IPNS : Vous êtes conseiller général du canton de La Courtine. Vous avez été un des vice-présidents du parc lorsque celui-ci s’est créé en 2004. Vous en avez assez vite démissionné et depuis vous conservez une attitude critique par rapport au rôle du parc et de la manière dont il travaille sur le territoire. Vous ne vous êtes jamais vraiment expliqué publiquement sur ce départ. Alors première question : pourquoi aviez-vous démissionné à l’époque ?
Philippe Breuil : Avant d’être vice-président du parc, j’ai été vice-président du syndicat mixte de préfiguration du parc en 2001 auprès de Pierre Desrozier, puis après son accident, auprès de Christian Audouin qui lui a succédé. Pendant toute la période où l’on a travaillé à la réalisation de la charte du parc, j’ai eu l’impression que nous faisions un travail positif qui était bien mené. Ce n’était pas facile de rassembler les trois départements et la région autour d’un projet commun. Il fallait du consensus mais il y avait une véritable volonté d’aboutir.
Là où les problèmes ont commencé, c’est à la création du parc naturel régional en 2004. J’ai très vite compris qu’avec mes collègues vice-présidents, on n’y arriverait pas. Je fais partie d’une génération d’élus plus jeune, nouvelle sur le terrain politique, plus animé par le désir de réaliser que le désir de durer. Sur chaque dossier ça butait, on avait l’impression de piétiner, de ne rien voir se concrétiser sur le terrain. J’ai senti cela très tôt et j’ai donc préféré me retirer. Et de fait il ne s’est pas fait grand chose... Nous avions fondé beaucoup d’espoir sur ce parc, sans doute beaucoup trop, et la déception est à la hauteur des espoirs que nous y avions mis. Entre les deux, il faut bien reconnaître qu’il y a un monde !
IPNS Ce n’est portant pas ce que dit le président du parc !
PB J’ai lu comme vous l’éditorial de Christian Audouin dans la dernière lettre du parc. Il se félicite de l’OPAH, de la DCT, du programme Leader... Je crois rêver ! C’est un peu comme si vous rentriez dans une boulangerie et que le boulanger se glorifiait qu’il y ait du pain dans son magasin ! Mais c’est la base et le minimum. On se fait traiter de médisants parce qu’on constate que ce genre de programmes existe partout, dans les parcs comme dans les pays. Dans ces derniers ces programmes existent même avec moins de personnel et une gestion plus légère. Du coup on se demande où est la différence. De la même manière on se rengorge en matière touristique du projet “Retrouvance”. Ce genre de projet qui est à l’initiative de l’ONF et qui existe dans d’autres parcs n’a rien d’original. On avait lancé l’appel d’offres pour ce projet en 2004. Nous sommes en 2007 et il n’y a toujours pas un chapeau de vendu ! voilà la vitesse à laquelle avance le parc. Malgré une foultitude d’animateurs on ne voit pas de réalisations concrètes. Du coup il y a beaucoup d’élus qui se posent des questions et de plus en plus d’habitants qui sont déboussolés.
IPNS Qu’est-ce qui explique cette inertie du parc ?
PB Les gens en place dans l’équipe dirigeante du parc doivent composer et ils composent tellement que le parc n’existe pas en tant que tel. Je vais vous donner un exemple. En matière agricole, les agriculteurs avaient exprimé une demande via le Conseil de valorisation (qui a beaucoup travaillé pour ce parc), qui est un peu l’assemblée consultative du parc, concernant le marché au cadran d’Ussel – ce n’est pas sur le territoire du parc mais ça le concerne directement puisque les éleveurs du parc l’utilisent. Il s’agissait de subventionner l’achat de bétaillères pour amener les bêtes au marché. Cela allait dans le sens de la valorisation de la production locale, de l’incitation à produire des bêtes de qualité qu’on pouvait être fier de montrer. Pour une telle mesure, le Conseil général de la Corrèze a décidé et imposé que c’était lui qui verserait la subvention aux agriculteurs corréziens et non le parc qui agirait. Le Conseil général de la Creuse avait lui aussi approuvé la mesure mais estimait qu’elle devait être gérée par le parc qui était le mieux placé car la zone concernée ne touchait que le sud du département.
Et bien qu’a fait le parc RIEN! Il n’a pas su imposer sa propre politique inspirée par son Conseil de valorisation, ce qui fait que les agriculteurs creusois du plateau ne peuvent pas toucher l’aide que reçoivent les Corréziens. On était pourtant là sur une question qui touchait tout le territoire du parc et il aurait fallu que le parc s’impose comme le relais évident sur le terrain. Mais non ! On a abdiqué devant les prérogatives jalousement conservées du département de la Corrèze La communauté de communes de La Courtine a choisi, comme la communauté de communes du Plateau de Gentioux, de ne pas adhérer au pays Sud Creusois, parce qu’elle avait tout misé sur le parc et à ce titre, c’est vrai que nous sommes nous aussi obligés d’expliquer à nos administrés cette inertie. On y croyait car le parc était basé sur une histoire et des paysages communs et nous voulions, qu’au-delà des limites départementales nous soyons associés avec les communes corréziennes et haut-viennoises du plateau avec qui on partage les mêmes problématiques... Sur ce territoire c’est le parc qui doit gérer certaines choses et non des logiques départementales qui doivent primer. Malheureusement, nous voyons que le parc n’a pas été à la hauteur de notre attente et je suis aujourd’hui très pessimiste.
IPNS Mais qu’attendez-vous du parc ?
PB Nous sommes sur un territoire formidable sur lequel il y aurait tant de choses à faire, à expérimenter, à inventer ! Certes pas dans tous les domaines, mais sur quelques compétences précises, le parc, ce devrait être un terrain formidable pour l’innovation . Il faudrait oser, innover, créer... Que de choses à faire par exemple autour de l’eau (une de nos ressources les plus précieuses), autour des énergies nouvelles, autour de la valorisation énergétique du bois, autour de l’agriculture, etc. Mais le parc n’ose pas, n’ose rien. L’eau ? Une instance devait être créée autour de cette question... On n’a rien vu venir. Le tourisme ? On nous sort “Retrouvance” qui date de 2004, ne touche que cinq communes et n’a rien de novateur alors qu’on pourrait imaginer des choses beaucoup plus originales et ayant un rayonnement sur l’ensemble du territoire autour du cyclotourisme par exemple. On attendait beaucoup d’une marque parc, qu’aujourd’hui on nous déclare ne plus pouvoir mettre en place. On vient de lancer en grande pompe le site internet du parc... Comme si avoir un site en 2007 était novateur ! Tout cela crée de la frustration et de la désillusion. Du coup on régresse même sur certains dossiers. Par exemple en 2004 il y avait un consensus pour installer une maison du parc à Millevaches qui puisse incarner sur un lieu le PNR.
Depuis il n’y a pas eu de décision de prise. Du coup tout le monde amène ses propositions et si ça continue vous verrez qu’on fera trois maisons du parc, une dans chaque département !
Quant à la signalétique elle ne commence qu’à peine à arriver... Comme pour trop de choses on tergiverse, quand on ne sait pas quoi faire on fait une étude, on amuse les gens et... on crée des tensions.
Aujourd’hui pour moi, c’est comme si il n’y avait pas de parc. Bien sûr il y a une structure qui porte ce nom qui coûte très cher en fonctionnement mais ce qu’elle fait se confond avec tout ce qui se fait ailleurs. C’est dramatique. Sur le plateau on a des gens de caractère qui ne sont pas des béni-oui-oui... Et bien le parc, c’est tout le contraire, c’est une structure sans caractère qui se contente de faire de la gestion de programmes comme l’OPAH ou Leader. Sur le programme leader, je ne veux pas charger les dirigeants du parc car il faut reconnaître qu’un programme comme cela est une véritable usine à gaz ! Il y a tant de contraintes et d’obligations qu’on a plus l’effet levier qu’avaient provoqué les programmes Leader précédents. C’est devenu de la technocratie à l’état pur. Sans compter que l’essentiel du programme alimente en fait le fonctionnement du parc... Mais enfin, prenons l’exemple du dossier de la coopération entre une région de Finlande et le plateau. On va consacrer 170 000 euros de subvention, je dis bien 170 000 € sur ce projet pour réaliser un film dans ces deux territoires. Mais qu’est-ce que ça peut bien apporter aux deux territoires ? Qui va le regarder ? Les crapauds à ventre jaune ! Ça va favoriser les échanges nous dit-on... Et pendant ce temps là on n’arrive pas à trouver les moyens de financer Télé Millevaches...
IPNS Votre regard désabusé sur le parc ne laisse pas entrevoir grand espoir. Comment imaginez-vous l’avenir du parc ? Que faudrait-il pour qu’une dynamique novatrice naisse ?
PB Je vous l’ai déjà dit : je suis plutôt pessimiste. Je ne crois pas au coup d’état et donc je ne crois pas qu’il puisse se passer grand chose de positif avant les élections de 2008 où les conseils généraux et les municipalités vont être renouvelés. Après il faudrait qu’émergent quelques personnalités du territoire qui soient prêtes à s’investir sur le parc . J’attache plus d’importance à la qualité des hommes qu’à l’assemblée dont ils sont issus. Est-ce que les Conseils généraux et le Conseil régional peuvent comprendre cela ? Je ne sais pas, mais c’est ce qui devrait se passer. Tant qu’un groupe d’élus ne présentera pas un projet et une véritable volonté de le réaliser pour faire changer les choses et qu’il aille le négocier avec les assemblées régionale et départementales, je crois qu’on butera sur un mur.
IPNS Et le changement de directeur peut-il contribuer à une amélioration du fonctionnement du parc ?
PB J’ose encore croire que les politiques sont ceux qui dirigent vraiment. Le changement de directeur c’est comme un changement d’entraîneur dans une équipe de foot, c’est le bouc émissaire, ce n’est pas lui qui est sur le terrain et qui décide des actions de jeu ! On peut me dire que la précédente directrice n’était pas parfaite et que le suivant sera meilleur, mais je ne pense pas que cela changera grand chose tant que l’équipe dirigeante actuelle ne redonne l’envie de participer au parc aux élus dégoûtés qui, comme moi, n’assistent même plus aux comités syndicaux. Je n’y vais plus, ça ne sert à rien...
Croire qu’un nouveau directeur changera le parc est illusoire. C’est avec ce genre de raisonnement que la politique est discréditée.
Propos recueillis par Michel Lulek