipal, et on lui a proposé le poste de maire ! Il s’est donc retrouvé en position de force pour avancer son fonctionnement alternatif.
D’autres réactions, sans doute plus minoritaires, peuvent avoir contribué à accentuer la fracture ; il en est ainsi de l’attitude vis-à-vis de la règle, du droit ; il semble que quelques nouveaux installés aient proclamé haut et fort qu’ils ne se préoccupaient pas de la légalité, que seule comptait la légitimité, c’est-à-dire la cohérence avec les objectifs que se donnait le groupe. Il y a là de quoi effrayer bien des conformismes !
Cette tentative d’analyse, certainement incomplète, maladroite, et à nuancer selon les réalités locales, voudrait placer le débat sur un terrain rationnel et dépassionné ; il ne s’agit pas de chercher des coupables, de désigner les bons et les mauvais, mais de tenter de dépasser des conflits dont l’intensité a outrepassé quelquefois les limites du raisonnable.
L’avenir de notre territoire passe par la recherche patiente de synergies entre les différentes catégories de population et non dans leur affrontement stérile et paralysant.
 
Jean-François Pressicaud
 
1- Guy Alloucherie, est intervenu à Faux la Montagne la première semaine de décembre 2013 et a présenté son travail le 7 décembre (film et photos des habitants de Faux).
 
Pas de sauveur suprême !
Le regard de Michel Ponchut, conseiller général du canton d’Eymoutiers sur les dernières élections municipales.
Nous avons relevé dans cette campagne quelques petites phrases qui ne peuvent que nous inquiéter : je cite : ”nous avons échappé à Eymoutiers à une liste estampillée plateau”... Attention : les circuits courts sont estampillés plateau ! Il en est de même pour le marché du samedi matin place Jean Jaurès, le Parc naturel régional est aussi estampillé plateau ! Le pôle viande local est aussi estampillé plateau...
Nous pouvons nous réjouir de l’arrivée d’équipes nouvelles et dans le plus grand respect de la démocratie. Leurs engagements et leurs disponibilités ne font aucun doute. Il n’y aura pas de sauveur suprême, pas plus à Peyrat-le-Château qu’à Rempnat ou ailleurs. Les collectivités vont se retrouver avec des réductions de dotations pour les trois années à venir, le département et la région Limousin ne vont pas y échapper, les zones rurales sont terriblement secouées par cette crise qui se prolonge, les pertes d’emplois sont conséquentes, les communes rurales et leurs communautés de communes n’ont pratiquement aucune possibilité d’action, tout est orienté aujourd’hui vers les zones urbaines à forte densité de population.
Michel Ponchut
Fermez la chasse au blaireau !


De retour dans les coins qui m’ont vu naître il y a plus de 60 ans, je constate avec amertume que “mon pays“ est en guerre. Guéguerre serait un mot plus opportun. De projections en fêtes, de marchés en concerts, j’ai pris conscience de la montée d’une nouvelle intolérance qui m’est d’autant plus insupportable que je suis né ici. Il existe bien désormais deux mondes, qui se rejettent, se fuient, voire s’invectivent. Fortement ancré dans mes racines, je me sens pourtant tout à fait solidaire de ceux qu’on appelle de façon caricaturale “les gens du plateau“. Il serait temps que la guéguerre cesse, même et surtout celle des mots ! Je suis persuadé que l’arrivée de nombreux “nouveaux habitants“ est une chance, et non une épine dans notre pied. Mon pied justement, je ne le prends vraiment pas quand j’entends stigmatiser (mot à la mode), des gens que j’apprécie, et qui ont prouvé un peu partout, de Faux à Crocq, d’ Eymoutiers à Peyrelevade, tout le regain d’énergie qu’ils pouvaient apporter au territoire. Je me demande bien en fait pourquoi un rapprochement ne serait pas possible ... Les uns ne fréquentent pas “les autres“ , mais les “blaireaux“ ne sont pas exempts de tout reproche. Leur certitude d’être ceux qui ont compris les premiers est parfois agaçante. Je pense parfois qu’ils devraient faire le premier pas vers “la paix“. Certes, le conservatisme des “anciens“ est difficile à remuer. J’aimerais beaucoup que chacun y réfléchisse. Un peu partout les élections municipales ont donné des leçons aux uns et autres. Les premiers trop écolos, trop intellectuels, trop “culturels“... les seconds trop sûrs d’eux-mêmes, ancrés dans un pouvoir sans partage, suffisants... mais pourtant pas nécessaires. Alors s’il vous plaît, que chacun tende la main. Il me semble que c’est plus facile à ceux qui sont “là depuis longtemps“(sic), alors que nous sommes tous citoyens du monde. Rien de plus.

Michel Patinaud, Eymoutiers
Les nouveaux arrivants, une chance
A Gentioux, la campagne s’est focalisée sur la question des nouveaux habitants. Dans une lettre ouverte adressée à celle qui s’est fait élire maire, ”Domi” comme il l’appelle familièrement, François Christin, vieil habitant de la commune venu d’ailleurs il y a longtemps, montre que Gentioux a été un véritable creuset creusois.
Les nouveaux arrivants, ça fait parler. C’est normal - mais c’est surtout une chance, il faut la prendre. C’est aussi un risque, il faut l’accepter - le limiter - le partager - le contrôler. Le mieux, pour l’info, c’est introduire quelques éléments nouveaux dans le Conseil. Domi, souviens toi, depuis plus de soixante ans, Gentioux c’est quoi ?! Quelques familles de Creuse, mais c’est surtout des migrants, maçons, paysans, revenus au pays pour la retraite. C’est aussi des Italianos, des Germaniques, des Portos, des Spanos, puis des Bretons, des Normands, même des Hollandais - un peu Flamands, un peu Bataves. Y a même un vieux con qui a accueilli des gens de l’Islam - Algériens, Marocains, Turcs (affreux !). Dernières nouvelles : des Russes et des Caraïbes sont arrivés. Alors Domi, arrête, maitrise toi, ça va se tasser !

François Christin
Pourtant, que la montagne est belle...
La politique régionale d’accueil en Limousin, très volontariste, commence à porter ses fruits. Depuis 1999, la courbe démographique de la région se redresse, malgré le déficit chronique de naissances, grâce à un solde migratoire positif. Il y a assurément de la place pour tous. Fort de ce constat, “nouveaux“ et “anciens“ se sont mobilisés dernièrement dans de nombreuses communes de la Montagne limousine. Ils se sont rassemblés autour d’une plate-forme commune, présentant d’abord de nouvelles listes aux municipales “pour faire revivre le pays“. Cela avec plus ou moins de succès, certes, mais en précipitant au moins le débat et en mobilisant un soutien non négligeable.
L’esprit d’ouverture, ainsi que cette vision d’un avenir meilleur sur place, ne sont pas partagés par tous. Au lieu de croire dans le possible certains prétextent, encore et toujours, l’inéluctable. Quelques brèves de comptoir entendues : “Il ne reste plus que des vieux, mais c’est comme ça...“. “Après la guerre, tous ceux qui savaient lire ont pris le train, alors...“. “C’était bien mieux avant, mais là il n’y a plus rien à faire“. “Nous n’allons quand même pas nous remettre à faire des enfants maintenant“. “Ici, on assiste à la fin d’une certaine civilisation “. Ou encore – inexcusable - ce maire-sortant d’une commune corrézienne qui souhaitait fermer définitivement son école (!) - pour des raisons d’équilibre budgétaire. Quand la population a protesté, vu qu’il y avait encore des enfants à scolariser dans la commune (enfants des arrivants, mais bon...), sa réponse a été : “On s’en fout : ce ne sont plus les nôtres“.
“Ce-ne-sont-plus-les-nôtres“ ? Il y a des discours qu’on ne peut entendre sans réagir. Et en effet, on a réagi ! Une autre équipe a été élu illico par les habitants mobilisés par l’outrance de tels propos.
Mais fallait-il vraiment en arriver là avant de se rappeler que les nouveaux arrivants en provenance des régions (et au delà) ne sont pas si étranges ? Quitte à citer le poète* : “N’avons-nous pas, nous autres, les mêmes soucis pour l’avenir de nos enfants, que vous, les gens du pays ? Quand on se blesse en bricolant, ne saignons nous pas autant ? Et quand on fait (trop) la fête, ne souffrons-nous pas de la même gueule-de-bois ?“ En dépit de nos différences, au fond, nous sommes biens pareils. Les uns ont choisi d’y vivre en ne partant pas, alors que les autres ont choisi de venir s’installer pour y vivre.

Mike Evans
* William Shakespeare, Le Marchand de Venise Traduction (très) libre.
  • Thème
    Campagne électorale
  • néo-ruraux | campagne électorale