Le travail que nous vous présentons dans les pages suivantes a été réalisé en 2004 par deux artistes réunis dans le collectif "Bureau d'Etudes".
De quoi s'agit-il ? De deux cartes consacrées aux "micro luttes" en Limousin.
La première (reproduite page 8 et 9) présente une transcription visuelle des "micro rébellions autour de Rochechouart" - en fait : en Limousin, puisqu'on y trouvera des références aussi diverses que la mutinerie du camp de La Courtine en 1917, les émeutes de la faim à Eymoutiers en 1846, les manifestations ouvrières et anarchistes de Limoges et St Junien de 1905 ou encore les multiples actes de résistance de Guingouin et ses maquis sur le plateau et ses abords.
La seconde carte (page 10) est consacrée aux actuelles "micro résistances contre les mutants" en Limousin : sites contaminés par les déchets d'uranium, communes et zones qui s'étaient déclarées en 2004 "hors AGCS" ou "sans OGM".
Ce travail original devait être exposé en 2004 au Musée départemental d'art contemporain de Rochechouart (Haute-Vienne) dans le cadre d'une exposition intitulée "Paysages invisibles". Mais c'était sans compter le veto qu'y a mis Madame Pérol-Dumont, Présidente du Conseil Général de la Haute-Vienne. Quelques semaines avant l'inauguration de l'exposition celle qui venait juste de prendre ses nouvelles fonctions, découvrait ces cartes et en particulier la deuxième. Irritée par ce qu'elle considéra sans doute comme une provocation ou un manifeste militant, elle refusa que les cartes pourtant déjà imprimées ne soient présentées et diffusées. Elle repoussa donc la date d'ouverture de l'exposition, pour avoir le temps de remplacer in extremis l'intervention de Bureau d'Etudes par autre chose. L'exposition fut donc présentée dans le musée départemental sans les fâcheuses cartes…
Nous les publions donc ici, accompagnées d'un entretien avec Bureau d'Etudes qui nous explique le sens de ce travail. On lira également la philosophie de ce projet dans l'introduction aux cartes que les auteurs avaient rédigée et que nous publions ci-dessous sous le titre "Permanence des résistances". La "micro lutte"continue !
IPNS : Qu'est-ce que Bureau d'études ? Quelles sont les raisons qui sont à l'origine de ce collectif d'artistes ?
Bureau d'Etudes : Nous nous sommes créés comme groupe d'artistes parce que cela nous permettait une plus grande autodétermination que celle de l'artiste solitaire produisant pour le marché ou les officines de l'Etat culturel. Suite à la création d'un espace d'exposition nous avons vu assez vite comment un tel lieu devenait lui-même un appendice bénévole d'un système culturel dont nous critiquions le fonctionnement.
C'est pourquoi nous avons commencé à circuler dans des lieux développant d'autres formes de vie et de fonctionnement. Nous sommes allés voir les Centres Sociaux en Italie et en Espagne, les squats, avec l'idée de reconnecter l'autonomie artistique (la production de sens ou d'expression déliée d'une demande sociale administrée ou d'une commande du pouvoir) à l'autonomie sociale et politique (auto organisation).
A ces expériences et réflexions s'articule notre travail de cartographie des réseaux de pouvoir. Nous avons fait une première publication qui cartographie les systèmes de contrôle et de surveillance, diffusée lors du camp No Border de Strasbourg contre le système d'information de Schengen en 2002. Puis une autre sur l'Europe diffusée lors du Forum Social de Florence en 2002. Nous avons également réalisé plusieurs cartes exploratoires sur le gouvernement mondial, et travaillons actuellement sur un Atlas de l'Etat français.
IPNS : En 2002, vous avez été invités en résidence par le musée départemental de Rochechouart (Haute-Vienne). Pouvez-vous nous raconter comment vous avez été amenés à travailler sur les cartes que nous publions ici ?
Bureau d'Etudes : Pendant notre résidence à Rochechouart, invités par la conservatrice du musée départemental d'art contemporain de Rochechouart, nous avons travaillé à partir des archives historiques limousines sur les luttes dans le Limousin. Ce travail, présenté ici pour la première fois, a débouché sur une publication qui devait être diffusée pendant l'exposition "Paysages invisibles" au musée de Rochechouart en septembre 2004. La direction du Département n'a pas souhaité que ce travail soit présenté et diffusé. Elle a fait saisir l'ensemble du stock qu'elle avait financé et nous a exclu de l'exposition, nous accusant de ne pas avoir honoré notre contrat. Nous avons en effet développé notre réflexion sur les luttes limousines aujourd'hui et non jusqu'en 1945 tel qu'il était prévu, en y incluant une carte sur les luttes contemporaines (anti-nucléaires, anti-OGM, anti-AGCS).
IPNS : Ces cartes sont consacrées à ce que vous appelez les "micro luttes". Qu'entendez-vous par cette expression ?
Bureau d'Etudes : Les micro luttes sont ces histoires qui n'ont pas été écrites par les vainqueurs. Ce sont de petites histoires locales, des luttes singulières, disséminées, qui existent à la base et ne cherchent pas à entrer dans les appareils, formant ainsi, en quelque sorte, le négatif du grand Etat intégré avec ses appareils de co-gestion (syndicats, grands partis), son système public-privé, sa centralisation administrative ou normative, etc.
Nous avons séparé deux cartes : les luttes à l'intérieur de l'Etat-nation, inventé en 1648 (Louis XIV) et disparaissant en 1945 (cela dit évidemment très rapidement).
Et les balbutiements des nouvelles luttes dans le contexte de l'hégémonie américaine et de la reconfiguration du rapport local-global.