La Broussaille, lieu de création et de répit, une histoire de rencontres

Date
dimanche 1 décembre 2024 11:44
Numéro de journal
89
Auteur(s)
François Hannoyer
Isabelle Frandon
Visite(s)
43 visite(s)

la broussaille romane edingerDans son numéro 79, IPNS vous présentait le projet de La Broussaille1, un lieu de vie créé à Saint-Martin-Château autour de Léa Kalaora et Mitia Claisse pour accueillir des artistes en résidence et des personnes porteuses d’un handicap ou en difficulté psychique. L'association vient de fêter ses trois ans d'existence. Le temps d'un premier bilan que dressent l'ancien et la nouvelle présidente de l'association.

 

Là où l’humain intervient peu, ce sont des broussailles qui poussent, ronces et arbustes des sous-bois et des lisières. Vivaces, ardues, enchevêtrées, les broussailles sont pleines d’inconnu, de vies imprévisibles. Dans les broussailles, des pousses singulières s’appuient l’une sur l’autre, se mélangent et croissent. Les racines et les directions sont multiples...

 

Rencontre et dialogue

Fondée en 2021 à Lagathe dans la commune de Saint-Martin-Château en Creuse, l’association La Broussaille propose des résidences d’artistes, des ateliers et des séjours d’immersion et de répit durant lesquels les résident·es se côtoient et interagissent, selon des modalités et des temporalités diverses. Les gestes artistiques de chacun·e, notamment des personnes en situation de fragilité, de difficulté psychique ou de handicap mental, y sont favorisés et accompagnés. Notre démarche est pluridisciplinaire, elle investit aussi bien le spectacle vivant (cirque, théâtre, chorale, musique, danse), les arts plastiques (peinture, modelage, sculpture, dessin) que les savoir-faire locaux (céramique, travail du bois, paysagisme). À La Broussaille se rencontrent et dialoguent différents acteurs du territoire, différentes pratiques, différents regards sur le monde, selon les principes de la psychothérapie institutionnelle dont l’association s’inspire. La thématique de la rencontre a nourri nos trois premières années d’existence et enrichi un ensemble de pratiques en mettant au coeur du projet l’ouverture sur les autres, la reconnaissance des singularités et la transformation mutuelle. La Broussaille ne propose pas de prestations que l’on recevrait passivement, c’est un lieu où chacun·e s’engage dans la réciprocité des échanges. Enrichi également un travail de recherche qui essaye de comprendre ce que ce lieu en émergence produit et ce contre quoi il bute, comment naît un geste artistique, comment favoriser une « ambiance » de rencontres, de liberté dans la création, de considération partagée.

 

Des gestes « en humanité »

Au cours de ce premier cycle de trois ans nous avons accueilli plus de 100 artistes pour des résidences ou des ateliers. Nous avons la conviction qu’autant les personnes en souffrance psychique et en situation de handicap que les artistes ont la faculté de régénérer notre perception du monde, de tisser de nouveaux liens entre la nature, la matière, le corps et la pensée. Aussi, à La Broussaille accueillons-nous celles et ceux qui désirent explorer, chercher en toute liberté comment dire, comment se dire, comment vivre, comment créer, avec qui, pour qui, pour quoi, celles et ceux qui ressentent ou ont ressenti les épines de la vie, les observent, tentent parfois de les oublier, parfois de les enlever et souvent de faire avec.

 

La Broussaille

La Broussaille a été créée pour animer ce lieu singulier, réunissant artistes et personnes en situation de fragilité psychique ou de handicap mental. Les membres du conseil d’administration de l’association ont choisi le thème de la rencontre pour fil directeur à leurs premiers pas et pour analyser ces trois premières années d’existence. Occupés à mettre en œuvre le projet, ils devaient définir les premiers contours de son identité, impulser l’élan nécessaire pour rencontrer des partenaires, des institutions, un public : en s’enracinant dans son territoire, l’association devenait un acteur parmi d’autres qu’elle allait rencontrer.
Rencontrer invite à sortir de soi, dans la réciprocité d’échanges marqués par l’imprévisibilité et le risque sans lesquels il n’y a pas de rencontre. Accueillir demande de se confronter à l’altérité avec respect et attention. Cette attitude s’est révélée d’autant plus exigeante que La Broussaille, en tant que personne collective, était elle-même – en son sein – à l’écoute de la diversité de ses membres fondateurs. Fallait-il faire coïncider leurs envies ? La rencontre présupposait au contraire qu’il faudrait examiner les différences, s’enrichir mutuellement de ce que qu’elles avaient à s’apporter pour construire une solide cohérence. Pendant trois ans, nous avons expérimenté des gestes « en humanité ».

 

Rouvrir des possibles

Ce fut, lors d’une exposition, la fierté silencieuse d’un artiste montrant son travail ; au sortir d’un atelier, la dignité radieuse de jeunes trop souvent stigmatisés au fer du handicap ; au coin d’un feu de veillée, la complicité d’un artiste et d’un taiseux ; sur scène, le lien entre une femme et son public partageant les creux et les bosses de sa souffrance ; le rire d’une goguette… Mais parfois aussi des rencontres décevantes ou difficiles, nous rappelant que « le réel, c’est quand on se cogne » selon le mot de Jacques Lacan.
La Broussaille ne veut promouvoir ni consensus ni conflit. Les rencontres qu’elle a vécues se sont révélées des occasions rares de créer du « dissensus fécond » (mot cher au philosophe Patrick Viveret) ou de « rouvrir des possibles », selon le concept de la « décoïncidence » que François Jullien, philosophe lui aussi, est venu partager avec les adhérents de l’association. Autant d’espaces, d’interstices, de moments suspendus, autant de rencontres qui ont interrogé, dérangé, troublé, bouleversé, remis en cause chacun des membres de l’association, personnellement et collectivement. Mais aussi ses partenaires associatifs, les tutelles institutionnelles, le territoire où s’est enraciné le projet, la société dans sa globalité. Il est question de justesse, de bien-fondé, de rectitude et de finesse dans la lucidité et dans un climat où l’accueil et la bienveillance s’imposent comme principes intangibles.
La rencontre, projet entre les personnes ou les groupes, projet de société, crée chaque fois de la vie sous forme de « trucs » poétiques ou politiques, gratifiants ou dérangeants, fugaces ou inoubliables. Elle ravive le meilleur en soi et le bien-être ensemble, fait naître ou renouvelle la citoyenneté dans le corps social et notre capacité à contribuer à la vie collective. Tel est l’enjeu essentiel de l’association La Broussaille aux prises avec un réel souvent brutal et injuste, qu’elle participe – avec humilité et détermination – à changer.

 

François Hannoyer, ancien président, et Isabelle Frandon, présidente
1- IPNS n° 79 : https://urls.fr/8beZZ4

 

À La Broussaille, nous travaillons avec les habitants, les collectifs, les associations et les institutions dans une dynamique de proximité territoriale. Des événements ouverts à tous sont régulièrement organisés. Cette programmation centrée sur l’art, la souffrance psychique et le handicap favorise les rencontres et sensibilise à ces questions dans un esprit de partage.
Pour les séjours, sont mis à disposition un gîte d’une capacité d’accueil d’une quinzaine de personnes et une salle, l’Erba d’agram, qui peut servir d’espace de travail, d’ateliers et de représentations.

Les ateliers
Des ateliers ponctuels ou des cycles d’ateliers sont conçus par La Broussaille et les artistes en résidence. Ils sont soit ouverts à tous soit conçus pour et avec une institution partenaire.

Les résidences d’artistes
Un artiste vient à La Broussaille : pour travailler un sujet, une œuvre, un projet, une question qui concerne la souffrance, le trouble, le handicap ; parce qu’il se sent concerné par le projet de La Broussaille et souhaite s’y impliquer ; parce qu’il est lui-même en souffrance ou en situation de handicap et a besoin d’un lieu qui prenne en compte ses fragilités. Les artistes accueillis sont des acteurs du projet : ils participent à la vie du lieu et peuvent organiser, avec l’association, des ateliers et une sortie de résidence. De son côté, l’association propose des temps d’accompagnement artistique et de travail par des bénévoles de l’association. Les séjours collectifs en partenariat avec des structures médico-sociales ou sanitaires sont construits en collaboration avec les institutions. Les séjours s’articulent autour d’activités artistiques et des besoins de repos de chacun·e. Ils permettent d’entrer dans un processus de transformation créatrice, de vivre une expérience collective, de changer son regard sur soi, de mobiliser ses compétences psychosociales. Ces séjours permettent également aux accompagnants·es d’observer et d’agir avec les personnes accompagnées dans un contexte autre qu’institutionnel.

Les séjours de répit
La Broussaille propose des séjours de rupture, de répit et de repos dans un lieu qui offre des possibilités de création artistique. Elle s’assure qu’ils soient adaptés aux besoins et aux envies de chacun, ainsi qu’aux familles touchées par le handicap d’un proche, désireuses de prendre du répit dans leur quotidien d’aidant.

L’équipe
Elle est constituée d’une douzaine de personnes, aux goûts, aux compétences et aux regards variés. Cette pluridisciplinarité et ces différences de points de vue apportent une grande richesse à l’association.

Léa Kalaora, directrice coordinatrice
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