Le développement local passe avant tout par des porteurs de projets. On mesure donc l'importance des histoires de vie personnelles pour reconstituer et comprendre la genèse et le développement des projets. En voilà trois exemples passionnants.
La problématique générale de ce premier ouvrage rencontre les interrogations actuelles autour du concept de "développement durable" voire, beaucoup mieux, de décroissance, en se demandant comment trouver un compromis acceptable entre des logiques qui sont souvent contradictoires :
Dans cette perspective, l'expérience d'Ardelaine mérite d'être connue pour se persuader qu'il est possible de vivre, travailler et consommer autrement. Le totalitarisme de la rationalité économique mise en oeuvre par le marché conduit de fait à un anti-humanisme.
Contre les défenseurs de cette économie de marché qui prétendent qu'il n'y a pas d'alternative crédible, l'ouvrage de Béatrice Barras nous délivre une bouffée d'optimisme crédible en montrant qu'il est possible de mettre en oeuvre d'autres principes de régulation que la seule recherche de la productivité maximale à tout prix (avec du dumping social et du dumping écologique).
On retrouve alors dans l'expérience d'Ardelaine les principes fondateurs d'un autre modèle d'organisation :
L'ouvrage de Christophe Beau est intéressant à lire d'un double point de vue. C'est un vrai manuel de développement local dans lequel on découvre les moyens de dépasser les traditionnels obstacles à la création d'activités (mobilisation de l'épargne, choix d'une technique de production, détermination de l'échelle optimale de production…). Par ailleurs, c'est aussi une véritable chronique villageoise où l'on mesure les conséquences d'un attachement viscéral à la terre de ses ancêtres.
Techniquement parlant, la réussite de Christophe Beau repose certainement sur trois éléments :
Sur le second aspect mis en évidence dans l'ouvrage, on pourrait discuter longuement du type de lien social que génère, dans l'espace rural, un attachement excessif à la propriété foncière. L'intérêt de ce témoignage, au delà de l'expérience réussie d'une installation atypique, est de nous faire découvrir avec finesse la complexité des relations sociales dans le monde agricole et la ténacité qu'il faut pour pouvoir s'y intégrer.
L'ouvrage de Michel Lulek est à lire pour se persuader que "la façon de travailler est aussi importante que le produit qui est fabriqué" et que, sans jamais prétendre à l'universalité d'un nouveau modèle clé en main et transposable, Ambiance Bois représente une expérience démontrant bien, à l'heure de la recherche d'alternatives à un productivisme dépassé, qu'on peut effectivement vivre et travailler autrement. Le premier intérêt de l'ouvrage réside dans la reconstitution de l'épopée d'Ambiance Bois. A la lumière de cet historique, on comprend la nature profonde de ce que constitue un montage de projet dans toute sa globalité. Parmi les nombreux enseignements qui pourraient être tirés de cette expérience, on nous permettra d'en retenir trois :
- la recherche de la localisation optimale du projet par rapport à l'existence de réseaux denses d'acteurs sur le territoire. Cela change des approches traditionnelles purement économiciennes en termes de niveau de qualifications professionnelles disponibles, d'infrastructures de transports, …qui eussent condamné d'emblée le Plateau de Millevaches.
- le choix du statut juridique de l'entreprise. Ce choix n'est pas neutre par rapport à la répartition du pouvoir, d'où la SAPO (Société Anonyme à Participation Ouvrière).
- la recherche systématique de l'autonomie de l'entreprise au travers de la maîtrise de la filière, du sciage au produit fini.
Après l'abandon du projet initial de scierie et sa nouvelle conception à partir de la deuxième transformation du bois, trois éléments caractérisent la stratégie d'Ambiance Bois : vente directe, diversification des produits et respect de l'environnement.
Tout cela permet de comprendre qu'Ambiance Bois n'a rien à voir avec une entreprise de type capitaliste qui chercherait à augmenter systématiquement ses parts de marché à l'exportation et fonctionnerait avec des matières premières importées moins chères. Mais l'important de cette expérience réside beaucoup plus dans l'organisation interne du travail qui constitue véritablement l'originalité d'Ambiance Bois. La semaine de quatre jours et le vendredi matin consacré à la gestion collective constituent de vraies innovations. De façon plus générale, il y a une réflexion sur la gestion globale du temps (vivre à plusieurs temps), ce qui justifie le niveau des salaires, l'objectif n'étant surtout pas le profit maximum.
On retrouve également un débat intéressant dans l'entreprise autour du partage des gains de productivité : augmenter les salaires ou diminuer le temps de travail ? On se régale à la lecture des pages consacrées à la critique de la dérive des besoins de consommation et de la "paupérisation psychologique" comme dirait Jean Baudrillard ; à l'intérêt d'aboutir à une déconnexion entre revenu et travail pour aller vers du travail autonome au sens de André Gorz et dont la véritable rémunération est la maîtrise de son temps ; à la nécessité de lutter contre l'hégémonie de l'économique sur la vie sociale ; à l'intérêt de maîtriser un projet de développement pour le mettre au service d'objectifs non économiques…
En conclusion, on ne peut que souhaiter que d'autres ouvrages de la qualité des trois que nous venons de commenter enrichissent la collection des éditions REPAS pour le plus grand bénéfice de tous.
Jean-Jacques Gouguet