En octobre 1999, l’UE via le “processus de Tampere“ met l’accent sur les politiques d’asile et de migration, et porte l’idée que, pour réduire les tentations aux départs, il faut améliorer les conditions de vie des habitants dans leurs pays d’origine: lutter contre la pauvreté, favoriser la création d’emplois, soutenir les structures démocratiques. Un système d’asile commun, sur la base de la Convention de Genève, est également initié. “Le Conseil de Tampere souligne que la liberté, la sécurité et la justice dont jouissent les citoyens de l’UE doivent être accessibles à ceux qui, poussés par les circonstances, demandent légitimement accès au territoire de l’Union“. Ces propos vertueux sont de moins en moins actuels. Depuis des années l’UE passe des accords avec différents pays tiers (processus de Rabat (2006) puis de Khartoum (2014), accords de La Valette ( 2015 et 2016), accord Turquie UE (2016), accord UE l’Afghanistan (2016) prévoyant le renvoi de 70 000 personnes etc.). Le but consiste essentiellement à empêcher les migrants de rejoindre l’Europe, en les incitant à rester dans leur pays d’origine et favoriser les expulsions en signant des accords de réadmission. D’un côté, l’UE finance des formations de surveillance, de formation policière et des projets de développement. De l’autre, ces pays renforcent leurs patrouilles aux frontières et établissent des camps (le sort des migrants africains au Maroc est largement documenté !). En Afrique de l’est, les pays concernés sont des dictatures ou des pays en guerre (Érythrée, Libye, Soudan du Sud, Éthiopie), un rôle pivot étant donné au Soudan, en guerres civiles depuis plus de trente ans et dont le dictateur est recherché par la Cour Pénale Internationale pour génocide et autres crimes. Ce serait un ancien Janjawid (milices proches du gouvernement et responsables d’exactions graves au Darfour) qui serait chargé de la surveillance à la frontière libyenne ! Ce sont ces pays que l’UE cherche à empêcher leurs ressortissants de fuir, et ceux des pays voisins de se rapprocher de l’Europe. Certains états membres passent des accords directement avec les pays tiers : l’Allemagne, a le projet de financer la création de deux centres de rétention au Soudan et de fournir à la police soudanaise des technologies de contrôle sophistiquées. L’Italie a négocié avec le Soudan un accord de réadmission facilitant les expulsions. Les propositions de traiter les demandes d’asiles à partir de ces pays apparaissent irréalistes puisqu’ils n’ont pas de législation sur la question. Avec le laissez-passer européen (LPE) (2017), l’UE marque une étape supplémentaire de la stratégie d’externalisation de sa politique migratoire. Ce document de voyage, délivré par les Etats membres de l’UE - et eux seuls -, permet d’expulser une personne sans qu’elle ait été identifiée par le pays “tiers“ dont elle est supposée être originaire, et donc sans laissez-passer consulaire, au mépris de ses droits et du principe d’égalité entre Etats souverains.
Enfin l’Italie vient de passer un accord avec la Lybie (où les migrants sont enfermés, battus, violés et vendus en esclavage), et la Libye a élargi son espace de surveillance à 100 miles de ses côtes interdisant l’accès et menaçant les bateaux de sauvetage des ONG qui viennent pour la plupart d’interrompre leurs missions….. La distance de 100 miles ne peut pas être atteinte par les bateaux pneumatiques actuellement utilisés par les passeurs depuis que l’Europe détruit les bateaux de bois. Pour la première fois, l’Aquarius encore sur zone n’a vu aucune embarcation, on ne sait pas ce qu’il advient des candidats au départ.
En dépit des sommes considérables engagées, ces mesures en 20 ans n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, les migrants arrivent toujours car leurs raisons sont impérieuses. Par contre les routes sont de plus en plus dangereuses, de plus en plus meurtrières (mais les morts allant s’échouer hors de notre vue heurteront moins les âmes sensibles) et les passeurs de plus en plus riches. La politique de toujours plus de murs, a en commun avec la prohibition d’être inutile et de favoriser les mafias. Et si on ouvrait les frontières ? Les passeurs n’auraient plus de raison d’être. Les personnes viendraient, tenteraient leur chance et pourraient repartir si elles le souhaitent, sans dette au pays, la tête haute, sans compter que l’argent envoyé à la famille ferait bien plus pour l’économie locale que bien des programmes de développement. Les politiques actuelles ne font que créer des clandestins, générer de la précarité et de la souffrance. Elles enferment ceux qui arrivent ici dans une nasse dont ils ne peuvent sortir.
Dormons en paix ! Notre président nous promet des rues propres, débarrassées des demandeurs d’asile non hébergés, envoyés dans des centres de tris, une accélération des procédures d’asile sans d’ailleurs préciser avec quels moyens ni quelles garanties, (cf. article précédant sur les déboutés persécutés au pays), une meilleure application des accords Dublin, et l’expulsion systématique des déboutés….
Pendant ce temps au niveau local, les usines à créer des déboutés (les CADA, en dépit du dévouement de leurs personnels qui ne font que subir la situation) continuent de fonctionner, les hébergements saturent, les OQTF s’accumulent, les titres de séjour n’arrivent pas et sont précaires, les exilés dépriment et nous avons bien du mal à suivre. Sans doute faudra-t-il réfléchir à d’autres formes de solidarité et d’actions.
Cimade Eymoutiers :