Sur le premier point, on est d’abord frappé par le climat de défiance qui a entouré la procédure électorale, de l’établissement des listes d’inscrits jusqu’au comptage des voix à la fin du dépouillement. En tout début d’année, des notifications de radiations des listes électorales plus ou moins tatillonnes sont envoyées par la maire. Au point que se met rapidement en place, du côté de ses opposants, une cellule informelle de vigilance et de conseil juridique aux personnes radiées (rappelons qu’il y a six ans, des personnes s’étaient vu contester auprès du Tribunal leur inscription sur les listes jusqu’à ce qu’un juge ordonne leur réintégration et déboute la plaignante, Dominique Simoneau). Le sommet de la tension est atteint le 21 février 2020 lors de la réunion de la commission de contrôle des listes électorales chargée d’établir la liste définitive.
Fait remarquable, sept personnes sont venues assister aux échanges entre les trois membres de la commission (trois habitant.es représentant l’un la Préfecture, l’autre le Tribunal et le dernier la Commune). Avant même le début de la réunion, qui se tenait dans une petite pièce surchauffée de la mairie, un vif échange entre le représentant de la Préfecture et un habitant, à propos de la volonté du second d’enregistrer les débats, donnait le ton. Par la suite, le premier autorisant la salle à intervenir dans les échanges, on assista à des scènes de négociation pied à pied pour estimer si oui ou non un tel ou une telle pouvait encore justifier d’attache à la commune. L’occasion de constater que le même représentant de la Préfecture, un enfant du pays et jeune retraité de la police nationale, était extrêmement bien renseigné sur la vie des habitants de sa commune.
Il fallut bien deux heures pour venir à bout de la trentaine de sortants (radiés d’office ou ayant perdu attache à la commune) et des... soixante-neuf nouveaux entrants. Sur une précédente liste de 287 inscrits, et une élection qui s’est joué à quelques voix il y a six ans, l’enjeu était de taille et la tension dans la salle à la mesure. Le toujours représentant de la Préfecture précisera à la fin que la commission s’était montrée magnanime dans l’acceptation de certains documents normalement insuffisants pour s’inscrire ou contester une notification de radiation. À bon entendeur… Au final, seul un refus d’inscription était contestable au Tribunal, mais la personne concernée y renoncera, après de longues tergiversations, pour des raisons financières (frais d’avocat) et ses calculs de bonne chance que sa liste l’emporte sans sa voix.
Le jour du vote fut un autre révélateur du niveau de défiance atteint à Gentioux pendant la dernière mandature. Le bureau de vote du bourg de Gentioux, présidé par Dominique Simoneau, fut principalement tenu par des conseillers municipaux de sa majorité, tandis que la tête de liste d’opposition, Denise Jeanblanc, avait déclaré en mairie des assesseurs et autres contrôleurs des opérations de vote issus de sa liste. Ainsi, en continu et dans les deux bureaux de vote (Gentioux et Pigerolles), des personnes de la liste d’opposition se relayaient par deux pour surveiller la bonne tenue des opérations.
C’est ainsi qu’elles assistèrent en milieu de matinée à l’esclandre d’une habitante reprochant l’absence d’éléments obligatoires sur la table (code électoral, liste des membres du bureau, etc.), puis, quelques heures plus tard, à une pénurie d’enveloppes dans les deux bureaux. La maire, Dominique Simoneau, finit heureusement par en dégoter dans un stock qui restait à la mairie.
Le pic fut atteint lors du dépouillement au début duquel Dominique Simoneau contesta la présence derrière elle de trois personnes déclarées comme « contrôleurs des opérations de vote ». « On ne doit pas avoir les mêmes valeurs dans la commune », lâcha-t-elle devant leur absence de réaction. Elle n’insista pas et les trois vérificateurs passèrent les deux heures et demie que dura le dépouillement à suivre scrupuleusement le va et vient des bulletins et leur lecture. Tandis que dans la salle, pas moins de trois personnes doublaient le comptage officiel par des comptages personnels. Ce qui donna lieu, à la fin du dépouillement, à une demi-heure de comparaisons et de recomptages des dizaines de petits bâtons avant qu’un accord ne soit trouvé sur le nombre de voix à accorder à chaque candidat.es. Ambiance…
Mais le sort de chaque liste était déjà joué tant l’écart était grand (en moyenne autour de 63 voix pour la liste sortante et 188 pour la nouvelle prétendante). Un écart visiblement pas anticipé par les deux personnes chargées officiellement de noter les petits bâtons et qui durent, au milieu du dépouillement, scotcher des rallonges à leurs feuilles pour noter les nouveaux bâtons qui n’avaient plus de cases pour les recevoir.
Le tout dans un climat sanitaire qui reconfigurait étrangement les espaces : pas plus de dix personnes dans le public sur consignes de la Préfecture et donc une foule, venue largement d’au-delà des limites de Gentioux, massée derrière les vitres de la salle des fêtes et tentant de déchiffrer en direct les comptages officieux opérés à l’intérieur.
Mais aussi, petit à petit, à mesure que le groupe de personnes s’agrandissait, la distance sanitaire d’un mètre s’était réduite à peau de chagrin dans le sas d’entrée. Dominique Simoneau, mélangeant tout à la fois les casquettes d’ancienne institutrice, d’officière de police et de présidente de bureau de vote, tenta plusieurs fois, en vain, de disperser cette foule, menaçant d’interrompre le dépouillement, à grand renfort de « sortez », « il doit y avoir un mètre entre vous » , « c’est du civisme, si ce mot vous dit quelque chose, faut arrêter les gamineries » et pour finir, lâcha un « ça promet » désabusé. La bande de cancres aux remarques parfois franchement désobligeantes n’en avait cure, montrant là leur ras-le-bol accumulé pendant ces six années et marquant que le pouvoir avait changé de camp.
Et c’est bien ce sujet que la liste gagnante avait mis en tête de son programme : comment après ces années de « crispation », « ne pas prendre sa revanche » mais travailler à « aller vers une commune plus apaisée » ? entendait-on lors de sa présentation publique du 21 février 2020 dans la salle des fêtes de Gentioux, « ne plus se regarder avec les craintes et les peurs engendrées par des incompréhensions liées à des différences de convictions, de façons de vivre, de penser ». Et les membres de la liste égrènent comment y parvenir : relancer le comité des fêtes (fêtes des jonquilles de Pigerolles, du fameux pont de Senoueix), publier un bulletin municipal co-écrit avec des habitants...
Une seconde présentation publique de la même liste a eu lieu le vendredi 6 mars 2020 à Pigerolles. L’occasion d’insister aussi sur un autre point de divergence avec l’équipe sortante : le mode de gouvernance. On parle ici de réunion d’habitants sur des sujets cruciaux de la commune comme la gestion de l’eau, les projets éoliens industriels, le budget. Il est aussi question de groupes de travail élu.es/habitant.es sur la forêt, l’installation d’agriculteurs, de transparence et d’outils de communication. Un projet donnant une large place à la parole et à l’action des habitant.es, à l’image de cette liste qui donne la forte impression de jouer en équipe, soudée et sans chef.
Au total, entre les habitant.e.s de Gentioux et de Pigerolles, une centaine de personnes différentes, soit un tiers du corps électoral, aura assisté à l’une ou l’autre de ces présentations publiques. La plupart d’entre-elles déjà acquise à la cause générale mais tout de même curieuse d’en savoir plus sur les détails. Ainsi, des questions précises et sans complaisance ont été posées concernant les positions de la liste sur les projets éoliens révélés par un tract anonyme distribué quelques semaines auparavant ou sur la diversité des habitats et leur situation au regard de la loi.
L’unique présentation de la liste de Dominique Simoneau fut tout autre et, elle aussi, à l’image de sa façon de faire. C’était le 8 mars dans la salle des fêtes de Gentioux. Dans le public, vingt-cinq personnes dont seulement trois en soutien à la liste de la maire sortante. « Un enterrement de première classe », commentera un participant à la sortie. Devant l’écran où sont projetées les diapos, une Dominique Simoneau omniprésente et des colistier.es silencieu.ses ou même physiquement absent.es pour deux d’entre eux. Il est vrai qu’une des absentes avait précédemment et publiquement fait des déclarations de soutien en faveur de l’autre liste (qu’elle a découverte sur le tard et qu’elle trouve beaucoup plus proche de ses idées)… Pour l’autre, on n’en saura rien. Pour autant, c’est pour d’autres raisons que cette soirée, qui dura plus de quatre heures et se clôtura par un pot, restera dans les annales.
En effet, étant sortante et donc flanquée d’un bilan à défendre, Dominique Simoneau eut à subir un feu roulant et parfois véhément de questions et de contradictions diverses de la part du public. Il fut question, entre autres, de l’intention d’arrêter le réseau de chaleur, du soutien aux projets éoliens, de l’absence des élu.es au marché d’été, des bâtons dans les roues à des projets d’installation d’activités, de la mise à l’index d’une partie de la population, de l’exercice autocratique du pouvoir. Courageusement, et avec une volonté de dialoguer et de donner sa version des faits sans faille, Dominique Simoneau a répondu point par point, pied à pied, seule, pendant quatre heures. On l’avait rarement vu si avenante face à l’adversité. Campagne électorale oblige ? Si rien n’aura avancé au terme de ce marathon, quel moment politique ce fut que de parler à bâton rompu et sans langue de bois des affaires de la commune. Que nous étions loin des échanges cordiaux des présentations de l’autre liste.
On n’oubliera pas la présentation d’un des colistiers de Dominique Simoneau, prenant la pose debout en beau costume, revendiquant son compagnonnage avec le RPR de Chirac et aujourd’hui avec le parti La République en Marche, à Limoges et à Guéret, mais insistant par deux fois sur le fait qu’il se présentait là « sans étiquette ».
Si les experts en analyse électorale de la liste gagnante avaient pressenti le vent tourner en leur faveur, rien n’annonçait un tel raz-de-marée dans les urnes. Que s’est-il passé, alors que le contexte général de la commune n’a apparemment pas fondamentalement changé en six ans pour que Dominique Simoneau perde autant de soutien (70 voix parties en fumée entre les deux scrutins) ? Elle à qui La Montagne et France 3 ont régulièrement ouvert leurs colonnes pour accueillir ses diatribes contre « l’ultragauche du Plateau », elle qui avait écrit une motion prenant la défense des entrepreneurs empêchés d’entreprendre et reprise par plusieurs conseils municipaux de Corrèze, elle qui avait conquis une vice-présidence de la communauté de commune Creuse-Grand-Sud et se targuait du soutien de la préfète de Creuse ?
Diverses hypothèses peuvent être avancées pour expliquer un tel retournement. D’un côté, il y a les habitant.es qui adhèrent aux valeurs, aux propositions, à l’environnement culturel de la liste gagnante. Ceux-ci sont sûrement en nette augmentation sur la commune et les mouvement d’entrée-sortie sur les listes électorales ont été en leur faveur. De l’autre, il y a les défections du côté des perdants. Le mode de gouvernance autocratique de Dominique Simoneau, décidant de tout, toute seule, des menus de la cantine à l’équipement du nouveau bar, et réduisant les personnes de son conseil à des bénis-oui-oui, n’est pas passé inaperçu et a créé frustration et agacement parmi des proches de mairie, dont des élu.es et des employé.es.
Son absence de communication et de transparence, en général et particulièrement sur les projets éoliens, en ont touché d’autres. Des habitants de Pigerolles ont déploré le manque d’attention à leur commune (associée à Gentioux dans les années 1970) et des parents d’élèves son intrusion permanente dans les affaires de l’école, et ce avec des décisions malvenues (horaires du périscolaire, pas de financement pour les sorties à la piscine…) et une attitude hautaine envers les enfants et le personnel. Surtout, à en croire des candidats ayant été reçus dans les maisons lors du traditionnel porte-à-porte, ses soutiens d’hier pourraient ne pas lui avoir pardonné son incessante volonté de diviser et d’attiser les tensions.
Enfin, on peut imaginer que des personnes qui, bien que connaissant et n’appréciant pas la personnalité de Dominique Simoneau pour l’avoir fréquentée comme enseignante ou autre il y a une dizaine d’années ou plus, avaient voté pour elle il y a six ans par peur de l’inconnu. Cet inconnu présenté dans les médias comme une secte violente prête à tout pour semer le désordre... Parfois, entre deux maux, on préfère celui que l’on connaît car, au moins, on le connaît. Pour ceux-ci et celles-là, peut-être que la piqûre de rappel de la personnalité de Dominique Simoneau, liée à ses nouvelles fonctions à la mairie d’un côté, et la présence sur la liste opposée de Denise Jeanblanc, ancienne adjointe auprès de Pierre Desrozier, plusieurs fois maire dans les années 1980 et 1990, de l’autre, aura fait la différence.