Le premier texte, « Mon objection », relate de façon précise ce qu’a été son parcours. Ayant obtenu le statut d’objecteur de conscience en octobre 1973, il fut appelé le 24 mai 1974 à rejoindre l’ONF auquel le ministre de l’Agriculture avait décidé d’affecter tous les objecteurs. Comme la majorité de ceux-ci, il s’insoumit et passa en procès au tribunal de grande instance de Limoges le 23 février 1976. Ce procès fut un grand moment de mobilisation antimilitariste, écologiste et occitaniste. Il fit grand bruit en Limousin et les soutiens ne manquèrent pas. Finalement, celui que le procureur avait traité d’ « extrémiste du châtaignier » écopa de deux mois de prison avec sursis. Au-delà des péripéties de cette histoire plaisamment contée, ce texte nous fait partager l’antimilitarisme viscéral de Jan dau Melhau, qui s’abreuve à deux sources : d’abord la détestation de la hiérarchie rigide et de l’autoritarisme brutal propre à l’institution militaire, ensuite la révolte générée par l’injustice et l’horreur des guerres coloniales (et particulièrement celle d’Algérie).
À la suite, figurent les « textes du confinement ». Dans « De la nécessité de renverser la vapeur » il part du constat des déséquilibres, devenus des impasses, du monde actuel. Première impasse : la démographie. « Pour qu’elle soit acceptable (...) la population devrait valablement être ramenée au tiers de son chiffre actuel, pour la France à la moitié. » « Qui ne voit, ne veut pas voir que la surpopulation planétaire (…) est notre grand problème, ne voit rien et ne risquera jamais rien résoudre. » Deuxième impasse : les déchets. « La terre n’est plus qu’une vaste poubelle de béton, de caoutchouc, de plastiques et autres matières synthétiques, de ferraille, de toute sorte de métaux plus ou moins transformés. » Jan dau Melhau note a contrario que « la société rurale traditionnelle, si peu consumériste, ne faisait pas de déchets, les choses – si peu de choses – arrivées à leur terme pourrissaient ou rouillaient sans choquer dans un coin de charrière. » Troisième impasse : la mobilité qui confine à la bougeotte, et la vitesse. Avec l’invention de la machine à vapeur, « la vitesse est en route, tout va suivre, sans cesse allant s’accélérant. Vitesse qui va de pair avec la concentration et le gigantisme. La bagnole, l’usine, le gratte-ciel, la mégalopole. À la fin du XVIIIe siècle, on s’est trompé de route. » Il liste alors tout ce à quoi il faudrait renoncer pour renouer avec une société vivable. C’est en quelque sorte un inventaire de ce qu’implique une décroissance radicale, et le « retour à une vie frugale, simple, stable, assise, sédentaire. » « Il faudrait revenir à la petite communauté paysanne, autonome et autosuffisante qu’en Limousin ou en Bretagne on appelle un village. » Ce qui le conduit à esquisser les thèmes qu’il développera dans le texte suivant : l’opposition entre la machine et l’outil, le second étant seul cohérent avec la petite unité rurale et la distinction entre métiers et emplois, les premiers seuls pouvant trouver leur place dans cette utopie rustique. Et de terminer ce premier texte du confinement en parlant de deux institutions auxquelles Ivan Illich s’était intéressé en son temps : l’école et la médecine. Jan dau Melhau ajoute sa patte aux analyses d’Illich. Pour l’école, il note qu’on n’a pas besoin, pour les apprentissages essentiels (lire, écrire, compter) d’un « magister en sa classe. Et pour le reste, le maître enseignera l’apprenti comme ça s’est toujours fait. » Quant à la médecine, telle qu’on l’entend aujourd’hui, elle n’aurait pas cours dans son village : « Je vois peu d’avenir pour la grande confrérie du caducée (…) Des gens savent guérir, ils sont des herbes et des rituels, le vieux chamanisme n’est pas si loin et surtout les gens savaient – sauraient – mourir sans en faire une maladie. »
Après deux textes, l’un sur la machine et l’outil, l’autre sur les États nations, ces « entités déraisonnables », on trouve deux ensembles de textes concernant deux luttes auxquelles Jan dau Melhau a pris une part importante et souvent prépondérante. Contre les plantations de pommiers, un exemple d’industrialisation de l’agriculture, de pollution de l’environnement et d’atteinte à la biodiversité : « Elles empoisonnent nos vies, détruisent nos paysages, elles sont une agression permanente contre nos santés, notre regard, notre mémoire (…) contre la vie. » Deuxième affaire : Chauffaille, domaine situé sur la commune de Coussac-Bonneval (Haute-Vienne), devenu propriété de la communauté de communes, sur lequel est projeté un « Disneyland de la musique ». Il reprend avec précision l’historique du lieu, avec notamment cet épisode où il fut vendu à l’armée qui y fit pas mal de dégâts. Pour le reste IPNS s’est fait l’écho dans ses n° 53, 67 et 68 des luttes menées contre ce « Zizic’ land », et particulièrement du jeûne public de trois jours qu’entreprit Jan dau Melhau avec sa compagne Brigitte « pour montrer leur opposition absolue au parc de loisirs à Chauffaille ».
Le livre comprend également tout un développement autour de la musique traditionnelle, retraçant les efforts des musiciens militants pour conserver les morceaux musicaux et redonner vie aux instruments anciens. Certains passages laissent perplexes, comme cette affirmation : « La perte du bon goût naturel de l’oreille (…) vient de cette trouvaille mathématique dite gamme tempérée (…) qui assure le triomphe de l’artifice et de la rigidité et trouve son aboutissement caricatural dans le piano, supplice de toute oreille sensible, véritable insulte à l’idée même de musique ! » Dur à avaler pour qui aime Vladimir Horowitz, Duke Ellington ou Earl Hines ! Parmi les pépites de ce livre citons pour terminer l’appel du 5 juin 2014 contre les nouvelles grandes régions, signé « le préfet du maquis, alias JdM » et les 14 aphorismes dont beaucoup mériteraient la citation. Au total, un livre divers, générant un grand plaisir de lecture, parfois irréaliste (mais Jan dau Melhau le sait bien), souvent vigoureusement combatif et presque constamment provocateur.
Jean-François Pressicaud