En 1631, Louis XIII régnait sur le pays, assisté de son fidèle Richelieu. Un voyageur allemand, Abraham Göllnitz, originaire de Prusse orientale (Dantzig), avait décidé de parcourir une bonne partie de la France du sud. L’original de son récit – écrit en latin – est aujourd’hui introuvable. Pourtant, nous avons la chance de disposer du commentaire de son oeuvre par un historien auvergnat, Ambroise Tardieu, qui publia en 1882 : “Curiosités de voyages, de Limoges à Clermont“.
L’ouvrage a beau être de seconde main, il présente l’avantage d’assortir les nombreux extraits traduits, de commentaires et notes très intéressants. C’est grâce à eux qu’on peut reconnaître le bourg actuel de Crocq dans “Croye“, et un peu plus vers l’est le village du Chez (commune de Basville) dans “Auchère“. Mais pourquoi un voyageur au long cours comme notre Abraham a-t-il été amené à traverser des lieux aujourd’hui à l’écart des grandes routes ? Voici l’explication.
Venant de Limoges par Sauviat-sur-Vige, Göllnitz a suivi un itinéraire plus au sud de la nationale reliant aujourd’hui Bourganeuf au Puy-de-Dôme, par Aubusson. Il s’agit tout bonnement de la marge nord de notre cher Plateau. Et ce que relate le cavalier – il voyageait toujours à cheval – est assez savoureux, enfin aujourd’hui, on peut le prendre avec humour. Arrivant près du relais de poste du Compeis (x) – alors paroisse – il précise : “Cette province est mal cultivée. J’en accuse, non la qualité des sols, qui est fertile, mais l’incurie primitive des habitants“ ... Ça commence bien ! Un peu plus loin : “Le peuple de la campagne se livre au commerce des oeufs, et en passant, on rencontre peu de vaches“. Vous voyez bien que Millevaches n’a rien à voir avec les bêtes à cornes ! De l’agriculture prospère alors ? Que nenni : “Rien n’est plus fréquent que les champs remplis de pierres“ ajoute le voyageur. “Point de forêts, quelques arbres isolés“. Une nature âpre, vous l’aurez compris, mais les gens alors ? En arrivant à la ville, le tableau allait-il s’améliorer ?
En effet, Abraham fit halte à Felletin, “petite ville ... où l’on fait des tapisseries“... et où “nous remarquons les magnifiques poissons que fournit la Creuse“. Enfin, un peu de positif : “Il y a là de grandes foires et un grand concours de Limousins“. Non, non, ce n’était pas encore l’élection de miss plateau, mais “une grande affluence“. Après cette étape, qui lui fit malheureusement ignorer les trésors lissiers d’Aubusson, tout allait se gâter de nouveau : “Rien à noter sinon la difformité des visages et la malpropreté des gens“. Dois-je en dire plus ? Le voyage se poursuivit, alors “qu’à droite se profilent les monts d’Auvergne“, et notre Allemand de noircir encore le tableau, sans doute épuisé par “les cols ardus, les chemins pénibles et escarpés“. Il y avait bien tout au long, de braves petits Creusois, mais Abraham les trouva “rudes et vivant grossièrement“. Enfin, arriva le coup de grâce : “leur vin acide leur paraît un nectar; il rend malade les étrangers“. Il faut là préciser que, jusqu’à ce que les routes soient plus carrossables, on utilisait pour son transport, des outres et non des amphores, de là l’expression bien connue : il est plein comme une outre. Un peu plus loin se profila alors la Combraille auvergnate, avec Pontaumur, où tout devient enfin... beau. Mais là, ça n’est plus chez nous !
Et pourtant, Abraham avait emprunté la meilleure route de la région, dite route militaire de Limoges à Clermont, suivant le tracé de l’antique voie romaine d’Agrippa. Celle-là même qu’avait parcourue un demi-siècle plus tôt – mais à l’inverse - notre célèbre Montaigne. Voulez-vous savoir ce qu’il en disait ? Eh bien, il faudra vous abonner à IPNS.