À la lettre D de notre abécédaire (IPNS n° 60), nous avions évoqué la « formidable équipe du Limousin », qui – dans les années 1970 et au début des années 1980 – sous la conduite de Francis Duteil, avec Michel Dupuytren et Marc Durant, « collectionnait les victoires et les places d’honneur au niveau national ». Les hasards de l’ordre alphabétique avaient conduit à moins insister sur la présence dans le groupe d’Yves Nicolas ; il figure néanmoins sur la photo qui illustre l’article, celle des Limousins de l’équipe de France amateur sur le Tour du Limousin 1978. La chronique d’aujourd’hui va mettre à l’honneur celui qui fut un des meilleurs coureurs régionaux de la décennie 1970, une période dorée pour le cyclisme limousin.
Yves a débuté en 1970 au CRCL (Cyclo Racing Club Limousin), club où il restera jusqu’en 1977, l’abandonnant l’année suivante en compagnie de Michel Dupuytren pour l’ACLBP (Association Cycliste Limoges Bussière-Poitevine), scission du CRCL, et rejoignant en 1979 l’UC Briviste. Dès ses débuts en compétition, il obtient d’excellents résultats : 4e du challenge du Limousin cadets (1972), il remporte le Premier Pas Dunlop en 1973. Il éclate véritablement en 1974. Cette année-là, il s’adjuge 11 victoires, terminant 8e au championnat régional à Brive, au parcours très accidenté. Son résultat l’installe d’emblée parmi les meilleurs régionaux. Ce même championnat est une épreuve qu’il affectionne, dans laquelle il collectionne les places d’honneur :
Sélectionné à quatre reprises pour le championnat de France, il y obtient sa meilleure place en 1978, 9e. Il en garde pourtant des regrets car ce jour-là, une petite erreur d’inattention le prive de l’échappée finale à trois, dans laquelle il aurait pu jouer le titre au sprint.
Yves Nicolas était bon sur tous les terrains : grimpeur de qualité, il possédait aussi de solides aptitudes de rouleur, tout en étant un sprinter très efficace. Mais ce qui en faisait un coureur sortant de l’ordinaire était son sens tactique : il « sentait » la course, c’est-à-dire qu’il était capable à tout moment de réagir aux opportunités de l’épreuve, tout en économisant ses forces. Il savait se projeter dans la bonne échappée, et se désintéresser des tentatives vouées à l’échec.
Dans le duo qu’il formait avec Michel Dupuytren, c’était généralement lui qui dirigeait la manœuvre. Dans le cyclisme sur route, la tactique est un facteur de réussite au moins aussi important que la force brute. Il est bien dommage que dans le cyclisme professionnel actuel, les coureurs soient privés de leur pouvoir de décision et d’initiative au profit des directeurs sportifs qui – grâce aux oreillettes – se comportent comme des généraux en campagne. Yves Nicolas n’avait ni directeur sportif ni même d’entraîneur pour lui dicter sa conduite, ce qui ne l’a pas empêché de se bâtir un palmarès impressionnant. Le nombre de ses victoires suscite l’admiration : 10 victoires en 1978, 14 en 1980… Mais le plus remarquable est sa régularité aux places d’honneur : en 1976, il termine 46 fois dans les dix premiers, et en 1978, on le retrouve 34 fois dans les cinq meilleurs.
On peut aussi noter que des courses très réputées l’ont vu triompher : les Boucles de la Haute-Vienne, où il a gagné plusieurs étapes et deux fois le classement final, les Boucles du Bas-Limousin en 1980 et 1982, le Circuit Monts et Barrages, le Tour du Lot-et-Garonne en 1978. Il a de plus brillé avec l’équipe du Limousin au Tour d’Ampurdan (Espagne), où il termine à la 2e place (1980). Yves Nicolas demeure ainsi un des fers de lance du cyclisme régional des décennies 1970 et 1980. Cette période dorée voyait les clubs organiser de multiples épreuves : 1970 par an pour le CRCL et des dizaines pour les autres clubs (UVL, UC Briviste, AC Creusoise, VC Aubusson, VC Ussel, VC Tulle...). À partir de ce vivier, le petit comité du Limousin a compté dans ses rangs un double champion de France (Duteil), trois professionnels (Marc Durant, Frédéric Brun, Alain de Carvalho), sans oublier plusieurs coureurs du même niveau restés amateurs, sans doute pour préserver une part de plaisir dans la pratique sportive. Yves Nicolas et Michel Dupuytren étaient de ceux-là.
Jean-François Pressicaud