Guillaume Martin, né en 1993, a fait de solides études de philosophie, obtenant un master grâce à un mémoire intitulé : “Le sport moderne, une mise en application de la philosophie nietzschéenne ?“ En même temps, il est un excellent coureur cycliste au point d’être devenu professionnel, et leader de son équipe belge lors du Tour de France. Il a ainsi terminé 21e en 2018 et 12e en 2019. Cette année, il a aussi gagné l’étape de l’Etna du tour de Sicile. Il s’est ensuite montré l’un des meilleurs au championnat de France et vient de terminer 5e du tour de Burgos. Il vient de terminer 3é du Tour du Limousin, dont il avait gagné la dernière étape à Limoges en 2017. L’année prochaine, il sera le leader de l’équipe française Cofidis.
Dans son livre, il imagine que le tour de France est disputé par des philosophes de tous les pays et de toutes les époques ; ce qui lui permet – sous une forme plaisante et originale - d’expliquer ce qu’est le métier de coureur cycliste : entraînement, tactique en compétition, travail d’équipe, nutrition, entourage... À tout cela, s’ajoute également de parler philosophie.
Il affirme ainsi que l’effort physique de haut niveau n’est pas l’ennemi de l’activité intellectuelle. “Penser ne se décrète pas. La philosophie surgit. C’est un art de vivre, un mode de pensée plutôt qu’un contenu de pensée. Pourquoi ceci serait-il inconciliable avec une vie de cycliste ?“ Guillaume note au passage que si Flaubert ne pouvait penser qu’assis, et Nietzsche seulement en marchant, le cycliste est à la fois assis et en marche. L’auteur s’élève ensuite contre la conception dualiste séparant corps et esprit, et il fait un retour avec les Jeux Olympiques antiques : “Un temps où l’homme était un tout, corps et esprit étant une seule et même chose“. Un temps où, pour citer Nietzsche, il était reconnu que “le corps pense“. Pour les Grecs, l’homme idéal était “à la fois bel et bon“.
Dans son mémoire de master, Guillaume Martin soutient que la philosophie de Nietzsche permet de mieux décrire le vécu du sportif que l’idéologie olympique en vigueur de nos jours. L’individualisme nietzschéen s’oppose à “l’altruisme de façade“, glosant sur le fair play ou le désintéressement (l’essentiel est de participer). Il en profite pour dénoncer les contresens développés par des penseurs de droite et d’extrême droite, notamment les nazis, au sujet de la volonté de puissance, un des concepts-clés de la pensée de Nietzsche. Ce n’est pas un désir de dominer ou exterminer l’autre, mais “la tendance naturelle qui pousse chaque être à s’accroître, à se développer“. C’est une pulsion individuelle de vie, une force d’affirmation. Le surhumain n’évoque pas une race maîtresse et supérieure, mais un mouvement ascensionnel éthique.
Le grand géographe anarchiste Elisée Reclus exprimait une idée analogue lorsqu’il écrivait : “je travaille à la sculpture du héros dont je rêve, et qui est mon meilleur moi“. Guillaume Martin, en cycliste et philosophe, me paraît aller dans cette même direction.
Le titre du livre d’Arthur Lochmann renvoie explicitement à La vie liquide de Zygmunt Bauman (Albin Michel, 2013). Dans la société capitaliste ultra-libérale, “chaque jour apporte son lot de nouveaux changements. Les structures sociales, de même que les liens amicaux et amoureux, ont perdu leur rigidité pour devenir fluides. Tout va toujours plus vite, et le temps file au point de n’être plus qu’un présent sans perspective.“ Arthur Lochmann nous explique que – se sentant un peu déboussolé après des études de droit et philosophie – il a bifurqué vers la charpente. L’apprentissage de ce métier artisanal et sa pratique régulière lui ont indiqué la vraie voie à suivre, dans sa vie professionnelle, comme personnelle. Il expose ses réflexions concernant l’opposition entre tradition et modernité : “Sur un chantier de charpente, il n’y a pas le choix entre anciennes techniques et nouvelles ; il y a toujours un savant mélange des unes et des autres. La pratique de la charpente, en particulier, nous enseigne qu’être à la pointe de la modernité n’implique pas de renoncer aux techniques vieilles de plusieurs siècles“. Après avoir décidé de se lancer dans le métier de charpentier, Arthur a obtenu un CAP, auprès des compagnons du Tour de France, la fédération compagnonnique gardienne des traditions et savoir-faire de la profession. Ensuite, il a travaillé en France et en Allemagne, sur différents chantiers de nature très diverse, et il a donc acquis une solide expérience. Dans son livre, il nous fait partager ses connaissances concernant les outils et les techniques ainsi que les difficultés et joies rencontrées durant ces chantiers. Ses descriptions très précises, exprimées dans une langue claire et élégante, l’amènent à interroger les termes de cette opposition : travail intellectuel et travail manuel. Il écrit : “Sur les bancs de l’école à la française, on a vite fait de perdre de vue la profonde interdépendance du langage et des gestes, et de considérer la main comme un organe simplement asservi au cerveau. J’étais un specimen assez représentatif de cet oubli lorsque j’ai débarqué en formation. Bon élève, dressé à la supériorité de l’esprit tout puissant, j’étais certain qu’il suffirait de bien analyser le geste à effectuer pour l’exécuter correctement. La déconvenue fut violente.“ Arthur Lochmann analyse et décrit les mécanismes de l’apprentissage, avec la “répétition gratifiante“, l’acquisition progressive des gestes du métier, avec la mise en œuvre de tout le corps, et pas seulement la main. “Le bon geste de la main puise sa force dans le sol. Bien scier vient des pieds“.
Ce livre est un hymne à la beauté du travail de charpentier, une reconnaissance de la grande intelligence, venant à la fois du corps et de l’esprit indissociables, intelligence nécessaire pour accomplir les chefs-d’oeuvre de la charpente.
Jean-François Pressicaud