Pour prendre le départ du traditionnel Prix de la Place de la Nation à St Yriex, Francis Duteil, étoile montante du cyclisme périgourdin, a posé les béquilles qui l’ont aidé à aller jusqu’à son vélo. Un an aupravant, le lundi de Pâques 1966, à Nontron, il a été victime d’un très grave accident en course, percuté par une voiture arrivant à contresens ; il en gardera des séquelles toute sa vie. Bien avant d’être guéri, il a repris tant bien que mal l’entraînement et même la compétition tout en ayant encore besoin de béquilles. Les meilleurs régionaux sont au départ, notamment le groupe des limougeauds réunis autour de l’ex-professionnel Hubert Fraisseix, ami de Raymond Poulidor avec qui il a débuté la compétition. Avec ses alliés, Fraisseix a mis sur pied ce que le règlement appelle une « entente en course », prohibée entre coureurs de clubs différents, pour les amateurs de cyclisme les plus au fait des mœurs du peloton, cette alliance est qualifiée de « mafia » : le groupe fonctionne comme une équipe, avec mise en commun des efforts de tous et partage les gains. Mais, « les affaires étant les affaires », les mafias ne font pas de sentiment avec ceux qui ne font pas allégeance. Ainsi, peu après le départ de la course de St Yriex, Duteil attaque et s’échappe avec Fraisseix dans sa roue qui refuse obstinément de le relayer mais le saute sur toutes les primes, et, à l’arrivée, Fraisseix l’emporte sans vergogne. Même les spectateurs les plus ignorants des pratique du peloton ont, ce jour là, compris l’inélégance (c’est un euphémisme) du procédé.
Francis Duteil n’eut pas un mouvement de révolte, qu’il savait vain ; il était depuis longtemps informé de ce fonctionnement puisque son père Marius fut, avant lui, un des meilleurs coureurs régionaux (champion de Limousin 1947). Il se rassurait en sachant que Fraisseix, obligé de partager ses gains avec ses alliés, avait gagné moins que lui, et en se disant qu’il prendrait bientôt le dessus sur ces alliances âpres au gain ; ce qu’il réalisa dans les années qui suivirent, notamment lorsqu’il écumait les plus belles courses du Limousin, du Poitou-Charentes et d’Aquitaine avec Michel Dupuytren, Yves Nicolas et Marc Durant. Rappelons qu’il a été deux fois champion de France amateur en 1976 et 1979. Aujourd’hui, Hubert Fraisseix a 86 ans, et il évoque avec une certaine fierté cette époque où « il était le chef » et « c’était lui qui faisait le partage ». Il ajoute que c’est à ce moment-là qu’il a compris qu’il était un meneur d’hommes, qu’il avait des qualités de manager, et il affirme que cette expérience lui a beaucoup servi quand il est devenu chef d’entreprise, domaine dans lequel il a connu la réussite.
Depuis la tour du Puy d’Yssandon, on a un point de vue remarquable sur le bassin de Brive, qui s’étale en contrebas. Yssandon, bourg proche d’Ayen, a vu se dérouler, chaque dernier week-end d’août, de 1966 à 1985, une course cycliste réputée pour la difficulté de son parcours. Réservée aux coureurs régionaux, contrôlée par l’UC Brive, elle a vu des coursiers de belle renommée inscrire l’épreuve à leur palmarès.
Les brivistes sont les plus nombreux : J.P. Borderie, Raymond Cluzant, Guy Massias, Guy Le Solliec, Pascal Peyramaure, encore junior, en 1984, et J.C. Broussole, sont tous montés sur la plus haute marche du podium. Plusieurs coureurs de la Dordogne figurent également au palmarès : Patrick Duteil (CC Périgueux), Francis Galy (Sarlat), Robert Bibié (CCP) et Stoïkovitch (Bergerac). Marc Lagrange, le creusois de la Souterraine, et le limougeaud (UVL) Guy Biojout font figure d’exception.
Parmi ces vainqueurs, seul Pascal Peyramaure a connu le professionnalisme : avec Z Peugeot en 1988 et 1989 et Mosoca en 1990. La course d’Yssandon est un bon exemple de ces multiples courses organisées en Limousin, des années 1960 aux années 1990, qui ont permis à de très nombreux cyclistes de pratiquer leur sport prés de chez eux et, pour les meilleurs, de débuter leur carrière.