Scène insolite à la caisse d’une grande surface. Fathia, demandeuse d’asile, paye avec sa carte de paiement les 40,03 € de courses de monsieur Dupont : une bouteille de whisky, deux tranches de jambon bio, un pain aux céréales et deux yaourts bio – pas vraiment ce que consomme une maman musulmane isolée avec deux enfants ! À la caisse voisine c’est Mamadou, célibataire, lui aussi demandeur d’asile, qui se propose pour régler les courses de madame Dubois : des couches et des petits pots. Une fois leurs achats payés, monsieur Dupont et madame Dubois remboursent en espèces Fathia et Mamadou.
Cette scène est une version bricolée du cash back (rendre de l’argent liquide). Cette pratique, légale depuis août 2018, permet de payer par carte dans un magasin un objet au-delà de son prix et de se faire remettre la différence en espèces. Les décrets parus en décembre 2018 fixent le montant minimum d’achat à 1 €, et le maximum d’espèces rendues à 59 €. Pour Bercy, « cette méthode a pour objectif de faciliter l’accès au retrait dans les zones où les distributeurs sont moins présents ». Remplacer les distributeurs bancaires par les commerçants ? On remarque le faible montant des espèces disponibles, s’agirait-il de limiter les transactions en liquide ? De favoriser les transactions dématérialisées et de contrôler ce que tout un chacun achète ?
L’Allocation pour demandeurs d’asile (ADA) est versée sur un compte. « À partir du 5 novembre 2019, la carte de retrait de l’ADA devient une carte de paiement. À compter de cette même date, la carte ne permet plus d’effectuer des retraits d’argent. Le nombre de transactions mensuelles n’est pas limité : la carte est donc utilisable autant de fois que le demandeur d’asile le souhaite, sous réserve que la somme disponible sur la carte soit suffisante. La carte est créditée au début de chaque mois, du montant de l’allocation à laquelle le demandeur d’asile a droit. Cette carte de paiement est utilisable uniquement en France, auprès de tous les commerçants disposant d’un terminal de paiement électronique.
Elle n’est pas utilisable en mode “sans contact”. Elle ne permet pas les paiements sur Internet et le demandeur d’asile ne peut pas demander le remboursement d’un achat sur la carte »2, ni la mise en place de prélèvements. Cette modification a été adoptée contre l’avis des associations et des organismes gestionnaires des lieux d’hébergement. Les motifs avancés par l’OFII seraient les suivants : cette carte coûterait moins cher que la carte de retrait et cela éviterait les trafics3 (?). En clair, il n’est plus possible au demandeur d’asile de disposer d’espèces sauf en utilisant le système de cash back, système de plus très limitatif au regard des sommes disponibles. Mais comment faire pour payer les quelques euros demandés par le secours populaire, faire ses courses au marché ? Comment vivre sans accès à de l’argent liquide ?
Casino mettrait en place un système de cash back, mais les caissières du Casino d’Eymoutiers n’ont jamais entendu ce mot ! En réalité, cela ne concernait que les caisses automatiques. Dans la région, le seul qui l’a tenté est à Limoges mais il a très vite arrêté l’expérience car il était débordé par les demandes. Ce jour, à notre connaissance, seule la cafétéria du CHU le pratiquerait. Le secours populaire s’est quant à lui équipé d’un terminal… Dans nos campagnes et provinces, le cash back est inconnu, d’où le bricolage décrit au début de cet article.
Éviter les trafics ? Il y a de forts risques d’assister rapidement au développement d’un système de prélèvement sur les sommes remboursées ! Hélas, ce ne sera ni le premier, ni le dernier trafic subi par les migrants suite aux multiples tracasseries et maltraitances de l’administration française.
La population étrangère est bien souvent une population test pour l’État. En ces temps de moralisation et de contrôle des classes dangereuses (les pauvres), est-il irréaliste d’envisager que des mesures similaires se mettent en place pour les bénéficiaires de diverses allocations, ce qui permettrait de contrôler l’utilisation de l’argent perçu ? Cela préfigure-t-il la disparition des distributeurs et la limitation de la circulation de l’argent liquide dans nos campagnes ?
1 ADA : Allocation pour demandeurs d’asile versée par l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), variable en fonction du nombre de personnes dans la famille et de la situation d’hébergement. Le montant mensuel correspond environ à un tiers du RSA. C’est la seule allocation à laquelle ont droit les demandeurs d’asile.