Depuis la mise en eau du lac en 1950 le site de Vassivière et son territoire ont traversé nombre de vicissitudes et causé moult soucis et tracas aux élus locaux des communes qui le bordent. Le territoire de Vassivière peut être un très bon test témoin de la démocratie territoriale au moment où se réunissent à l’automne prochain ses états-généraux à l’initiative du nouveau président du Sénat. À son émergence, Vassivière est un territoire confronté à un double bouleversement social et paysager. Avec la fermeture des chantiers de construction des barrages le quelque millier d’aides familiaux agricoles embauchés depuis quatre ou cinq ans se trouvent contraints de prendre le chemin de l’émigration s’ils veulent poursuivre une activité salariale dont ils ont découvert les avantages au regard de leur situation antérieure. Ils rejoignent ce courant précipité par la poussée de l’urbanisation industrielle entre 1946 et 1960 de la plus forte hémorragie de sa population que la Montagne limousine ait connue depuis un siècle. La population résiduelle n’est plus en mesure de maintenir l’activité agri-pastorale traditionnelle. Pour ajouter à son désarroi l’Etat propose aux partants une prime supplémentaire en leur offrant l’installation de plantations résineuses sur les terres qu’ils abandonnent. Un cadeau empoisonné pour les communes en laissant aux élus le manque à gagner des exonérations trentenaires. En outre, désemparée par ces brusques bouleversements paysagers, cette agriculture demeure relativement hermétique à toute innovation pour s’adapter à son nouvel environnement agri-forestier.
Très vite, le lac de Vassivière, pour ses activités nautiques et de pêche, est apprécié par la population des bourgs environnants et cette attraction s’étend aux agglomérations urbaines d’Auvergne et du Limousin. Dès 1950 le yachting-club de Limoges établit une base de voile à Auphelle. En 1953 le Touring-club de France signe avec EDF une première convention pour l’usage nautique du lac, avant le décret de 1955 établissant entre l’Etat, les collectivités territoriales et EDF “l’autorisation d’exploitation touristique du lac“. Cette effervescence autour du lac suscite la spéculation foncière des offices notariaux des cantons limitrophes alors que de très rares élus locaux s’interrogent sur l’impact de ces transformations paysagères et sociales du territoire.
Un rapport établi en 1956 sur le potentiel avenir de Vassivière par des organismes nationaux d’aménagement du territoire donne prétexte aux autorités préfectorales de Creuse et de Haute-Vienne pour inciter les élus concernés par le territoire en périphérie du lac à créer un syndicat intercommunal pour l’expansion du tourisme et de l’agriculture aux abords des lacs limousins (SITALAC). Il faudra pas moins de dix années laborieuses en réunions et disputes pour parvenir à rassembler les élus des collectivités territoriales autour d’une volonté commune d’aménagement et de protection d’un site exceptionnel en privilégiant l’extension du domaine public
En décembre 1966 avec l’appui et le soutien des autorités préfectorales les élus du territoire autour de Vassivière parviennent à créer leur premier outil de démocratie territoriale en instituant le syndicat mixte de Vassivière (SIMIVA) réunissant des élus des deux départements et des cinq communes : Faux-la-Montagne, Royère et Saint-Martin-Château pour la Creuse, Beaumont-du-Lac et Peyrat-le-château pour la Haute-Vienne. Sous la houlette de Pierre Ferrand, maire et conseiller général de Royère, pendant une vingtaine d’années (1966-1984) les élus de ce nouveau territoire organisent les infrastructures nécessaires à son fonctionnement. Très et trop tôt, toutes leurs énergies se fixent autour des activités du tourisme. Dans la décennie 1970-1980 ils sont confrontés à une double contrainte : travailler à l’extension du domaine public pour se défendre des spéculations foncières et répondre à la pression du développement du tourisme social et associatif, fruit de la conjoncture des trente glorieuses .
“Ce fut en premier lieu la réalisation des villages de vacances de Masgrangeas et Pierrefitte. Ils étaient bien conçus dans la situation du moment. Mais nous avons voulu aller trop vite en construisant ces deux équipements en 18 mois alors qu’ici on sait laisser le temps au temps. Aujourd’hui on peut avoir quelques regrets ...“
(André Leycure, 1er octobre1996).
Le SIMIVA en concentrant tous ses moyens autour du lac et pour le tourisme n’a pas su ou n’a pas voulu entreprendre ce travail de concertation et de mutualisation intercommunale sur l’ensemble du territoire de Vassivière. À leur défense, ses élus couraient le risque de se heurter aux antagonismes des cultures politico-administratives de leur département. Cependant cette coopération intercommunale, même réduite au tourisme, présente de tels avantages que deux autres communes sollicitent leur adhésion au syndicat : en 1969 pour Gentioux-Pigerolles en Creuse et en 1975 pour Nedde en Haute-Vienne. D’autant que l’attraction touristique déborde largement le lac et ses abords pour s’étendre progressivement sur tout le territoire : création de structures d’accueil et d’animation à l’échelle communale ou intercommunale, développement des résidences secondaires.
Les lois de décentralisation étendent le champ de la démocratie territoriale avec la signature des contrats de plan entre l’Etat et les régions. En 1984 la région Limousin signe son premier contrat dans lequel le tourisme est reconnu comme une activité importante de l’économie régionale. Le conseil régional conscient de la place que le site de Vassivière peut prendre dans le développement touristique régional s’engage et adhère au syndicat le 5 juin 1985. La Région devient la collectivité majeure du syndicat et assure 40 % de son financement ; il prend le nom de Syndicat mixte interdépartemental et régional de Vassivière en Limousin (SYMIVA). Dans les deux dernières décennies du XX° siècle, pour parer à la baisse de la fréquentation touristique, il engage un investissement important avec la construction du Centre d’art contemporain (CAC) et l’installation du parc de sculptures sur l’île de Vassivière de 1989 à 1991. L’attente des touristes change, il convient d’impulser une dimension culturelle au tourisme d’espace et de découverte plus approprié au climat local qu’un tourisme de station balnéaire. Le syndicat crée la Maison du tourisme de Vassivière sous régime associatif.
À la fin de l’année 2000 avec la démission pour raison de santé d’André Leycure maire de Nedde et président du syndicat, c’est un vice président du conseil régional, Jean-Paul Denanot, édile de la région de Limoges, qui le remplace. Cette gouvernance régionale introduit de nouvelles habitudes qui font grincer des dents à bien des élus locaux : une équipe de direction étrangère à l’environnement local, un projet d’aménagement proposé par un grand bureau d’études national spécialisé dans l’ingénierie touristique la société Détente, la volonté de mettre en vente une part du patrimoine syndical, l’abandon du statut associatif pour la Maison du tourisme, la mise en cage de la passerelle d’accès à l’île de Vassivière… A son actif elle fait paraître en août 2002 le premier numéro de La Lettre de Vassivière annoncée en 1996, visant à informer et intéresser tous les acteurs du territoire syndical. Le directeur du Centre d’art contemporain, Guy Tortosa, d’origine limousine, parvient à introduire la collaboration du paysagiste Gilles Clément pour proposer une charte paysagère à l’échelle du territoire.
Les élections régionales de 2004 placent Jean-Paul Denanot à la tête de la Région. Renée Nicoux conseillère régionale de Creuse devient la présidente du SYMIVA et Stéphane Cambou, conseiller régional de Haute-Vienne, prend la présidence du CAC qui en 2005, avec sa nouvelle directrice, Chiara Parisi devient le Centre international d’art et du paysage (CIAP). Lors du forum social du Limousin des débats sont engagés sur le devenir de Vassivière et se prononcent résolument contre le projet Détente autour d’Auphelle cœur de station et dénoncent la démesure de son parc aqua-récréatif. à la même époque, Gilles Clément présente Boire l’eau du lac sa charte paysagère pour la mise en valeur du lac et son lien avec l’ensemble du territoire. Elle reçoit un accueil mitigé du SYMIVA qui ne s’empresse guère de la diffuser au public local. À la suite d’un audit sollicité par la Région et aussi des réticences du département de la Haute-Vienne pour payer sa part budgétaire, le syndicat entreprend une restructuration de ses fonctions en se fixant sur son rôle d’aménageur. Cette nouvelle orientation est confirmée par l’observation que formule la cour des comptes régionale sur la gestion syndicale. Elle l’incite à se défaire de son patrimoine pour centrer ses priorités et ses objectifs sur le projet touristique du site de Vassivière. Non sans grincement et réticence de la part des communes adhérentes à qui il impose le rachat des investissements qu’il y avait réalisé. C’est dans cette même perspective que le comité syndical décide en 2007 le transfert de la propriété de l’île et de son immobilier au conseil régional.
Dans son éditorial de La Lettre de Vassivière de décembre 2007 la présidente tire un “bilan positif de sa gestion rigoureuse conduite avec des gens attachés à leur territoire et soucieux de son avenir“.Elle annonce de probables changements au sein du comité syndical. A titre d’exemple, sur le plan de l’accueil et de l’animation touristique, le syndicat installe la Maison du tourisme à Auphelle et lui redonne un statut associatif. Cela lui permet de collaborer positivement avec les autres structures du tourisme autour du pays de Vassivière. Pendant trois ans (2006-2008) la Maison de Vassivière et le pays Monts et Barrages publient un seul et même calendrier des animations touristiques pour la saison.
Depuis son élection au conseil régional, Stéphane Cambou est membre du SYMIVA. Au départ de Renée Nicoux en mai 2008, il en devient le président. Il est maire de Chaptelat dans l’agglomération de Limoges et président de l’Agence technique culturelle du Limousin (ATCRL). Au cours d’un comité syndical en décembre et sans concertation avec les élus syndicaux, il annonce le changement de nom du syndicat qui devient Le Lac de Vassivière et leur présente son nouveau logo. Dans la première lettre qu’il adresse aux habitants du territoire il rappelle les compétences et les objectifs du syndicat qu’il présente sous l’emblème d’un navire toutes voiles dehors pour affronter les alizés. Dans les deux lettres suivantes dont il a modifié le titre et la maquette il présente les saisons 2009 et 2010. Avec bonheur il rend compte de l’incontestable réussite de l’achèvement du “sentier de rives qui enchâsse la perle du Limousin“ dont il a conduit les dernières phases. Mais avec la lettre d’avril 2010 c’est la dernière fois qu’il se donne la peine de s’adresser aux habitants du territoire. Son éditorial c’est “le coup de canon qui annonce des grandes opérations sur Vassivière“. Toutes les activités du syndicat sont désormais centrées sur le lac et son île. Il le donne à penser aux visiteurs lorsqu’aux accès routiers au lac il dresse, comme à Auphelle, des bornes de bienvenue et d’adieu pour bien signifier qu’au delà des limites du lac le syndicat-mixte-Lac-de-Vassivière a clos ses missions. Il le fait sentir en supprimant toute subvention aux nombreuses associations qui contribuent à l’animation touristique du territoire, ne privilégiant que celles qui sont sélectionnées pour des animations sur l’île. À nouveau il reprend la gestion de la Maison de Vassivière en régie et tente de la rapatrier sur l’île.
S’il néglige d’informer la population du territoire sur les choix syndicaux, à l’inverse il se lance dans une politique de communication vers l’extérieur et en la matière il ne manque pas de souffle. Depuis octobre 2010 en collaboration avec le groupe pétrolier limousin Avia-Picoty, vassal obligé de Total, le prédateur environnemental planétaire, il sponsorise des concurrents sur des grandes courses transatlantiques : route du Rhum, trophée Jacques Vabre, la solidaire du chocolat, la transat Québec-Saint-Malo. Les membres du comité syndical sont dans l’incapacité de détecter dans les colonnes budgétaires le coût réel de cette inscription du logo syndical sur la coque ou la voilure de ces géants des mers. Enfin, pour couronner cette alliance Lac-de-Vassivière - Avia-Picoty le projet de budget syndical pour 2012-2013 annonce l’implantation d’une station de carburants à Auphelle sur les berges du lac. A-t-il pris l’avis du Conservatoire national des rives lacustres dont la convention signée en 1999 et renouvelée en 2005 ne se limite pas à la seule gestion des propriétés syndicales ? Et qu’en pense la commune de Royère-de-Vassivière, qui vient d’investir lourdement pour se doter d’une station service opérationnelle, avec le soutien de la communauté de communes ?
L’organisation syndicale du territoire de Vassivière ne peut supporter encore longtemps ce régime d’autocratie territoriale mis en place par le délégué à la territorialité du conseil régional !
Alain Carof