Editions Verdier, 2001.
“J’ai vu le jour, si le mot convient, dans la vieille, la pluvieuse Corrèze au milieu de ce siècle, c’est à dire quelque part entre l’an mil et l’entre-deux guerres où le temps s’est arrêté, à supposer qu’il ait jamais passé sur ces froides, ces trop vertes solitudes ”. Pour son 35ème livre, Pierre Bergounioux revient une fois encore (comme toujours) sur ses terres d’enfance avec lesquelles il entretient une relation ambiguë et étrange, faite de répulsion affichée et d’attirance subie. Atavisme géographique qui lui fait dire ailleurs : “Les terres froides, drapées de mauve et de gris, comme endeuillées, ont déteint sur le cœur”. Et ce cœur alourdi du poids des héritages recherche tout au long de son œuvre à tirer quelques-uns des fils qui lui permettront de mieux comprendre ce qu’il est : “La vie, écrit-il encore, nous a entraîné loin de nos fondations. Mais elle ne les a pas abolies”.
“Un peu de bleu dans le paysage” rassemble huit textes indépendants consacrés tous à des souvenirs d’enfance ou d’adolescence, à des choses vues, devinées, adoptées avec plus ou moins de consentement. C’est le vieux célibataire solitaire et un peu sauvage que l’on croise dans nos villages ; c’est le poids de la vie domestique ; c’est la découverte éblouie de la lecture ; c’est enfin le plateau auquel il consacre tout spécialement deux textes intitulés, l’un, tout simplement “Millevaches” (cf. extrait ci-dessous), l’autre “Sauvagerie”.
Ce petit ouvrage intime et dérangeant nous dresse, loin de l’idéalisation régionaliste de la littérature du même nom, le miroir tragique d’un plateau qui n’est sans doute plus le nôtre.
Extrait :
“Deux millénaires durant, la vie s’est maintenue sur les hauteurs. L’homme, sous l’aiguillon de la nécessité, a disputé son existence aux combes humides où poussent les joncs, à l’aridité des sommets pleins de vent. Cette histoire, si c’en est une, si le mot convient, a pris fin sous nos yeux. Le sol des plaines, désormais, suffit à tout. Le progrès, comme on dit, les engrais, le remembrement, la force mécanique ont rendu à la friche les “plus mauvaises terres”, le jeu de la rente différentielle voué sans retour ces marges à l’abandon. Elles entreront demain dans l’oubli, le néant. Pour très peu de gens – ceux qui ont vu périclité cet univers – et pour très peu de temps – celui, très exactement, qu’il leur reste à vivre -, Millevaches est le théâtre à demi réel, à demi halluciné, où s’attarde le grand passé”.
Pierre Bergounioux, “Millevaches” dans Un peu de bleu dans le paysage, 2001, page 72-73