Hilly habite à Rempnat. Pour inaugurer cette rubrique qu'elle nous propose elle nous offre un extrait de son livre "Réflexion sur une pierre plate" qu'elle a écrit de septembre 2004 à juin 2005 et qui sera publié en décembre 2006 aux éditions Ecritures. Dans ce récit autobiographique elle raconte d'abord les deux mois de traitement qu'elle a subis dans une clinique psychothérapeutique, entrecoupés par des respirations dans des lieux de ressources (le pré de la rivière, l'arboretum, la chapelle du Rat) et par des sauts dans l'espace et le temps permettant de saisir le fil d'une existence : la sienne.
Mais elle rajoute aussitôt : "Ou peut-être pas. Peut-être s'agit-il plutôt d'une tentative de sonder dans les profondeurs de l'être".
Le texte que nous publions aujourd'hui correspond à une des "respirations" qui lui permettent de se ressourcer : une promenade dans un arboretum.
Aujourd'hui, après avoir été chez Jean-Paul pour la correction du premier chapitre, j'ai continué ma route vers l'arboretum. J'y avais déjà été, accompagnée par Marc, samedi dernier, mais tellement émue d'être à nouveau entourée par ces grands arbres, ces amis solides par temps de détresse, ces piliers empêchant le ciel de me tomber sur la tête, ces ancres, ancrées dans le sol, même par mer mouvementée, bref, de ces êtres sans pareil, j'avais oublié de relever le nom. Et il me les fallait, leurs noms.
Pour nommer ceux qui m'ont été d'un grand secours, je suis allée à l'arboretum, et je suis revenue avec leurs noms dans ma poche.
Je sais maintenant que celui qui, de son écorce rougeâtre, souple et spongieuse m'a maintes fois épongé mes larmes, est le Séquoia Sempervirens, planté en 1885, que celui qui, me voyant marcher le dos courbé, malgré toute humiliation, m'a montré comment garder la tête haute, était le Sapin Noble.
Celui qui invitait à jouer, celui dont il fallait nos deux corps et nos quatre bras, à Marc et à moi, pour en faire le tour, le Douglas Vert.
Celui qui, en me montrant bien le départ de ses racines, bien visibles en bas du tronc large et majestueux, me laissant imaginer comment elles allaient en profondeur dans la terre, me montrant tout ça en me voyant marcher les pieds traînants, ou, en côte, sur la pointe des pieds (il me disait : "Pose bien tes pieds, fais comme moi, prends racine à chaque pas"), c'était un grand Thuya.
En groupe ils étaient, me regardant avec respect, considération, tendresse, quand je m'allongeais le dos sur la terre, les bras en croix étalés, m'abandonnant à la terre, au milieu d'eux. C'étaient des Cyprès.
Et puis celui contre le corps duquel je collais mon corps, regardant vers le haut, l'immensité du tronc se perdant dans le ciel, la promesse du ciel, c'était un grand Séquoia Gigantea. Planté en 1885, il a presque autant de branches mortes que d'années passées, mais par le haut, vers le haut, toujours plus haut, ça se renouvelle.
Seul feuillu dans l'histoire, le petit Hêtre Tortillard je ne l'ai pas reconnu tout de suite, c'est à dire qu'à l'époque, comme c'était le printemps, il n'avait pas encore de feuilles, ou il commençait tout juste à en avoir. Seul était visible son corps tortueux, noué, vrillé. Déjà pas très joyeux de nature, il portait en plus les traces des blessures infligées ; des couteaux avaient sculpté les initiales de leurs propriétaires amoureux...
A l'époque, ce petit arbre ne m'avait pas été d'un grand secours. Je n'avais pas envie de me torturer comme lui, ni de subir comme lui. C'est qu'à l'époque je regardais surtout le tronc des arbres, et vraiment, le tronc de ce petit arbre misérable ne pouvait guère m'inspirer.
C'est que le Hêtre Tortillard attendait aujourd'hui pour me livrer son message : son feuillage se déployait sur ce qui était sous lui comme couverture sur corps fiévreux...