En accueillant les 234 migrants secourus en mer et passagers de l’Ocean Viking dans le port de Toulon le 11 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur Darmanin a sollicité les autres pays européens pour en accueillir les deux tiers. Bilan numérique : la France accueillera entre 88 et 64 exilés (selon que les mineurs non accompagnés sont inclus ou non dans ce compte). Il en profite pour se défausser de l’accueil des 3 500 exilés qui devaient être transférés de l’Italie vers la France selon les accords de relocalisation européens. Même si les autres pays refusaient de recevoir les passagers de l’Ocean Viking, il reste gagnant.
44 mineurs non accompagnés vont être évalués par l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Certains seront déclarés majeurs et rejoindront les adultes. Des députés, des membres de l’ANAFE (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) et quelques journalistes ont pu pénétrer dans le centre de vacances qui sert de zone d’attente. Les conditions d’accueil gérées par la Croix rouge seraient correctes (nourriture, hygiène des locaux vêtements pour ceux arrivés torse nu et sans chaussures). Il y a plus de policiers sur les coursives que d’exilés afin d’éviter toute fuite. La vue est belle, mais cela effacera-t-il l’accueil glacial et la fouille au corps à l’arrivée ?
Dans un communiqué, l’ANAFE dénonce les multiples violations du droit d’asile (www.anafe.org). Les personnes doivent porter un bracelet d’identification de différentes couleurs et les contacts avec l’extérieur sont restreints et contrôlés. Les adultes ont déjà débuté les entretiens avec l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour évaluer le « caractère manifestement fondé ou non de la demande d’asile. » Entretiens d’une demi-heure à trois quarts d’heure avec traduction téléphonique qui semble défaillante. On s’inquiète des conditions de passation de ces entretiens pour des personnes très vulnérables, traumatisées, sidérées voire confuses suite à leur voyage (certaines ont connu les geôles de Lybie), sans compter les raisons qui les ont poussées à partir. Pas d’aide d’associations pour préparer ces entretiens. Des documents ont bien été remis à l’arrivée mais ont-ils été compris ? Qui va informer ces personnes des possibilités de recours, leur donner les contacts d’avocats ? Qui va assurer les soins physiques et psychiques qui selon l’équipage de l’Ocean Viking sont nécessaires ?
Accueillir correctement 230 personnes est pourtant possible. L’accueil fait à ces personnes est indigne. L’humanité consisterait à leur laisser le temps de récupérer, de penser, de dormir, de s’habituer à un nouvel environnement. Dans sa hâte à se débarrasser des exilés, le ministre impose urgence et précipitation au risque de pertes de chances là où il s’agit d’avenir et pour certains de vie ou de mort. Alors que l’étude d’une demande d’asile est individuelle, certains seraient déjà éliminés d’emblée du fait de leur nationalité alors qu’il est possible qu’ils soient en grand danger dans leur pays. D’expérience nous savons que le prouver prend du temps.
Le drame de l’Ocean Viking est de résultat de politiques migratoires basées sur le rejet de l’autre que ce soit vers la misère en Turquie, les tortures libyennes, dans la boue et la neige des campements, des forêts et des marais aux frontières de l’Europe, dans les flots de la Méditerranée, de la Manche ou sur les barbelés de Ceuta et Melilla. Il s’agit de rejet physique avec risque mortel. Les accords Dublin ont pour conséquence de faire porter aux pays frontaliers le poids des arrivées et les politiques de relocalisation ne fonctionnent pas comme s’en plaignent ces pays. L’Italie, Chypre, Malte et la Grèce demandent ainsi à la Commission européenne de tenir une discussion « urgente et nécessaire (…) sur comment mieux coordonner » les opérations humanitaires en Méditerranée.
Au final, la quasi-totalité des adultes enfermés a été libérée par les juges du fait de l’impossibilité de statuer dans le temps imparti vu le nombre de dossiers. Tout ça pour ça ! À force de tordre le droit et les droits, le ministre a fini par se prendre les pieds dans le tapis. C’est quoi ce ministère qui ignore les lois qu’il est censé appliquer ? Annulons les accords Dublin et laissons les exilés choisir leur pays d’accueil. Cela nous coûtera bien moins cher et on peut supposer qu’ils se répartiront dans les différents pays pour peu que nous nous donnions la peine de bien les accueillir. Peut-être certains rescapés de l’Ocean Wiking viendront ils s’échouer parmi nous ?
Dominique Weber-Alasseur