Pigerolles

  • De l'An zéro au zéro pointé à Dominique Simoneau

    Le feuilleton de l’été, sur le Plateau, aura été l’An zéro. Un festival écolo-people qui a fait pfuiiitttt mais dont l’annulation a fait les choux gras de quelques élus qui en ont profité pour sortir la grosse artillerie par réseaux dits sociaux et médias interposés : Dominique Simoneau, maire de Gentioux, Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse (décidément héros de ce numéro d’IPNS !) et quelques seconds rôles... Résumé des principaux épisodes.

     

    Les Dix Commandements

     

    Acte 1 : la bonne parole tombe sur le Plateau

    La transition écologique est nécessaire. Maxime de Rostolan est son prophète ! La Montagne avait vendu la mèche en février en évoquant l’éventuelle tenue d’un énorme rassemblement citoyen pour l’écologie, “un nouveau Larzac 2003“, à Pigerolles sur la ferme de Jouany Chatoux pour le dernier week-end d’août. 200 000 personnes étaient évoquées, chiffre assez vite revu à la baisse (50 à 60 000 personnes), l’agriculteur de Pigerolles désamorçant les inquiétudes qu’un tel nombre de visiteurs n’ont pas manqué de susciter. La confirmation du festival n’est tombée qu’en mai. En une, et sous les auspices de Marion Cotillard, La Montagne confirmait : “Un festival écolo de masse, baptisé l’An zéro, se précise à Gentioux-Pigerolles (Creuse) fin août.“ Trois mois avant l’événement, à part quelques initiés, personne en réalité n’était au courant des tenants et aboutissants de cette méga-teuf. Si une petite délégation d’organisateurs est bien venue faire des repérages et rencontrer quelques locaux, dont IPNS, ils n’ont pas vraiment jugé bon d’organiser une information générale sur leur événement. Les trois personnes rencontrées par IPNS, jeunes, enthousiastes, dynamiques, plein de générosité et d’énergie, croyaient dur comme fer au bien fondé d’un événement dont ils semblaient convaincus qu’il allait faire “basculer“ notre pays dans la transition écologique. Nous ne leur avions cependant pas caché les réticences qu’une telle opération pourraient susciter localement, ce que les questions que nous leur avons aussitôt posées ne dissimulaient nullement (voir leurs réponses dans IPNS n°67, page 6).

     

    Acte 2 : qui se cache derrière l’An zéro ?

    L’affaire méritait qu’on s’y penche de plus près. Dans le même numéro d’IPNS, nos contributeurs Zig et Puce ont dévoilé les accointances de Maxime de Rostolan, le grand prêtre de la grand-messe, avec la Macronie, comme le faisait de son côté, sur le site Lundi matin, Serge Quadruppani. L’article de Zig et Puce étant repris sur le site de Reporterre, la polémique a très vite enflé bien que les éléments mentionnés dans ces deux textes initiaux ont été confirmés pour l’essentiel par une enquête menée par Reporterre1. Quelques opposants à l’An zéro, dont l’écrivain Serge Quadruppani, ont alors décidé d’organiser le 2 juillet 2019 une réunion d’information pour expliquer de vive voix les raisons de cette opposition. Nous étions à moins de deux mois de l’événement et encore aucune information officielle n’avait été programmée par les organisateurs. Les deux articles et l’annonce de la réunion du comité La Bouscule, comme se nommèrent par dérision les quelques opposants, provoquèrent le branle-bas de combat du côté de la Bascule (l’association organisatrice de l’An zéro) dont les premières équipes étaient arrivées à Pigerolles quelques jours plus tôt. Celles-ci organisent donc en toute hâte une réunion publique à Faux-la-Montagne le 1er juillet 2019, la veille de celle des opposants. Ce même jour, Maxime de Rostolan aura un long entretien téléphonique avec IPNS, au cours duquel il affichera sa plus grande distance avec Emmanuel Macron et son Gouvernement, disant pis que pendre du Président, de ses ministres et de François de Rugy en particulier (qui n’avait pas encore été rattrapé par ses homards). Pourtant, curieusement, le metteur en scène de l’An zéro retweetait avec sympathie quelques jours plus tôt une interview de François de Rugy au Parisien2.

     

    gentioux ete 2019Acte 3 : une réunion qui commence au vinaigre et finit au comptoir d’un bistrot

    Arrive donc la réunion d’information du 1er juillet 2019 qui va déclencher en cascade, l’annulation de l’An zéro et une campagne politique et médiatique contre une partie des habitants du Plateau. Ce soir-là, parmi les médias, seule La Montagne est présente. Ce sera donc son journaliste, envoyé de Guéret exprès pour cela, qui va écrire la version “officielle“ de l’événement. Résumons-là : une poignée d’activistes violents agressent les jeunes de l’An zéro, leur intimant d’annuler leur festival. À leur tête, l’inévitable Julien Coupat – c’est lui que cadrera le photographe. Les interrogations des nombreuses autres personnes présentes à la réunion (il y avait environ 60 présents) dont les critiques se sont faites sur un ton autrement plus mesuré, disparaîtront de la version officielle. Exit également ce qui a suivi la réunion, de 19h à 21h, au bar du village, dans la rue, devant la mairie, où de nombreuses personnes présentes poursuivront les échanges avec les artisans du festival qui comprennent alors dans quelle galère ils se sont mis. Ils le reconnaîtront eux-mêmes le lendemain sur France 3, ou en s’adressant à des personnes présentes ce jour-là. Jackie Garraud, de Chavanac, raconte : “Léna Abbou, la personne chargée de communication de l’An zéro, bénévole présente à cette réunion, m’a téléphoné le lendemain pour m’expliquer pourquoi ils avaient décidé d’annuler l’événement. Ce qui est ressorti de cette réunion, m’a-t-elle dit, c’est de la “gratitude”, “une remise en question”. “C’est ultra-formateur, je suis sûre que nous avons les mêmes valeurs. Et si certains croient que nous décidons d’annuler parce que nous avons peur des menaces, ils n’ont rien compris !” Pour Léna, les organisateurs de l’An zéro “donnaient l’image de tout ce qu’ils dénonçaient”.

     

    Acte 4 : l’emballement médiatique et politique

    S’il y en a qui n’ont donc rien compris, c’est les quelques personnes qui, localement, vont monter en épingle les propos menaçants ou agressifs de quelques-uns (que beaucoup du reste parmi les opposants de l’An zéro ont jugé excessifs ou déplacés - “il n’y avait pas besoin de cela !“). La maire de Gentioux a tout de suite sauté sur l’occasion pour stigmatiser à travers eux l’ensemble des personnes ou initiatives qu’elle n’aime pas. Dans les interviews qu’elle donne à La Montagne ou à France 3, dans la motion qu’elle fait voter par son conseil municipal, dans sa lettre d’information mensuelle, sur ses pages facebook, elle joue de l’amalgame dans une confusion totale, mélangeant allègrement toute une série de choses qui n’ont pas grand chose à voir : les réactions violentes d’opposition de quelques individus à l’An zéro (en omettant de parler de toutes les autres réactions d’opposition qui n’avaient pas ce caractère d’agressivité mais que n’a pas retenues le journaliste de La Montagne), les nouveaux habitants qui viennent s’installer sur le plateau de Millevaches, des associations de sa commune comme La Renouée (qu’elle cite dans son interview à La Montagne), la Fête de la Montagne limousine, des personnes et des élus qu’elle ne nomme pas mais qui, pour qui connaît le coin, sont reconnaissables et que, dans son délire, elle associe sans précaution à une “mouvance“ “ultra-totalitaire“, “ultra-contestataire“, “d’ultragauche“... 

    Le pompon est venu du journal national L’Opinion, “média quotidien, libéral, européen et pro-business“ qui résumait la situation de manière encore plus radicale : “Comment Julien Coupat a saboté un festival écologique et décroissant dans la Creuse“ Sur-titre : “Totalitarisme“. Un avatar de la polémique locale qui éclaire bien la manière dont fonctionnent les médias. L’auteure, la journaliste Emmanuelle Ducros, qui a travaillé pour La Montagne en 1999-2000, a manifestement dû garder des liens avec son ancien employeur, puisque son article se base exclusivement sur celui de La Montagne. En reprenant cette seule source à laquelle elle rajoute les commentaires du député de la Creuse, elle réduit une vision déjà très réductrice de l’affaire en un condensé encore plus caricatural. Voilà ce qui s’appelle de l’investigation ! Mais qui réjouira la préfecture de la Creuse qui retwette aussitôt sur le site officiel de la préfecture l’article de L’Opinion, et fera l’affaire de Dominique Simoneau qui en rajoute : “C’est la mouvance de Julien Coupat“ qui lui envoie une lettre anonyme, profère des menaces et qui est à l’origine des incendies inexpliqués qui ont eu lieu dans la région au cours des dernières années.

     

    Acte 5 : essayer de comprendre

    Reprenons les événements depuis le début : un festival parachuté suscite d’abord l’interrogation, puis la curiosité, puis l’opposition d’une partie des habitants du Plateau. Personne au demeurant ne semblait se passionner pour cet événement et personne en tout cas ne prendra vraiment la défense de ce festival. À Pigerolles par exemple, l’annonce de l’événement comme son annulation sont tombés sur la tête des habitants sans qu’ils aient jamais, ni dans le premier cas ni dans le second, eu leur mot à dire. Les gens de Pigerolles semblaient plutôt dans l’expectative ; ils n’étaient ni vraiment enthousiastes, ni franchement opposés. Ils étaient choqués du manque d’information, et voulaient surtout des réponses à leurs questions. Un agriculteur d’une autre commune regrette cependant comment l’annulation s’est produite : “Pour nous, qui sommes producteurs, on aurait trouvé intéressant que la Bascule de Gentioux, la Renouée, malgré toutes les limites de ce fameux festival de l’An Zéro, soient présentes d’une manière ou d’une autre dans ce festival... Ça aurait même pu être une occasion de montrer que malgré nos désaccords, on est capable de faire autre chose que ce qui s’est passé et se passe malheureusement toujours sur la commune de Gentioux.“ Catherine Moulin, maire de Faux-la-Montagne, a elle aussi tirer les oreilles à quelques farouches opposants : “Je dois dire le malaise que provoque pour une partie non négligeable des habitants de la commune, le comportement excessif de certaines personnes qui se sont montrées pour le moins peu accueillantes et pas qu’en cette occasion...“. D’autres se félicitent de l’annulation et font la part des choses, comme cette Creusoise, professionnelle des festivals et de la communication : “L’annonce de l’annulation associée aux mobilisations citoyennes me semble injuste. Je crois qu’ils annulent tout simplement par ce qu’ils ne sont pas professionnels ou tout du moins responsables. Un tel événement nécessite des mois d’anticipation, de travail en matière de gouvernance, de budget, de logistique, de programmation. Je crois qu’ils ont simplement cru que nos terres étaient habitées par si peu de gens et si peu d’esprit qu’ils pouvaient nous illusionner par des effets d’annonce.“ Et de s’étonner qu’à deux mois du festival, une annulation puisse se faire : “Car à moins de deux mois d’un tel événement tout doit être bouclé !“

     

    Acte 6 : annulation pour de bon

    L’avenir semble lui avoir donné raison. Après avoir annoncé que l’An zéro aurait finalement lieu à Guéret, en partenariat avec le festival Check in Party (qui démentira dès le lendemain), les organisateurs décident de tout annuler : “Malheureusement, il y a quelques jours est tombé le coup de grâce : après avoir composé pendant des semaines avec le flou du changement de site, nous avons fini par recevoir des prestataires les devis des installations, après la remise du dossier en préfecture quand plus rien ne pouvait être modifié. Le choc est douloureux, l’addition bien plus piquante que prévu et la quote-part financière qui nous est demandée pour couvrir les frais est de très loin supérieure au budget initialement annoncé.“ 3 Rideau. Derrière ces raisons financières d’autres ont probablement eu plus d’importance. L’enquête menée par Reporterre le 26 juillet1 qui raconte que Martin Bohmert, membre du bureau exécutif d’En marche ! et ancien délégué général des Jeunes avec Macron, a passé une semaine entière à Pontivy, début juin, au siège de l’An zéro, est venu mettre à mal la thèse de l’indépendance du mouvement vis à vis de la Macronie. Plus embêtant, la tribune parue sur Médiapart le 24 juillet4, signée par plus de trente organisations qui expliquent pourquoi elles ne viendront pas à l’An zéro, n’est sans doute pas étrangère à des désistements de personnalités ou associations embarquées dans l’aventure un peu trop vite (voire sans leur accord pour au moins deux d’entre elles). L’ensemble a généré des débats au sein même des organisateurs qui ont décidé d’utiliser leur dernier week-end d’août “à réfléchir à nos erreurs, mais aussi à imaginer la suite“. En Bretagne, les Gilets jaunes de Rostronen ont envoyé un petit message sur le Plateau : “Merci pour l’accueil que vous avez réservé à la Bascule qui a essayé de nous récupérer, avant qu’on ne comprenne vraiment qui ils étaient.“

     

    Acte 7 : savoir raison garder

    L’An zéro renvoyé à ses terres bretonnes, les dommages collatéraux de l’affaire se font sentir en local. Les prises de position de la maire de Gentioux et du député Moreau qui ostracisent gravement sous le nom de “mouvance“ celles et ceux qu’ils estiment être les instigateurs de l’annulation, des incendies inexpliqués et des lettres de menace, et qu’au moins la maire de Gentioux associe allègrement avec tout ce qui lui déplaît sur sa commune et sur le Plateau, créent un climat particulièrement lourd. Aux réactions qui se sont exprimées face à ses dires elle conclue de manière fermée par cette phrase : “une seule solution pour sortir de la défiance : appuyer la motion de la Commune de  Gentioux-Pigerolles ! “Voici qui est clair : si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi. Curieuse conception du dialogue qui n’étonne malheureusement pas ces habitants de Gentioux qui ont réagi par un texte argumenté et que nous publions ci-contre : “Nous ne voulons pas vivre dans la défiance“. Une sorte de zéro pointé à Dominique Simoneau qui relève ses incohérences et sa malignité.

     

    Michel Lulek

    1 “L’association La Bascule, instrument macronien ou outil du changement ?“ publié le 26 juillet 2019 sur Reporterre : https://frama.link/TLL74c3N
    2 “François de Rugy : “150 citoyens pourront proposer un avenir à la taxe carbone”“, Le Parisien du 19 mai 2019. Curieusement ce tweet a, depuis, été enlevé du fil Tweeter de Maxime de Rostolan.
    3 “Pourquoi l’An Zéro n’aura pas lieu“, tribune parue le 1er août  2019 : https://frama.link/yn4-zXg5
    4 “L’an zéro” de l’écologie macroniste ?“ : https://frama.link/W-pcL0y8

     

    Nous ne voulons pas vivre dans la défiance

    Le 1er juillet 2019, les organisateurs du festival l’An Zéro, surpris de découvrir que leur festival ne faisait pas l’unanimité dans la région, improvisaient une réunion publique à Faux-la-Montagne pour communiquer sur leur manifestation et tenter de récupérer une affaire mal engagée. Dominique Simoneau, maire de la commune voisine de Gentioux-Pigerolles où devait avoir lieu le festival, n’était pas présente ce soir-là. Cependant, elle vient de faire voter une motion au conseil municipal de Gentioux où elle évoque savamment cette réunion. Elle y reprend des paragraphes entiers d’un article paru dans le quotidien L’opinion,  “pro-business“ comme il se qualifie lui-même. L’auteur de cet article n’était pas présent non plus le 1er juillet 2019 et il se contente de reprendre les propos d’autres journalistes. Ainsi, dans l’article de presse comme dans la motion, on ne saura pas grand-chose des échanges qui ont véritablement eu lieu pendant deux heures entre plusieurs dizaines de personnes à Faux-la-Montagne. Seule chose à retenir : les cris et les intimidations des dix premières minutes, qui sont bien sûr à déplorer, mais auxquels cette soirée ne peut certainement pas être résumée. Où est-il raconté que les discussions entre les organisateurs de l’An Zéro et les personnes présentes se sont poursuivies pendant plusieurs heures au bar du village ? Ce détail, de taille, qui permet d’éclairer différemment cette soirée, Dominique Simoneau l’ignore ou feint de l’ignorer. Elle surexploite un récit très incomplet d’un événement dans le but de stigmatiser certains habitants de Gentioux-Pigerolles, et de poursuivre ainsi son travail de sape de la vie sociale du village entamé depuis les dernières élections municipales.

    Elle a beau jeu de déclarer dans la presse qu’elle se faisait une joie de discuter avec des “associations extérieures“ comme le lobby citoyen La Bascule, organisatrice du festival, quand elle ne daigne échanger un mot avec l’association La Bascule, celle de sa commune, créée en 2013, et ses 300 adhérents. Dans les médias, elle glorifie les circuits courts. Dans les faits, elle n’a jamais traversé la rue pour venir saluer les producteurs qui animent depuis des années le marché d’été et alimentent en produits frais l’épicerie de La Bascule le reste de l’année. Dominique Simoneau entend donner des leçons de dialogue, alors qu’elle n’adresse pas la parole à une bonne moitié des habitants de sa commune. Quand on sait ça, on comprend mieux pourquoi elle parle d’eux dans la presse en reprenant des formules de rapports de renseignements généraux. Dominique Simoneau ne connaît pas les habitants de sa commune. Par contre, elle alimente la presse en clichés et fantasmes visant à produire DES SÉPARATIONS DONT ON NE VEUT PLUS.

    Depuis les dernières élections municipales, la commune de Gentioux-Pigerolles s’était taillé une belle réputation en matière d’opposition entre soi-disant “néo“ et “locaux“. C’était même devenu un objet d’étude dans les laboratoires de recherche en sociologie des métropoles. Ces derniers temps pourtant, on avait perçu un changement d’ambiance dans le village. Beaucoup semblaient fatigués de cette guéguerre artificiellement entretenue par une séparation méthodique des groupes de population. Le bar a ré-ouvert. À la sortie de l’école, on commence à se rencontrer. On se réjouit des fêtes de l’école et de ses soirées animées. Et voilà que Dominique Simoneau remet le couvert. Hurlant au fantasme d’une “mouvance ultra totalitaire“, elle sème en fait la confusion et à nouveau la défiance quand elle prétend briser des tabous. Est-ce cela que l’on attend d’un maire ?

    Dominique Simoneau remet en cause les services de l’État, de la MSA et de la CAF qui feraient n’importe quoi en appliquant les mêmes règles pour tous et en soutenant la Renouée, un lieu d’activités ouvert à tous dans le bourg. Elle voudrait réécrire les règles de l’accès aux professions agricoles. Elle entend dire qui est légitime à intervenir dans les écoles et quel enseignant ferait preuve de “prosélytisme“ (de quoi ?). Le rôle d’un maire n’est-il pas plutôt de faire en sorte que tout se déroule au mieux dans son village et à l’école ? Par exemple en accompagnant les enfants dans l’apprentissage de la natation, et non en faisant obstruction au vote des budgets de transport des enfants jusqu’à la piscine, comme cela a été le cas lors de l’avant-dernier conseil municipal.

    Nous ne voulons pas vivre dans une ambiance de défiance sur le Plateau. Nous réfutons cette rhétorique de l’ennemi qui produit ce qu’elle dénonce, des séparations entre les personnes et de l’exclusion. Nous aspirons à une vie politique qui ne se satisferait pas de propager et de commenter des rumeurs délirantes et des clivages stéréotypés, mais qui se confronterait à la réalité, qui passerait par un échange direct d’idées, au risque des désaccords qui n’aboutiraient pas inéluctablement sur des conflits guerriers. Nous sommes en capacité de nous organiser par nous-mêmes pour débattre des problématiques environnementales, sociales et démocratiques. C’est ce que nous faisons au quotidien, ou à travers des événements comme la Fête de la Montagne Limousine qui rassemble chaque année pendants trois jours des centaines de personnes dans une commune différente. Cette fête s’organise par des réunions ouvertes à toutes et à tous, tout au long de l’année, où l’on peut débattre et faire des propositions sur ce qui se vit sur le territoire. En quoi une telle démarche irait-elle à l’encontre de “l’intérêt général“ auquel l’élue en charge de la démocratie participative de la Communauté de communes Creuse Grand Sud se dit très attachée ?

    La réalité de ce qui se vit dans la région est bien plus complexe et accueillante que ce que Dominique Simoneau proclame. Des vies aux formes multiples s’y déploient, jeunes ou anciens, nés ici, partis puis revenus, arrivés de longue date ou fraîchement arrivés, migrants d’ici ou de bien plus loin. De ces parcours, de ces expériences, de ces différences, nous voulons faire une richesse et non dresser des barrières fondées au mieux sur des méconnaissances, au pire sur des fantasmes.

    Des habitants de Gentioux-Pigerolles     
  • Gentioux-Pigerolles : de surprises en surprises

    commune gentiouxIl y aurait mille choses à dire sur la situation à Gentioux-Pigerolles depuis 2013, date à laquelle Dominique Simoneau commença à faire entendre sa petite musique dans le cadre de la campagne des élections municipales de 2014. IPNS a d’ailleurs, à plusieurs reprises, fait état des prises de positions et fonctionnements de l’ancienne maire de Gentioux-Pigerolles suscitant encore aujourd’hui de fortes émotions et de vives réactions chez nombre d’habitants de la commune. Nous nous concentrerons ici sur deux questions : quels furent les principaux enjeux des élections de 2020 ? Comment en expliquer les résultats - une liste d’opposition qui l’emporte au premier tour et dans son entièreté avec plus des deux tiers des suffrages exprimés, et un taux de participation frôlant les 84 % ?

     

    Sur le premier point, on est d’abord frappé par le climat de défiance qui a entouré la procédure électorale, de l’établissement des listes d’inscrits jusqu’au comptage des voix à la fin du dépouillement. En tout début d’année, des notifications de radiations des listes électorales plus ou moins tatillonnes sont envoyées par la maire. Au point que se met rapidement en place, du côté de ses opposants, une cellule informelle de vigilance et de conseil juridique aux personnes radiées (rappelons qu’il y a six ans, des personnes s’étaient vu contester auprès du Tribunal leur inscription sur les listes jusqu’à ce qu’un juge ordonne leur réintégration et déboute la plaignante, Dominique Simoneau). Le sommet de la tension est atteint le 21 février 2020 lors de la réunion de la commission de contrôle des listes électorales chargée d’établir la liste définitive.

    Pont de Senoueix

    Fait remarquable, sept personnes sont venues assister aux échanges entre les trois membres de la commission (trois habitant.es représentant l’un la Préfecture, l’autre le Tribunal et le dernier la Commune). Avant même le début de la réunion, qui se tenait dans une petite pièce surchauffée de la mairie, un vif échange entre le représentant de la Préfecture et un habitant, à propos de la volonté du second d’enregistrer les débats, donnait le ton. Par la suite, le premier autorisant la salle à intervenir dans les échanges, on assista à des scènes de négociation pied à pied pour estimer si oui ou non un tel ou une telle pouvait encore justifier d’attache à la commune. L’occasion de constater que le même représentant de la Préfecture, un enfant du pays et jeune retraité de la police nationale, était extrêmement bien renseigné sur la vie des habitants de sa commune.

    Il fallut bien deux heures pour venir à bout de la trentaine de sortants (radiés d’office ou ayant perdu attache à la commune) et des... soixante-neuf nouveaux entrants. Sur une précédente liste de 287 inscrits, et une élection qui s’est joué à quelques voix il y a six ans, l’enjeu était de taille et la tension dans la salle à la mesure. Le toujours représentant de la Préfecture précisera à la fin que la commission s’était montrée magnanime dans l’acceptation de certains documents normalement insuffisants pour s’inscrire ou contester une notification de radiation. À bon entendeur… Au final, seul un refus d’inscription était contestable au Tribunal, mais la personne concernée y renoncera, après de longues tergiversations, pour des raisons financières (frais d’avocat) et ses calculs de bonne chance que sa liste l’emporte sans sa voix.

    Le jour du vote fut un autre révélateur du niveau de défiance atteint à Gentioux pendant la dernière mandature. Le bureau de vote du bourg de Gentioux, présidé par Dominique Simoneau, fut principalement tenu par des conseillers municipaux de sa majorité, tandis que la tête de liste d’opposition, Denise Jeanblanc, avait déclaré en mairie des assesseurs et autres contrôleurs des opérations de vote issus de sa liste. Ainsi, en continu et dans les deux bureaux de vote (Gentioux et Pigerolles), des personnes de la liste d’opposition se relayaient par deux pour surveiller la bonne tenue des opérations.

     

    Un vote et un dépouillement électriques

    C’est ainsi qu’elles assistèrent en milieu de matinée à l’esclandre d’une habitante reprochant l’absence d’éléments obligatoires sur la table (code électoral, liste des membres du bureau, etc.), puis, quelques heures plus tard, à une pénurie d’enveloppes dans les deux bureaux. La maire, Dominique Simoneau, finit heureusement par en dégoter dans un stock qui restait à la mairie.

    Le pic fut atteint lors du dépouillement au début duquel Dominique Simoneau contesta la présence derrière elle de trois personnes déclarées comme « contrôleurs  des opérations de vote ». « On ne doit pas avoir les mêmes valeurs dans la commune », lâcha-t-elle devant leur absence de réaction. Elle n’insista pas et les trois vérificateurs passèrent les deux heures et demie que dura le dépouillement à suivre scrupuleusement le va et vient des bulletins et leur lecture. Tandis que dans la salle, pas moins de trois personnes doublaient le comptage officiel par des comptages personnels. Ce qui donna lieu, à la fin du dépouillement, à une demi-heure de comparaisons et de recomptages des dizaines de petits bâtons avant qu’un accord ne soit trouvé sur le nombre de voix à accorder à chaque candidat.es. Ambiance… 

    Mais le sort de chaque liste était déjà joué tant l’écart était grand (en moyenne autour de 63 voix pour la liste sortante et 188 pour la nouvelle prétendante). Un écart visiblement pas anticipé par les deux personnes chargées officiellement de noter les petits bâtons et qui durent, au milieu du dépouillement, scotcher des rallonges à leurs feuilles pour noter les nouveaux bâtons qui n’avaient plus de cases pour les recevoir.

    Le tout dans un climat sanitaire qui reconfigurait étrangement les espaces : pas plus de dix personnes dans le public sur consignes de la Préfecture et donc une foule, venue largement d’au-delà des limites de Gentioux, massée derrière les vitres de la salle des fêtes et tentant de déchiffrer en direct les comptages officieux opérés à l’intérieur. 

    Mais aussi, petit à petit, à mesure que le groupe de personnes s’agrandissait, la distance sanitaire d’un mètre s’était réduite à peau de chagrin dans le sas d’entrée. Dominique Simoneau, mélangeant tout à la fois les casquettes d’ancienne institutrice, d’officière de police et de présidente de bureau de vote, tenta plusieurs fois, en vain, de disperser cette foule, menaçant d’interrompre le dépouillement, à grand renfort de « sortez », « il doit y avoir un mètre entre vous » , « c’est du civisme, si ce mot vous dit quelque chose, faut arrêter les gamineries » et pour finir, lâcha un « ça promet » désabusé. La bande de cancres aux remarques parfois franchement désobligeantes n’en avait cure, montrant là leur ras-le-bol accumulé pendant ces six années et marquant que le pouvoir avait changé de camp.

     

    Éolien, apaisement et participation des habitants

    Et c’est bien ce sujet que la liste gagnante avait mis en tête de son programme : comment après ces années de « crispation », « ne pas prendre sa revanche » mais travailler à « aller vers une commune plus apaisée » ? entendait-on lors de sa présentation publique du 21 février 2020 dans la salle des fêtes de Gentioux, « ne plus se regarder avec les craintes et les peurs engendrées par des incompréhensions liées à des différences de convictions, de façons de vivre, de penser ». Et les membres de la liste égrènent comment y parvenir : relancer le comité des fêtes (fêtes des jonquilles de Pigerolles, du fameux pont de Senoueix), publier un bulletin municipal co-écrit avec des habitants...   

    Une seconde présentation publique de la même liste a eu lieu le vendredi 6 mars 2020 à Pigerolles. L’occasion d’insister aussi sur un autre point de divergence avec l’équipe sortante : le mode de gouvernance. On parle ici de réunion d’habitants sur des sujets cruciaux de la commune comme la gestion de l’eau, les projets éoliens industriels, le budget. Il est aussi question de groupes de travail élu.es/habitant.es sur la forêt, l’installation d’agriculteurs, de transparence et d’outils de communication. Un projet donnant une large place à la parole et à l’action des habitant.es, à l’image de cette liste qui donne la forte impression de jouer en équipe, soudée et sans chef.

    Au total, entre les habitant.e.s de Gentioux et de Pigerolles, une centaine de personnes différentes, soit un tiers du corps électoral, aura assisté à l’une ou l’autre de ces présentations publiques. La plupart d’entre-elles déjà acquise à la cause générale mais tout de même curieuse d’en savoir plus sur les détails. Ainsi, des questions précises et sans complaisance ont été posées concernant les positions de la liste sur les projets éoliens révélés par un tract anonyme distribué quelques semaines auparavant ou sur la diversité des habitats et leur situation au regard de la loi.

    L’unique présentation de la liste de Dominique Simoneau fut tout autre et, elle aussi, à l’image de sa façon de faire. C’était le 8 mars dans la salle des fêtes de Gentioux. Dans le public, vingt-cinq personnes dont seulement trois en soutien à la liste de la maire sortante. « Un enterrement de première classe », commentera un participant à la sortie. Devant l’écran où sont projetées les diapos, une Dominique Simoneau omniprésente et des colistier.es silencieu.ses ou même physiquement absent.es pour deux d’entre eux. Il est vrai qu’une des absentes avait précédemment et publiquement fait des déclarations de soutien en faveur de l’autre liste (qu’elle a découverte sur le tard et qu’elle trouve beaucoup plus proche de ses idées)… Pour l’autre, on n’en saura rien. Pour autant, c’est pour d’autres raisons que cette soirée, qui dura plus de quatre heures et se clôtura par un pot, restera dans les annales.

     

    maudite soit la guerreUn incroyable moment politique

    En effet, étant sortante et donc flanquée d’un bilan à défendre, Dominique Simoneau eut à subir un feu roulant et parfois véhément de questions et de contradictions diverses de la part du public. Il fut question, entre autres, de l’intention d’arrêter le réseau de chaleur, du soutien aux projets éoliens, de l’absence des élu.es au marché d’été, des bâtons dans les roues à des projets d’installation d’activités, de la mise à l’index d’une partie de la population, de l’exercice autocratique du pouvoir. Courageusement, et avec une volonté de dialoguer et de donner sa version des faits sans faille, Dominique Simoneau a répondu point par point, pied à pied, seule, pendant quatre heures. On l’avait rarement vu si avenante face à l’adversité. Campagne électorale oblige ? Si rien n’aura avancé au terme de ce marathon, quel moment politique ce fut que de parler à bâton rompu et sans langue de bois des affaires de la commune. Que nous étions loin des échanges cordiaux des présentations de l’autre liste.

    On n’oubliera pas la présentation d’un des colistiers de Dominique Simoneau, prenant la pose debout en beau costume, revendiquant son compagnonnage avec le RPR de Chirac et aujourd’hui avec le parti La République en Marche, à Limoges et à Guéret, mais insistant par deux fois sur le fait qu’il se présentait là « sans étiquette ».

     

    Les hypothèses d’une défaite

    Si les experts en analyse électorale de la liste gagnante avaient pressenti le vent tourner en leur faveur, rien n’annonçait un tel raz-de-marée dans les urnes. Que s’est-il passé, alors que le contexte général de la commune n’a apparemment pas fondamentalement changé en six ans pour que Dominique Simoneau perde autant de soutien (70 voix parties en fumée entre les deux scrutins) ? Elle à qui La Montagne et France 3 ont régulièrement ouvert leurs colonnes pour accueillir ses diatribes contre « l’ultragauche du Plateau », elle qui avait écrit une motion prenant la défense des entrepreneurs empêchés d’entreprendre et reprise par plusieurs conseils municipaux de Corrèze, elle qui avait conquis une vice-présidence de la communauté de commune Creuse-Grand-Sud et se targuait du soutien de la préfète de Creuse ?

    Diverses hypothèses peuvent être avancées pour expliquer un tel retournement. D’un côté, il y a les habitant.es qui adhèrent aux valeurs, aux propositions, à l’environnement culturel de la liste gagnante. Ceux-ci sont sûrement en nette augmentation sur la commune et les mouvement d’entrée-sortie sur les listes électorales ont été en leur faveur. De l’autre, il y a les défections du côté des perdants. Le mode de gouvernance autocratique de Dominique Simoneau, décidant de tout, toute seule, des menus de la cantine à l’équipement du nouveau bar, et réduisant les personnes de son conseil à des bénis-oui-oui, n’est pas passé inaperçu et a créé frustration et agacement parmi des proches de mairie, dont des élu.es et des employé.es.

    Son absence de communication et de transparence, en général et particulièrement sur les projets éoliens, en ont touché d’autres. Des habitants de Pigerolles ont déploré le manque d’attention à leur commune (associée à Gentioux dans les années 1970) et des parents d’élèves son intrusion permanente dans les affaires de l’école, et ce avec des décisions malvenues (horaires du périscolaire, pas de financement pour les sorties à la piscine…) et une attitude hautaine envers les enfants et le personnel. Surtout, à en croire des candidats ayant été reçus dans les maisons lors du traditionnel porte-à-porte, ses soutiens d’hier pourraient ne pas lui avoir pardonné son incessante volonté de diviser et d’attiser les tensions.

    Enfin, on peut imaginer que des personnes qui, bien que connaissant et n’appréciant pas la personnalité de Dominique Simoneau pour l’avoir fréquentée comme enseignante ou autre il y a une dizaine d’années ou plus, avaient voté pour elle il y a six ans par peur de l’inconnu. Cet inconnu présenté dans les médias comme une secte violente prête à tout pour semer le désordre... Parfois, entre deux maux, on préfère celui que l’on connaît car, au moins, on le connaît. Pour ceux-ci et celles-là, peut-être que la piqûre de rappel de la personnalité de Dominique Simoneau, liée à ses nouvelles fonctions à la mairie d’un côté, et la présence sur la liste opposée de Denise Jeanblanc, ancienne adjointe auprès de Pierre Desrozier, plusieurs fois maire dans les années 1980 et 1990, de l’autre, aura fait la différence.

  • Le Grand rassemblement de “La Bascule“ fin août à Pigerolles : Y aller ? Ou pas ?

    L’annonce du grand rassemblement de La Bascule, cet été à Pigerolles, laisse perplexe. 50 000 personnes mobilisées pour le climat, qui visent “à provoquer un sursaut démocratique, écologique et social“... Voilà qui ne manque pas d’interroger. De quoi s’agit-il ? Une méga-messe écolo sans lendemain ? Un coup de pub macroniste ? Un support commode pour permettre à quelques sponsors de faire du greenwashing ? Nous avons posé les questions ci-dessous aux promoteurs de cet événement qui y ont répondu en nous adressant quelques documents sur leur projet. Nous en avons extrait ce qui nous semble pouvoir compléter l’information de nos lecteurs, en paralléle de l’analyse de nos voyageurs du XXIe siècle, Zig et Puce, qui, sur le sujet, ont déjà leur religion de faite.

     

    En quoi consiste le projet de La Bascule et quels sont les objectifs du rassemblement de Pigerolles ?

    La Bascule est une association régie par le droit français conformément à la loi de 1901 qui a pour ambition de faire émerger un nouveau modèle de société dans le respect de la nature et de l’humain grâce à l’intelligence collective, à la coopération et aux expériences existantes dans leur diversité. Elle compte accélérer la transition démocratique, écologique et sociale en réunissant les moyens humains et financiers disponibles afin de propulser, catalyser et relier les initiatives engagées en ce sens. C’est un mouvement citoyen engagé pour la transition, animé par près de 100 volontaires bénévoles à plein temps qui agitent l’écosystème des acteurs du changement. Elle prévoit d’organiser un rassemblement citoyen très grand public qui placera l’action, le bon sens et l’intérêt collectif au cœur de son dispositif. Pendant 3 jours, des organisations engagées proposeront pour tous les participants des ateliers, formations, animations, conférences, concerts, happenings ou encore des épreuves sportives afin de créer une ambiance conviviale propice à l’apparition de synergies créatives et efficaces.

     

    en marche au son du pipeau

     

    Comment sera financé cet événement? Quels sont les sponsors financiers  ?

    La Bascule accepte tous types de financements. Ces derniers doivent respecter les directives suivantes :

    • Aucune contrepartie, y compris une communication unilatérale de la part des mécènes, ne pourra être attendue sans avoir obtenu un accord écrit validé de La Bascule.
    • Les mécènes ne pratiquent aucune forme d’ingérence dans les processus opérationnels et décisionnels de La Bascule.
    • Pour tous les dons, le montant alloué au fonds de roulement de la Bascule ne devra pas dépasser 10 %, afin de prévenir tout phénomène de dépendance.

     

    Vous définissez-vous comme un projet politique ?

    La Bascule n’est, ni ne sera jamais un parti politique et ne donnera aucune consigne de vote. Mais c’est un mouvement politique et apartisans. Nous sommes toutes et tous liés par un destin commun et s’emparer du débat à ce sujet s’appelle faire de la politique. Pour autant, chaque personne, chaque culture, chaque territoire doit pouvoir s’exprimer et s’épanouir dans sa diversité. Être apartisan signifie laisser l’autonomie permettant à tout être humain, collectif ou territoire, de faire ses choix par lui-même.

     

    En faisant le choix de venir sur la ferme de Jouany Chatoux, l’évènement apparaît marqué d’une étiquette macroniste. N’est-ce pas contradictoire avec le choix d’un événement rassembleur ?

    L’idée de ce festival est de cultiver la diversité autour des thèmes de la transition écologique, sociale et démocratique, aussi bien en termes de personnalités présentes que de public. Nous sommes conscients que les notions « d’acteurs de la Transition » et de « Respect de la Nature et des Hommes » sont bien subjectives. Le risque est de voir venir des promoteurs de certains modèles en contradiction avec ces valeurs. Ainsi nous comptons aussi sur la diversité pour faire venir les contradicteurs (quitte à aller les chercher) et ne pas laisser le champ libre à ces fausses solutions.

    Dans de nombreux domaines les clivages se multiplient et s’accentuent, nous prenons actes de ces différents conflits et œuvrons pour que ceux-ci deviennent sources d’enrichissement pour tous. Pour cela, des animations, débats et ateliers d’intelligence collective, encadrés par des partenaires spécialisés, s’efforceront de faire émerger de ces conflits une issue favorable au vivre ensemble dans le respect de la nature et des hommes. La diversité du public sera d’importance, afin de ne pas retomber dans les travers de « l’entre soi » et que celui-ci soit le plus représentatif de la population. Car le nouveau récit d’une société soutenable et désirable ne se construit pas qu’avec les acteurs engagés mais aussi avec la population, afin d’être le plus inclusif possible. Pour y arriver : une programmation sportive, d’animations et de concerts diversifiés, un tarif d’entrée accessible (sous le format de participation consciente) et une communication ciblée sur les milieux trop souvent absents de ce genre d’évènement.

     

    Sur le plateau de Millevaches, les représentants de l’État se sont opposés ces derniers temps avec une partie importante des acteurs locaux (dans le cadre du soutien à des migrants en phase d’expulsion ; de la lutte pour la défense des dessertes ferroviaires ; sur la question forestière ; sur le projet de réouverture de mines en Creuse, etc.). Des contrôles policiers très fréquents ont lieu sur le territoire et la préfecture de la Creuse étiquette même une partie des habitants comme d’ultra-gauche... Quant au mouvement des Gilets jaunes il fait l’objet d’une répression particulière. Dans un tel contexte, comment La Bascule se positionne-t-elle ?

    De notre visite sur votre territoire, nous avons eu un aperçu des luttes qui s’y déroulent. Sachez que nous y sommes sensibles et qu’elles attirent forcément notre sympathie. Mais nous n’avons pas la prétention, en trois mois d’existence, d’avoir pu cerner les différentes situations pour nous positionner, surtout avec le peu de temps que nous laisse l’organisation de ce festival. Et qui de plus pertinent que les acteurs locaux, les Gilets jaunes, les migrants pour parler de ce qu’ils vivent ? Nous allons bien sûr les solliciter car nous aimerions vraiment compter sur leurs présences lors du rassemblement pour contribuer à cette intelligence collective au service du vivre ensemble et d’un projet commun.

     

    Il y a Bascule et Bascule

    Attention ! La Bascule qui organise le rassemblement de Pigerolles n’a rien à voir avec La Bascule, l’association de Gentioux qui anime le marché du bourg et gère La Renouée. Il s’agit d’une simple homonymie...
  • Notes provisoires sur le mouvement des gilets jaunes

    zig et puce 1“On met un pognon dingue dans les minima sociaux et les gens sont quand même pauvres“ Emmanuel Macron, juin 2018

    “Travail, famille, pâtes, riz“. Anonyme du 21ème siècle

     

    Rescapés d'une époque lointaine, où la “violence“ politique ne s'arrêtait pas au mobilier urbain et aux vitrines des banques, Zig et Puce se sont penchés sur le mouvement dit des “gilets jaunes“. Le jaune vif du gilet aux vertus radio-luminescentes que rien ne destinait à devenir un tel fétiche, surpassera désormais en notoriété d’autres produits qui lui disputent sa couleur, du banal surligneur au très intrusif “compteur Linky“.

     

    Aucun Etat au cours de l’histoire n’a pu sérieusement prétendre qu'il levait l'impôt au nom d'une légitimité qui ne soit pas elle-même hautement discutable. Mais l'Etat français d'aujourd'hui, alors qu’il s’avoue dans l'incapacité de faire payer les GAFA et autres hyper-puissances financières, ne s’embarrasse pas de phrases, serait-ce de pure forme, quand il s’agit de justifier et d’encaisser l'impôt. Qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'un tel Etat, qui pèse désormais si peu dans la marche des événements, se trouve en mauvaise posture quand il voudrait continuer, tranquillement, à taxer sa population captive et compenser sur le dos des plus faibles les pertes abyssales qu’il subit par ailleurs. 

    S’il y a un mérite qu'il faut concéder à l'extravagant locataire de l'Elysée, c’est d’avoir, à force d'impudence, récolté ce à quoi tous ses prédécesseurs avaient bon an mal an su échapper. Macron-le-Petit, comme l’aurait nommé Victor Hugo, le nain qui se prend pour Jupiter, le “puceau de la pensée“ dit Emmanuel Todd, est parvenu en un temps record à concentrer assez de griefs sur sa personne, au point de jeter dans la rue - hormis bien sûr sa propre classe sociale - la seule frange de population qui n’y allait jamais. Celle-là même qui semblait tout pouvoir subir sans jamais réagir, les “invisibles“, l’inoffensive “majorité silencieuse“ bâillonnée par les dettes et l’emploi devenu rare, celle que personne ne pensait voir se soulever un jour.

     

    Ce qui s’annonce comme une simple protestation contre la taxe de trop, tourne à l'insurrection.

     

    Quatre mois se sont écoulés depuis qu’entre les murs de l'Elysée, le jaune commença à hanter les cauchemars du président et de ses conseillers. Quatre mois que l’establishment de politiques et de journalistes employés à mettre en scène l’adhésion résignée des foules, se mit à afficher des airs de sauve-qui-peut, tentant d'échapper à l'évidence de ce qu'il tenait pour impensable. Qui ne se souvient des sorties hystériques de tel flic syndicaliste, de tel ancien ministre, de telle vedette du showbiz qui perdant leur sang froid appelaient à faire donner l'armée, à tirer dans le tas. Lesquels, estimant le gros de l’assaut passé, pensant avoir retrouvé l’initiative, se mirent à rivaliser de petites calomnies et de coups bas. La basse vengeance est l’apanage des gens de pouvoir qui, après s'être sentis perdus, peuvent se croire tirés d’affaire. 

    Ce qui s’annonce comme une simple protestation contre la taxe de trop, tourne à l'insurrection. Le racket sur le carburant est d’autant plus insupportable qu’il s’autorise de l’urgence écologique.

     

    gilets jaunes

     

    L'événement déroute ; il fait tâche dans le paysage idéologique ordinaire. Dans quelle case le ranger ? Facho, pas facho ? Dans le petit monde militant, on hésite, on fait les blasés. Risquer par imprudence d’apporter sa bénédiction à la 'bête immonde' ? On choisit l’anathème, on dénigre. A tout hasard, on lance 'poujadisme !', 'populisme !', 'complotisme !' et autres 'racisme', 'antisémitisme', 'homophobie', etc. ; inoxydables 'valeurs' de la bien-pensance libérale. Les écolos sont furieux à l'idée que le gouvernement pourrait céder devant des brutes diésélistes. Après tout la “taxe carbone“, c’est quand même leur grande idée. Les centrales syndicales - à l'exception de Sud-Solidaire - préfèrent jouer “la grande muette“, oublient pour l’occasion des décennies de gesticulations rituelles en faveur du sacro-saint “pouvoir d'achat“.

    Un tsunami de mécontents déferle sur les ronds-points, investit les villes moyennes, monte chaque samedi sur Paris. De mémoire de Parisiens, c’est du jamais-vu. Voilà que les émeutiers passent leurs nerfs sur les beaux quartiers ! Une fois n’est pas coutume, les nantis de la rive droite se voient noyés dans les gaz de leur propre police.

    Dans l'histoire, on cherche en vain l'équivalent. Ce qui sonne d’abord comme une jacquerie, prend vite des airs de 89. Les outrages ça suffit ! Comme dans les manuels d'histoire, le petit peuple se met à rêver de “révolution“. Il entend laver l'offense : “Macron démission !“. Il veut la tête du golden-boy. Les ronds-points s'ornent de cercueils à l'effigie de ce chouchou des tabloïdes, de la banque et du CAC40. Chez les gouvernants, on sait la situation critique. Au plus fort de l'assaut, l'intégrité de l'édifice ne repose plus que sur la police. Et comme c’est rarement le cas, les forces de police se trouvent confrontées sociologiquement à des semblables : le beau-frère, le cousin, les voisins, leurs propres enfants, et même leur propre épouse comme le souligne un syndicat de police plutôt minoritaire. Pendant les trois, quatre premières semaines, l'issue restera incertaine.

    D’instinct, les gilets jaunes se tiennent à grande distance des partis et syndicats, auxquels ils empruntent toutefois un certain style revendicatif. Les partis dits 'antisystèmes', habitués à surfer sur le mécontentement populaire et le ressentiment envers les nantis, peinent à prendre pied dans la place. Les gilets s’obstinent à mettre tous les appareils politiques dans le même sac, ils récusent toute forme de représentation. On se voudrait 'apolitique', égalitaire, cultivant l’horizontalité avec un formalisme quasi-dogmatique. La moindre velléité d’organisation partisane, les prétentions au moindre leadership, sont immédiatement étouffées dans l’œuf. Même s’il est évident que les réseaux sociaux reviennent à fabriquer des leaders de fait ; les “figures“ du mouvement, adoubées à coup de “like“ et de “followers“.

    De même que l'on vomit la politique, on maudit les médias et leurs journalistes, qui éprouvent le plus grand mal à se faire accepter sur le terrain. Une situation qui poussera l’éditorialiste du Monde, dans un accès de panique et de confusion mentale, à titrer l’une de ses chroniques “Crise sociale : halte au lynchage“, cautionnant par avance sur le mode 'la démocratie en péril !', la liquidation brutale du mouvement.

    Tandis que le milieu politico-médiatico-culturel s'apprête à célébrer par quelque cérémonie creuse le cinquantième anniversaire de 1968, la France redevient le théâtre d’un soulèvement social qui, enfin, mérite sans discussion le qualificatif de sauvage. On n’avait rien connu de tel depuis un demi-siècle : un mouvement maître de sa temporalité, qui ne cherche pas à se greffer sur un calendrier syndical, qui s'avère habile à économiser ses forces, à s'organiser pour durer ; bref, tout ce que ne sait pas faire l’activisme militant.

     

    Chaque semaine apporte son lot d’interpellations et surtout de mutilations délibérées infligées de préférence à des manifestants inoffensifs.

     

    Parmi ces militants de toujours - évidemment revêtus du gilet ! - certains n'ont pas manqué de lancer un de leurs appels rituels à la “grève générale illimitée“. Ceux-là peinent à réaliser qu’un capitalisme des transactions a supplanté le vieux capitalisme industriel. Que serait la portée d'une telle grève si elle devait avoir lieu ? Eviter de s'égarer dans une grève condamnée à échouer pour y laisser le peu d'argent qu'on n'a plus, c'est à l'évidence faire preuve d'une clairvoyance stratégique élémentaire. 

    Un autre trait de génie à faire mourir d’envie une armée de “communicants“, c’est d’avoir choisi le gilet comme emblème du mouvement. Un symbole échappant à toute connotation politique, un banal vêtement pour les situations de détresse, terriblement voyant et obligatoire dans chaque véhicule.

    Il n’est pas besoin d’avoir été scénariste à la Metro-Goldwyn-Meyer pour imaginer l’affolement qui s’empara de l'état major présidentiel à partir du 1er décembre. Durant les trois premières semaines, les gilets jaunes ont eu partout l’initiative, le choix des lieux et des modes d’action. Les plus grosses pointures en gestion des crises, les cadors de la stratégie contre-insurrectionnelle, accourent des quatre coins du monde pour offrir leurs services aux collègues malmenés.

    Par un renversement sémantique dont les journalistes sont coutumiers, ce qui à longueur de temps est qualifié de “crise des gilets jaunes“ est évidemment une crise de l’Etat. Qui parvient à prétendre que cette monstruosité impériale qu’est l’Arc de Triomphe, est un emblème immuable des “valeurs républicaines“, peut soutenir avec le même cynisme que l’antisionisme revient à s’en prendre indistinctement à l’ensemble des juifs. La guerre sociale est une guerre sémantique, autant qu’une guerre de terrain.

    Entre le 1er et le 8 décembre, le ministre de l'intérieur annonce que des énergumènes vont monter sur Paris “dans l'intention de tuer“ ; ce faisant, il couvre par avance, tout en les encourageant, les bavures de la police. Chaque semaine apporte son lot d’interpellations et surtout de mutilations délibérées infligées de préférence à des manifestants inoffensifs.

    De sorte que semaine après semaine, le mouvement se voit poussé sur la défensive. L'emblème du gilet devient un talon d’Achille. N’importe qui peut l’endosser, lui faire dire ou faire n'importe quoi : flics, mouchards, provocateurs, récupérateurs et manipulateurs en tous genres. Inlassablement, les manifestants dits “légitimes“ sont invités à se démarquer des “casseurs“, les voilà à présent qui protestent de leur “pacifisme“. Ce qui au départ est une explosion de colère, se voit pressé de formuler des “revendications“, invité à regagner les clous du “dialogue social“ ; et des “citoyens“ irréprochables finissent par pleurnicher sur la “surdité du gouvernement“.

    On entend couramment la thèse selon laquelle le phénomène des “gilets jaunes“ serait un produit des “réseaux sociaux“, une chimère communautaire sortie du cyber-monde. Soit ! Dans ce cas, il faudra aussi leur reconnaître une capacité remarquable à passer du virtuel dans le réel ; quand, par exemple, sur les ronds-points, ils font l'expérience d'affinités collectives on ne peut plus concrètes.

    Réalités locales obligent, il n’est pas possible de conclure sans dire quelques mots du Plateau. Il aura fallu attendre la première semaine de décembre pour que se manifeste un début d'intérêt pour les gilets, suivi un peu plus tard de cet amer constat : entre les sophistications du milieu local et les gilets, la mayonnaise a du mal à prendre. Dans d'autres régions, on fait la même observation. L’attention portée avec tant d’insistance sur les singularités locales, réelles ou supposées, au prix d’accommodements qu'il est préférable d’ignorer, dégénère en myopie politique.

    Mais question marketing territorial le pire est à venir, on va changer d'échelle. Les geeks de “L'affaire du siècle“, armés de deux millions de followers ont jeté leur dévolu sur Pigerolles. La “défense du climat“ certes, mais façon blokbuster :

    “Ces derniers jours, le bruit courait en Creuse que se préparait "un nouveau Larzac 2003". C'est-à-dire un "meeting-fiesta" avec une jauge à 200.000 personnes. (…) À la ferme Émergence Bio de Pigerolles, Jouany Chatoux confirme la rumeur, avant de la tempérer (…). L'agriculteur de Pigerolles se sent prêt à accueillir sur sa ferme “l'un de ces événements, pouvant rassembler de 50.000 à 60.000 personnes“. (La Montagne du 11 fév. 2019)

    Pourquoi les start-up du bio-climat, les promoteurs de méga-teufs citoyennes, la joueraient-ils petits-bras ?

     

    Zig et Puce
  • Pigerolles, come back

    Sur les hauteurs du plateau : Pigerolles. Lieu magique dont Laurent Bourdelas et Marie-Noëlle Agniau se souviennent dans ces deux textes. Entre souvenirs d’adolescence pour l’un et quête “d’aération” pour l’autre, le plateau et Pigerolles en particulier prennent une dimension poétique et presque mythique. Laissons nous emporter par les mots.

     

    pigerollesPar Laurent Bourdelas écrivain et photographe.

    C'est un retour incessant, comme celui d'un chevalier s'approchant encore et encore de Brandigan, la forteresse du roi Evrain ; j'y cherche cette étrange aventure ayant pour nom Joie de la Cour, mais dont on dit qu'elle n'apporte que deuil et douleur. Désormais, les lieux sont gardés par de hautes éoliennes blanches, grands donjons tournoyant aux vents qui glacent les os. Qu'y a-t-il au bout de ce chemin bordé de vaches rousses et de ruches, que nous empruntions adolescents avec insouciance ? Si je parvenais à l'emprunter à l'envers, trouverais-je la chambre parfumée d'encens, de myrrhe et d'aloès, et serais-je convié à un souper d'oiseaux, de fruits et de vins délicieux ? Si je poursuivais à travers prairies pâles et forêts de résineux, pourrais-je m'allonger sur le lit d'argent couvert d'un drap brodé d'or sur lequel m'attendrait la Dame inconnue et belle, aux longs cheveux fins enserrées par la ferronnière comme les fées de mon enfance ?

    Que faisions-nous en ces temps anciens à Pigerolles ? C'était en juin, nous déambulions sous les étoiles entre le village et cette prairie au bout du chemin, celui qui prend presque en face du petit cimetière clos où des roses se figent sous la neige en décembre. Le monde vacillait, nous l'ignorions. Nous avions les cheveux mi-longs, des sweat et des jeans effrangés, des pataugas peut-être.

    Nous attendions sans savoir quoi - la vie, sans doute (la mienne est en partie restée accrochée aux faîtes des arbres, là-bas).

    Si je prends place dans le lit merveilleux, je sais que surgira de l'ombre Mabonagrain, le neveu du roi, lourdement armé, et qu'il me tranchera la tête, comme à tous les autres avant moi : sur chaque pieu qui borde le chemin, des heaumes sont plantés et sous chaque heaume, saigne une tête. On dit aussi que ce sont les pales des éoliennes qui coupent proprement le cou des candides voyageurs. Pourtant, je sais depuis toujours que ce lieu est à moi. Lorsque j'allais à La Courtine, saluant au passage l'enfant au poing levé de Gentioux me rappelant la vacuité de nos combats, immanquablement, deux chiens noirs venaient se coucher au milieu de la route, à Pigerolles. Si j'avais tourné la tête, j'aurais aperçu le cor pendu au tronc d'un arbre qui attend depuis des siècles celui qui parviendra à le faire résonner et dont la gloire et la renommée feront enfin la Joie de la Cour. Mais je n'étais pas encore prêt à éteindre les malédictions.

    C'était il y a trente ans, et le monde vacille encore, et Pigerolles existe encore : maisons de pierre, église, vieille école transformée, cimetière enclos pour éviter aux morts allongés la morsure cruelle du froid. Les grandes pales tournent comme pour passer le temps. D'autres chiens viennent à moi et l'enfant de Gentioux lève toujours le poing. J'ai enfin compris la vacuité de nos combats.Je sais qui je suis ou presque (the fool on the hill). Je sais qui ira jusqu'au bout du chemin, jusqu'à Brandigan, jusqu'à mon adolescence : mon fils blond, qui croit déjà que l'on traverse la vie dans un sous-marin jaune.

     

    (Texte librement inspiré d'Erec et Enide, de Chrétien de Troyes).
    Derniers ouvrages parus : " Des Champs de fraises pour toujours ", récit, L'Harmattan, 2004 ; " Sombre nuit où fut ma mort ", poèmes, Encres vives, 2005. A paraître : " Les Chroniques d'Aubos " (2006).

     


    Nu-tête

    millevaches parcLe plateau de Millevaches, c'est pour moi, la grande aération du corps. J'y vais chaque fois que je suis en panne d'écriture, quand le corps peine à écrire et qu'en lui, tout résiste, à commencer par ses propres forces : comprimées, durcies par une masse qu'elles ne savent plus employer. Quand je n'y vois plus clair. Au début, je croyais que c'était le plateau des milles vaches, et ce n'était même pas la croyance de l'enfant. Je croyais à ce peuplement des bêtes, suspendues par l'échine aux cornes du ciel. Mais la croyance fut rompue et je fus instruite. De la nature de cet innombrable et de l'eau qui abonde dans les creux de la terre. Qu'elle soit si seule me ravit. Et quand je pose pied à terre et que je frappe la terre de mon pied, c'est pour faire tomber les déchets et la corne de mon corps. Et qu'un vent les promène comme autant de particules noyées dans l'exploit de sa force. Avez-vous remarqué - ressenti - l'arrondi de la terre et comme l'on pressent - ici ou presque - la totalité de la sphère sur laquelle nous sommes posés. C'est comme si nous tournions avec elle.

    Les éoliennes ont rajouté leur propre mouvement. Ici, non seulement la tête vous tourne, mais le corps en entier, ici je dépose les parties défectueuses et comme malades, ici l'être que je suis s'affecte du grand air et du froid, et mon corps en entier devient ce lieu d'échange, toi pour moi, moi pour soi, un lieu de circulation - où même les nuages passent. Et quelques humains. Car comment les appeler autrement ? Ici, nous sommes frappés et tout nous semble étrange. Y compris le visage de l'homme. C'est l'évidence qui nous frappe, de plein fouet, comme le vent pousse les corps et la langue à sortir de soi. Ici, on aurait tendance à s'enfoncer dans les arbres et les feuilles, à ne plus faire qu'un. Mais ce n'est que tendance. Car le grand froid au bord duquel nous sommes assis, nous rappelle qu'il faut marcher. Stupeur tout en haut d'un souffle, le nôtre mélangé aux épices de la terre et au vide du monde, ici, à monter, puisqu'il faut monter et que le froid nous oblige à tenir, ici, je change de peau et j'opère la mue la plus silencieuse qui soit. On pourrait la croire insensible. On pourrait trouver d'autres métaphores, comme une espèce de machine à laver, géante. Ici, c'est grand tambour et c'est le vent qui lave et qui souffle en nos poumons et qui nettoie des pieds à la tête, jusqu'à nos idées, nos pauvres idées d'écriture et de poète. Ici, les chiens courent à l'état sauvage et quand ils reviennent vers nous - s'ils reviennent - c'est qu'ils ont déposé, quelque part, sous la terre, un peu de leur domestication. Nous faisons de même. Il y faut le ciel et le vent pur, le renouvellement instantané de ce que nous sommes, ici la pensée ne pense plus etc'est avec joie qu'elle s'abrutit sur le plateau du vent.

    Ici, je suis changée. Et les muscles se détendent et le froid qui nous apprend à faire face nous apprend aussi à plier, à détendre, à recevoir ce qui vient.

     

    Le 25 Novembre 2005
    Marie-Noëlle Agniau
    Marie-Noëlle Agniau est professeur de philosophie à Limoges. Elle est aussi poète.
    Vient de publier Boxes aux éditions Gros Textes.
  • Pigerolles, le plateau au point de bascule

    Le 11 février 2019, le ministre félon François de Rugy, infortuné successeur du pauvre Nicolas Hulot, visitait pour la deuxième fois en deux ans la ferme Emergence bio de Pigerolles à Gentioux, en compagnie de la préfète Magali Debatte, du député LREM Moreau et autres phares de l’humanité. Après le porc cul noir, le broutard, la ferme-auberge, la station de ski de fond et les vapoteurs de cannabis thérapeutique, Jouany Chatoux, agro-entrepreneur fièrement macroniste, présentait aux autorités son nouveau méthaniseur.

     

    affiche an 0Dans la foulée de ce déplacement ministériel, La Montagne nous apprenait que le collectif “l’Affaire du siècle“, avec ses deux millions de signataires, comptait faire son “Larzac 2003“ sur le plateau de Millevaches, à Pigerolles. “Autant que le symbole d’une campagne préservée, écrivait le quotidien, c’est à coup sûr l’image écolo-contestataire de ce territoire qui a valu au Plateau d’être repéré par les initiateurs de “l’Affaire du siècle“ comme un point de chute possible d’un grand rassemblement estival.“ Jouany Chatoux confirmait l’information tout en proposant d’accueillir pour sa part un événement de 50 à 60 000 personnes plutôt que les 200 000 initialement prévus par les organisateurs. Manu Chao et M sont pressentis. 

    Le 12 février, en marge du “grand débat national“, Cyril Dion, réalisateur du film Demain, initiateur de la pétition “L’affaire du siècle“, ex-dirigeant du mouvement steinerien “Colibris“ avec Pierre Rabhi, auteur remarqué d’un “Petit manuel de résistance contemporaine“ sorti chez Actes-Sud, maison d’édition de l’ex-ministre de la culture, se rend à l’Elysée. Il est accompagné par l’actrice Marion Cotillard, par l’économiste Laurence Tubiana et par Priscilla Ludosky, égérie supposée des Gilets jaunes, afin d’y promouvoir un projet d’“Assemblée nationale citoyenne“. 

    Le 16 février, Maxime de Rostolan, ingénieur et éco-entrepreneur, créateur du réseau Fermes d’avenir et de la plateforme de crowdfunding Blue Bees, lance son mouvement de “lobbying citoyen“ La Bascule, étrangement baptisé du même nom que l’association qui organise à Gentioux marchés d’hiver et dépôt-vente de produits locaux. Il s’agit, suite à un week-end de rencontres à l'École Polytechnique début février, de réunir cent étudiants bénévoles issus des grandes écoles et disposés à donner six mois de leur temps pour élaborer des “propositions concrètes pour la transition démocratique, écologique et sociale“, former des listes électorales citoyennes en accord avec ce programme en vue des élections municipales et organiser de grands événements fin août-début septembre afin de concrétiser la naissance du mouvement. 

    Le 21 mars, Nicolas Hulot, se rend à Pontivy au siège du mouvement “La Bascule“, une clinique désaffectée qui a été gentiment mise à disposition, pour y parrainer la constitution du “lobby citoyen“, lequel s’est donné 6 mois pour imaginer sa “(R)évolution“ dont les propositions devraient éclairer à l’avenir les gouvernants dans leurs choix politiques. Ces préconisations devraient être dévoilées lors de l’événement de Pigerolles, premier grand rassemblement du mouvement. 

    Le 13 avril, suite à plusieurs visites du soir à l’Élysée, Cyril Dion appelle dans Le Monde, avec quelques-uns de ses acolytes, à la “création d’une assemblée de citoyens tirés au sort pour élaborer des propositions pour une transition écologique solidaire“. 

    Le 16 avril, on apprend que, parmi les huit mesures annoncées par Macron pour tenter de se sortir de la “crise des Gilets jaunes“, figure la constitution d’une “convention de 300 citoyens tirés au sort“, chargée de “travailler à la transition écologique et aux réformes concrètes à prendre“. C’est ce qui s’appelle servir la soupe à des gouvernants discrédités pour que leurs nouvelles usines à gaz puissent prétendre répondre à d’“urgentes demandes des citoyens“. 

    Le 13 mai, un message émanant de La Bascule – lobby citoyen, tout en confondant évidemment un certain nombre de ses destinataires du Plateau, confirme l’intention d’organiser l’événement à Pigerolles : “Du nom de code 'L'An Zéro', ce rassemblement festif et convivial se déroulera du 30 août au 1er septembre sur le plateau de Millevaches à Pigerolles. Il réunira près de 50 000 personnes prêtes à basculer vers un monde désirable autour de conférences, de formations en tous genres, d'activités sportives, d'ateliers pédagogiques pour jeunes et moins jeunes, de concerts, de différentes représentations d'arts de la rue et bien d'autres opportunités de se rencontrer. (…) Nous sommes convaincus que la grande richesse qu'offre l'écosystème du territoire de la Creuse en matière d'associations et d'initiatives constitue une belle opportunité pour ce projet.“

    Quoi de plus écolo, en effet, que d’agglutiner sur une commune plutôt épargnée (si, du moins, l’on oublie les coupes rases) quelque 50 000 personnes – soit 10 000 véhicules au bas mot - pour y tenir au prix d’une orgie d’énergie et de décibels un de ces grands raouts fédérateurs où confluent tous les habitués des festivals estivaux et les stars de la scène musicale française, bien sûr toutes très engagées pour le climat ! Quoi de plus logique, pour des bobos métropolitains décidés à sauver la planète, que de commencer par saccager de leur seule présence un coin tranquille du plateau de Millevaches ! Quoi de plus évident qu’il appartient aux étudiants des grandes écoles d’ingénieur, de commerce et de sciences politiques, alliés à Macron, Mélanie Laurent et aux multinationales pleines de compréhension, de nous sauver du désastre que leurs aînés, depuis les mêmes écoles, ont si bien su organiser ! 

    Tout se passe décidément comme si la canaille politico-médiatique ne pouvait trouver d’inspiration ailleurs qu’ici. Le “Plateau insoumis“, coïncidence fortuite, dut il y a quelques années se résoudre à cohabiter, du moins sémantiquement, avec une formation stalino-franchouillarde dite “La France insoumise“. Aujourd’hui, c’est au tour de la “La bascule“, modeste association de Gentioux, à qui l’on usurpe l’enseigne pour en faire l’emblème homonyme d’un mouvement se proposant d’engloutir dans les impasses rebattues des élections, du management et de l’ingénierie, l’énergie d’une jeunesse des classes moyennes désespérément crédule.

    Il est de notoriété publique en ce premier quart de siècle, que l’avenir du monde et de l’humanité se présente très mal. Sur les seuls aspects environnementaux et énergétiques, il suffit de lire le bilan dressé par le centralien Philippe Bihouix pour mesurer le caractère quasi-irréversible de l’impasse où plus de deux siècles de capitalisme nous ont emmanchés. Mais cette impasse est tout aussi bien sociale, existentielle, civilisationnelle. Et l’agencement géopolitique du monde, fait de superpuissances gérées par des psychopathes, est à l’image de tout ce désastre. Il n’est d’ailleurs plus un média qui ne le rabâche à tout instant, détaillant avec gourmandise les moindres contours de la catastrophe ; c’est que la gravité de la situation est devenue difficile à dissimuler. 

    D’autres raisons s’entremêlent à cela : la peur qui s’empare des foules garantit des heures d’audience bien mieux qu’un bonheur serein ; puis elle offre des opportunités inespérées aux appétits des promoteurs de “solutions“, aux vendeurs de poudre de perlimpinpin, et aux idéologies de pacotille. Mais l’effet le plus tangible et le plus immédiatement bénéfique au Pouvoir tient évidemment dans cette forme inédite de terreur, dans la culpabilisation de chacun, enjoint de réformer chacune de ses habitudes pour contribuer à “sauver la planète“.Dans le domaine des gesticulations vaines et nonobstant pompeuses – de celles qui aspirent à se frayer une niche en se payant sur l’angoisse des foules - nous ne résistons pas à illustrer notre propos par un exemple local, anecdotique certes mais néanmoins parlant. Il y a peu, un flyer du Centre d’art et du paysage invitait le public autochtone à rencontrer dans un bar de Royère deux jeunes artistes-paysagistes belges “en résidence“ au château de l’Ile de Vassivière. Leur projet, s’inscrivant dans le cadre du programme “Vassivière Utopia“, annoncé bien sûr en forme de solution providentielle, se propose de “débroussailler le monde pour qu’il redevienne un jardin“, pas moins ! Voilà qui est confondant, malgré son caractère bénin et sa portée limitée. Ce qui ne sera pas le cas, on l’a vu, cet été pour l’événement écolo-citoyenno-festif évoqué plus haut.

    Apprendre par voie de presse ce qui se prépare à côté de chez vous est toujours mauvais signe : c’est qu’à coup sûr une expropriation est en cours. Il y a dix ans, le plateau de Millevaches accédait à une notoriété inattendue suite à une série d’arrestations médiatisées. Le marketing territorial à quoi cette affaire a fini par donner opportunément lieu, a valu au Plateau la réputation alternative et au fond inoffensive qui devait y attirer les Dion et consorts. Cette seconde incursion, armée de si louables intentions et d’une idéologie si flatteuse, trouvera-t-elle auprès des colonisés les alliés sans quoi aucune colonisation durable n’est possible ? Car il est plus facile de repousser les assauts de la police que la bonne volonté des citoyens.

     

    Zig et Puce

     

    Bernard Charbonneau, prophète en son pays

    Critique radical de la technologie et du développement, et ceci dès les années 1930, Bernard Charbonneau (1910 - 1996) est considéré comme un des penseurs pionniers de l'écologie politique. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont en 1980 Le Feu vert, dans lequel il fait cette prédiction amère : “Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire, dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement.“ N'en-est-on pas arrivé là ?