L’Éducation nationale va mal. Nous n’apprenons rien à personne : compression de budget, donc moins de moyens, de personnel... Un enseignement orienté sur les résultats qui ne satisfait plus ni élèves, ni parents, du moins pour certains. Que faire ? Depuis plus d’un an, des habitants ont décidé de prendre le problème à bras le corps : collectif éducation qui organise des rencontres, collège alternatif en phase d’expérimentation... des initiatives convergentes, non concertées, démontrant un profond désir de changer les choses.
À l’initiative d’un “collectif éducation“, plusieurs rencontres sur le thème de l’école ont eu lieu dans le sud de la Creuse au cours des derniers mois, avec à chaque fois une participation conséquente.
Cette effervescence rappelle les débats des années 1970 sur la pédagogie, le rôle et les finalités de l’école, la critique de l’autoritarisme et du conformisme de l’enseignement traditionnel. Cette période fut aussi celle où fleurirent de multiples (et éphémères) écoles parallèles.
Pour mieux comprendre les réflexions et projets actuels, nous avons demandé à Émilie Roudier, co-animatrice avec Claire Chouvelon de ce “collectif éducation“, de nous présenter le travail qui a été fait.
Émilie : Voici les réunions qui ont eu lieu :
- deux réunions à Felletin (22 janvier et 13 mars 2011), avec une cinquantaine de personnes à chaque fois et une organisation facilitant l’expression de chacun : un ou plusieurs films en ouverture, des discussions en petits groupes avant une mise en commun. Bernard Colot, enseignant pendant trente ans en classe unique dans le Beaujolais puis à Moussac (86), et militant de “l’école du 3ème type“ a animé la deuxième réunion felletinoise1.
- une troisième réunion, à la Naute avait pour thème la communication non violente.
- Parallèlement, d’autres initiatives ont confirmé l’actualité des interrogations sur l’éducation :
- en février, à Faux la Montagne, l’association Pivoine a organisé 3 journées sur les grandes théories de la pédagogie active : Freinet, Steiner et Montessori, avec une soirée sur Ivan Illich2.
- un groupe de travail sur un collège alternatif à élaboré un projet pour la rentrée (voir page 6)
IPNS : Il a souvent été question dans ces réunions de Felletin particulièrement, “d’école de 3ème type“. Peux-tu nous définir de quoi il s’agit ?
Émilie : Ce n’est pas une nouvelle méthode pédagogique qui succéderait à Freinet, Montessori ou Steiner, et éventuellement les concurrencerait. C’est un mouvement, porteur d’une conception globale de l’éducation, qui, tout en s’appuyant sur les acquis des “méthodes actives historiques“, cherche à les dépasser (par exemple en s’attachant moins aux outils que Freinet).
Les axes principaux de cette réflexion concernent :
- la place de l’enseignant : il prépare l’environnement dans lequel vont évoluer les enfants, où ils trouvent de quoi se nourrir. Les lieux dans l’espace sont liés à des fonctions. L’enseignant favorise l’expression de tous et de chacun et accompagne le groupe. Il observe et doit être capable de remettre en cause ce qui a été fait précédemment.
- la création d’un système vivant où l’enfant est auteur de ses apprentissages : les enfants vivent et écrivent vraiment. Ce n’est pas un montage de l’enseignant mais le résultat d’un besoin de communiquer. Pour illustrer, je peux parler d’une balade avec les ânes à Peyrat le Château : à la fin de la sortie, les jeunes ont spontanément écrit leurs réactions sur le livre d’or, et ensuite, plusieurs ont adressé une lettre aux responsables du site. On travaille avec de vrais projets, en faisant appel à des personnes compétentes, passionnées si possible.
- l’existence d’un milieu hétérogène, avec diversité des âges : ce qui permet de privilégier la coopération entre élèves différents les uns des autres plutôt que la compétition entre semblables. Par exemple, on apprend à lire en voyant les plus grands le faire. L’apprentissage de la lecture se fait aussi naturellement que celui de la marche pour le jeune enfant, au rythme de chacun, avec ses tâtonnements propres mais sans méthode ou théorie préconçue.
- l’importance de la communication : à l’intérieur du groupe elle se traduit par une réunion quotidienne au cours de laquelle les enfants ont possibilité de :
- présenter leurs travaux terminés, faire un exposé, montrer une peinture,
- proposer des activités pour le groupe : idées de sortie, voyage, randonnées, demande d’intervention d’un “passionné“,
- faire part de projets personnels ou à plusieurs,
- organiser la vie du groupe : planifier les activités, les sorties, critiquer l’organisation spatiale ou temporelle, améliorer les outils disponibles ou en réclamer d’autres.
Quand l’enfant en ressent le besoin, la communication avec l’extérieur se fait grâce à des correspondants et aux classes du réseau Marelle3.
Les anciens élèves viennent régulièrement à l’école, ils parlent du collège et ces échanges les préparent aussi à la vie collégienne. La liaison école-collège est ainsi réelle et spontanée.
- L’école, lieu de vie d’un territoire : c’est une notion développée par Bernard Collot, à partir de son expérience personnelle. L’école est le centre actif du village, un lieu fréquenté non seulement par les élèves et l’enseignant mais aussi par les parents d’élèves, les anciens élèves, les élus municipaux, les responsables associatifs qui y viennent notamment pour utiliser le matériel de l’école.
Dans l’école du 3ème type, on vise à développer l’initiative, l’autonomie, la responsabilisation, l’épanouissement, à permettre que chacun augmente sa confiance en lui-même, obtienne la reconnaissance du groupe et s’appuie sur celui-ci pour son développement personnel et ses apprentissages. La mise en valeur des réussites et des progrès est facilitée par ce fonctionnement collectif.
L’enseignant a un rôle très important par sa manière de faire, par ce qu’il montre, souvent plus parlant que ce qu’il peut expliquer. Venir à vélo à l’école est plus démonstratif pour les enfants qu’un discours sur l’écologie. De même, sa parole a souvent plus d’impact par la manière dont elle est exprimée que par son contenu.
IPNS : Tu as parlé de la réunion à la Naute sur la communication non violente. Peux-tu nous en dire plus ?
Émilie : Ce thème a été abordé avec un intervenant, formateur en communication non violente. Ce n’est pas une technique miracle, mais une conception qu’on cherche à mettre en œuvre à l’école, et aussi dans la vie quotidienne des adultes. On peut résumer le contenu en 4 phases :
- on dit le fait sans jugement en se bornant à une description la plus objective possible,
- on dit ce que ce fait a provoqué : ça m’a vexé, fait de la peine, rendu triste, etc,
- on recherche à quel besoin correspond cette réaction : besoin d’être respecté, de bénéficier de calme, de silence, etc,
- on précise la demande qui en découle : je te demande d’arrêter, ou de t’excuser, ou d’avoir un nouveau comportement.
On vise à initier les enfants à ce type d’attitude dans les cours d’école; on espère ainsi aider les jeunes à être capables d’écoute, à exprimer leurs demandes, leurs réactions, leurs besoins. On peut ainsi aider les parents et les éducateurs à communiquer avec les enfants, ces derniers apprenant par là même à pratiquer ce type de communication.
IPNS : Quelle est la prochaine réunion publique du collectif ?
Émilie : Elle aura lieu le 17 septembre 2011, à Felletin, encore sur la communication, avec pour animatrice Isabelle Lequitte qui explore la méthode Faber et Mazlish4.
Propos recueillis par Jean-François Pressicaud
1 Maintenant à la retraite, Bernard Collot est l’auteur de l’ouvrage “Une école du 3ème type“ aux éditions l’Harmattan.
2 Auteur de “Une société sans école“, édition du Seuil, 1971
3 Serveur internet des Centres de Recherches des Petites Structures et de la Communication (CREPSC). Voir http://marelle.org
4 Adèle Faber et Elaine Mazlish, méthode de communication entre parents et enfants. Auteurs de “Parents épanouis, enfants épanouis“, chez Relations plus inc., 2009