Connaissez-vous le film “L’anglais qui gravit une colline, et redescendit une montagne“ ? (Christopher Monger, 2003), avec le beau Hugh Grant. Ce que je vais vous raconter a un peu de ces beaux débats géographiques.
Comme tout le monde le sait, ou devrait savoir, le point culminant de la Haute-Vienne est le Mont Crozat, qui domine le Lac de Vassivière, à 777 m. Une légende tenace, perpétuée par l’Office Départemental de Tourisme – si, si, c’est vrai, plusieurs touristes me l’ont dit – le “vrai“ sommet est le Mont Gargan. Or notre grosse taupinière granitique culmine à 735 m ! De plus, il y a quelques jours, je consultais quelques aimables présentations de nos jolis paysages, découvrant l’imposture : le point culminant ne serait pas non plus le bois de Crozat, mais le Puy Lagarde (795 m). J’ai même trouvé incidemment le Mont Louzat (755 m). L’amusant est que chacune de ces hauteurs se trouve sur une commune différente, et voisine : Peyrat-le-Château, Beaumont-du-Lac, et Nedde. Ça sent légèrement la querelle de clocher.
Alors, armé de patience, de courage physique, d’un petit rapporteur (merci Pythagore), d’une boussole, et d’un pifomètre (finalement, c’est suffisant), je me lance dans une enquête de terrain. Je néglige le Mont Gargan, les souvenirs de 1944, je sature un peu. Poursuivant, je snobe le bois de Crozat, d’où l’on ne voit pas grand chose, ni d’en bas, ni d’en haut. Et puis, 777 m, ça n’est jamais que 2 m de plus que le tumulus du Puy La Besse, tout près. Les nommés ne m’intéressent pas beaucoup, je veux connaître tout de suite le gagnant. Après tout, il suffit de lire une carte. Mais pour la question du Puy Lagarde, depuis que wikipédia fait fureur, le mystère se corse – j’ai failli dire se creuse. Si vous vous rendez sur place, vous comprendrez la différence entre une colline et une montagne. Depuis un petit carrefour, entre Beaumont et La Villedieu, on suit un chemin en assez mauvais état. On passe alors de 730 à 795 m. Souvenir d’école pour les moins jeunes, règle de 3 : 65 m en 600 m, alors ? 11 % de dénivelé. De la gnognotte dirait Christopher Froome, et son vélo magique. Vous n’aurez qu’à essayer. Mon chien a bu deux litres d’eau au retour. En redescendant vers le hameau de Croux (Nedde), c’est pareil, gare aux gadins ! Le petit poucet est passé par là avec de (très) très gros cailloux. Mais revenons au sommet, le lieu est dit “des Trois Croix“. Elles sont bien là, un peu encombrées de fougères et genêts. Et on se rend vite compte, qu’elles sont à 10 m du chemin, du côté … Creuse, donc commune de Faux. Eh bien, en voilà un autre point culminant, Madame Moulin, vous voyez bien que c’est vrai, la Montagne. Voilà la preuve : le plus haut sommet de Haute Vienne n’est pas le Puy Lagarde. Ouf ! crie M. le maire de Peyrat. Mais, car il y a un mais … Si on fait 20 pas vers l’ouest, on est en Haute-Vienne. La carte confirme, on y voit très bien la courbe de niveau. Au milieu des sapins, jadis bruyères, le “point culminant“ est bien là, à 790 m. M. le maire de Beaumont jubile.
Ça fait belle lurette qu’on sait mesurer les altitudes, les égyptiens déjà. On dit bien “au niveau de la mer“, mais réchauffement climatique ou pas, elle ne montera jamais jusqu’ici. Alors, pourquoi chipoter avec des “c’est moi le plus haut“ ? D’abord, parce qu’avant 1790, nos anciens ignoraient qu’ils vivaient en Creuse ou en Haute-Vienne. Forcément, les beaumontois (pas encore du Lac) et les fallois (me trompe-je?) étaient tous “en Marche“ (le comté, pas l’autre!). Il leur suffisait d’ailleurs de lever un peu le nez, regarder au loin, les reliefs étaient bien visibles. Mais aujourd’hui, le progrès est passé par là, et les planteurs de sapins aussi, plus besoin de regarder, c’est écrit. Les guides touristiques et leurs étoiles, les sites internet, les panneaux signalétiques (quel joli mot, folie les mots !), etc … le jeu du “je suis plus que toi“ en vaut-il la chandelle ? Because on n’en a plus, de chandelle.
Cette petite enquête m’a tout de même valu une belle balade. Mais ma conclusion est assez triste : d’abord, tout le monde a tort, tout le monde a raison aussi. Et surtout, parlons-en des beaux panoramas. Le Puy Lagarde ne se voit ni d’en bas, ni d’en haut. On ne le voit de nulle part. Il faudrait classer les paysages et panoramas au Patrimoine de l’Unesco, c’est un bien commun, non ?
La prochaine fois, je vous parlerai de la Montagne qui cache un plateau, et du Plateau, dont on fait toute une montagne. Mais avant, je dois aller vérifier un détail devenu d’actualité : quel est le point culminant de Creuse Grand Sud ? Parce que celui de la Creuse tout court se trouve à Saint-Oradoux-de-Chirouze (932 m), commune membre de Haute-Corrèze-Communauté ! Pour la Corrèze justement, pas de souci avec le Mont Bessou (976 m), sans discussion le plus haut sommet, mais le point culminant ne serait-il pas en haut de la tour ?
N.B. Faux-la-Montagne possède 80 (!) points supérieurs à 700 m, (dont 5 de plus 800 m), mais Gentioux 25 supérieurs à 800 m. Quant à Féniers, c’est la reine des 900 : 8 (pas nombreux certes, mais la commune est toute petite). Alors, c’est qui le plus haut ?
Émile Vache