- T’en fais une tête mémère !
- Dis donc Arsène, je te rappelle qu’il y a 25 ans tu as épousé une nana prénommée Suzanne et pas mémère ! Sinon je peux toujours t’appeler gros-père avec le poids que tu as pris ! Donc oui je suis en rogne ! Au marché ce matin, j’avais mon masque, j’ai croisé Jules, tu sais bien l’adepte de Raoult.
- Ouais…
- Tu sais ce qu’il me sort ? Eh bien il ose me dire : « Tiens tu es de sortie ! » Alors, non seulement il refuse le masque et se tient trop près des gens, d’ailleurs il a pas apprécié que je me recule quand il s’est rapproché, mais en plus si je l’écoute, cela voudrait dire qu’à mon âge et avec mes soucis de santé je n’ai plus le droit de circuler ! Au rebut la vieille ! Alors que, je te rappelle, je passe plusieurs heures par semaine pour l’association. Même Paul, qui me sort un salmigondis où il mélange gilets jaunes, retraites, manif pour l’hôpital en disant son ras-le-bol et hurlant qu’on ne l’écoute pas !
- Remarque c’est pas complétement faux. Non c’est pas toi, mais quand on a un président qui se nomme lui-même Jupiter, qui confond écoute et manipulation : on s’est payé les gilets jaunes suivis du grand débat, la convention citoyenne pour le climat, le plan Ségur pour l’hôpital après 30 ans de réductions (pardon, de « rationalisation »). Bref qui dit : « je vous écoute » mais en fait qui s’en bat l’œil. Les cafouillages autour de la gestion de l’épidémie, les coups de menton alternant avec le paternalisme... Relis Orwell, c’est plus que jamais d’actualité : novlangue et ennemi invisible, la guerre permanente. Y’a de quoi péter un câble…
- Oui mais quand même on ne peut pas tout mélanger : les incohérences du gouvernement et l’oppression avec une réalité qui est la présence d’un virus augmentant régulièrement. En juin on était encore épargnés, depuis la fin de l’été ça monte et des personnes proches sont atteintes. C’est pas une maladie bénigne, tu as vu Marie cet été, même après des formes mineures il y a des séquelles. Alors dans la mesure où cela se transmet par la salive et les postillons, un masque est protecteur pour ton vis-à-vis et dans une moindre mesure pour toi. Cela me semble évident, de même que de se tenir à une certaine distance. Puisqu’il y a des formes asymptomatiques, on ne peut pas dire que nos proches et même nous ne sommes pas contaminants. Donc je crois qu’il faut porter le masque le plus possible et sans doute, si cela continue, même chez nous quand on se voit en famille et entre amis… Sinon il va se passer qu’on va confiner les désignés fragiles, les vieux et les malades et on ne pourra plus rien faire. Et eux avec leur révolte, ils se trompent de cible : ils dansent sur le volcan ! Jules a à peu près notre âge, qu’il prenne des risques pour lui cela le regarde à la rigueur, le problème est qu’il nous en fait courir à nous aussi. On est tous liés.
- Donc tu dirais que le masque c’est la liberté ?
- Je crois oui, au moins celle d’aller et venir.
- Justement, on va à la manif demain ? Je prends ma ventoline et toi ta trinitrine ? Et une canne est-ce que ce serait raisonnable ?
-Trop tard chérie, pendant que tu étais au marché, ils ont déclaré le confinement, sauf pour les travailleurs et nous on est retraités. Ils ont trouvé moyen de confiner les vieux… Enfoirés ! Comme dirait Paul !
-Manifester est un droit constitutionnel. On y va donc, masqués, à distance et munis d’une attestation ad hoc, il y en a qui circulent sur internet.
Dominique Weber