Dans la saga intitulée Le Cycle de Syffe, ni les personnages, ni les intrigues n’ont grand chose à voir avec les précédents romans. Je souhaite vous parler du premier volume de cette saga – sept sont prévus – intitulé L’Enfant de poussière (éditions Le Diable Vauvert). À travers l’histoire particulièrement mouvementée et aventureuse d’un garçon de 8 ans, Patrick aborde un nouveau style, le roman de « fantasy ». Le romancier nous a expliqué lors d’une soirée pelaude, pourquoi il avait décidé d’une nouvelle orientation, et bien précisé « fantasy » historique. Histoire de sourire un peu, je dirais plutôt de l’histoire fantaisiste. La bible du genre, c’est Le Seigneur des Anneaux. S’il y a chez Patrick Dewdney quelques ressemblances avec la saga de Tolkien, il y a surtout des différences, la première étant que tous les êtres qui peuplent la région de Corne-Brune, et au-delà, sont des humains. L’histoire n’est pas intemporelle, elle se situe sans ambiguïté dans un contexte médiéval : les armures, les épées, les chevaux, les châteaux… Si l’approche de l’auteur répond bien à une définition du genre « fantasy », littérature de l’imaginaire, seuls les mythes y sont présents, peu de surnaturel. Finalement, si, cette Elle double qui hante les nuits de l’enfant, et qui n’est pas une femme.
Je vais commencer, pour m’en débarrasser, par quelques critiques. La longueur tout d’abord : 616 pages, il faut un sacré appétit. Le style un peu trop léché, belle langue, mais phrases souvent interminables, avec beaucoup d’effets de style, justement. Quand on lit : « Plusieurs tables massives y étaient disposées en carré, à la manière d’un réfectoire, où une poignée de camelots et trois voyageurs encapuchonnés, qui portaient les masques sculptés de la guilde des pérégrins, échangeaient les nouvelles en un désordre turbulent. » Eh bien, on se dit « la suite S.V.P. ». Je pense que Patrick abuse aussi des descriptions. En réalité, il s’amuse, l’écriture le remplit de plaisir, alors il traîne. Est-ce que ce « beau français » ne serait pas celui dont Serge Quadruppani se « contrefout » (Les Écrits d’août) ? Dernier point, mais ce n’est pas vraiment une critique, la profusion des personnages et des lieux, les intrigues entremêlées, sont parfois difficiles à suivre. Heureusement, nous avons plusieurs cartes, il n’y manque qu’un lexique, PKD s’étant ingénié à inventer une foule de mots et de noms. Voici comment le critique littéraire Nicolas Winter a résumé ses impressions : « Syffe débarque dans notre imaginaire avec la puissance d’un météore, autant par son écriture sublime que par son monde d’une affolante densité. Le résultat ? Magistral. » Je rajouterais : un peu trop complaisant avec la violence. Le lecteur jugera.
L’Enfant de poussière est absolument impossible à résumer tant son contexte est foisonnant. L’histoire commence avec un quatuor d’enfants abandonnés, dont Syffe, confiés à une vieille femme qui les nourrit mal et ne leur prête guère d’affection. Syffe et ses amis Brindille, Merle et Cardou, jouissent par contre d’une assez grande liberté, qui les expose à tous les dangers. Cette liberté leur permet de côtoyer les habitants de Corne-Brune, ainsi que des tas de tribus des alentours, les Gaïches, les Deïsi, les Païnotes... et les Syffes, assez méprisés par les habitants de la ville qui les qualifient de « foncés ». Syffe – c’est à la fois son peuple, son surnom et son nom – échappe plusieurs fois à la mort, dont il est sauvé par un guerrier mercenaire Var. Ce dernier veut faire du garçon un homme, à coups de tabassages et de tortures quotidiens. C’est avec lui qu’on entre dans la guerre, la vraie. Le siège de la forteresse d’Aigue-Passe ressemble furieusement à tous les sièges médiévaux. La violence ne suffisant pas, c’est la trahison et la traîtrise qui l’emportent. La suite est à lire dans La Peste et la vigne.
Une des grandes réussites du romancier est d’avoir créé « son » monde imaginaire, évoluant au rythme des lunes… celle des pluies, celle des semailles. Monde organisé en primautés (un genre de canton d’aujourd’hui), où l’on croise des justicaires, des premières-lames, des chargeurs igériens, des hobbelards, des yunglings. L’inventivité et la richesse du vocabulaire sont un des attraits du roman. Les noms de lieux ou de personnages par exemple : Blancbois, Cullonge, Spinelle, Bourre, Embole… et l’infâme Misolle. En fait, si la société créée par Patrick Dewdney ressemble beaucoup au monde féodal, elle ressemble aussi à la nôtre, où les hiérarchies dépendent essentiellement de la force et de l’argent, où se succèdent les désordres politiques et sociaux, le fanatisme et la guerre. Les mentalités des personnages sont strictement contemporaines. Ah tiens, un autre point commun : le primat Villune, qui dirige Corne-Brune, est élu !
Michel Patinaud