L’écologie libertaire est le courant de pensée qui se trouve au croisement des thèses écologistes et des conceptions anarchistes. Ses tenants considèrent que l’un ne doit pas aller sans l'autre. Une écologie ne partageant pas la visée anarchiste serait porteuse de toutes les dérives : autoritarisme, technocratie, oligarchie, ou, à l'inverse, réformisme. Et un anarchisme qui n'intégrerait pas les déséquilibres écologiques comme problème fondamental de la société moderne n’aurait aucune prise véritable sur le réel et sombrerait dans le technosolutionnisme ou/et dans un scientisme négateur de la liberté individuelle.
Patrick Chastenet, professeur de sciences politiques à Bordeaux, présente dans son livre cinq auteurs majeurs qui sont soit précurseur (Élisée Reclus), soit fondateurs (Jacques Ellu et Bernard Charbonneau), soit acteurs et penseurs incontournables (YvanIllich et Murray Bookchin) de l'écologie libertaire. Parmi eux, trois se réclament explicitement de l'anarchisme : Reclus, Ellul et Bookchin. Charbonneau et Illich, pour leur part, refusent l'étiquette, mais développent des conceptions autorisant à les classer parmi les penseurs libertaires.
Si Élisée Reclus affirme que « l'anarchie est la plus haute expression de l’ordre », et si Proudhon la définit comme « l'ordre sans le pouvoir », Patrick Chastenet ajoute que « l'idée commune à Proudhon, Reclus, Bakounine, Kropotkine, Malatesta et à tant d'autres anarchistes - dont Ellul et Bookchin - est donc que non seulement l'absence d'État n'est pas synonyme de chaos, mais qu'elle constitue l'idéal à atteindre pour qu'enfin les hommes puissent se gouverner eux-mêmes, sur la base de normes et de valeurs librement consenties ». Pour ce qui concerne l'écologie, il souligne que, malgré leurs spécificités et leurs nettes divergences parfois, ces cinq penseurs ont en commun de ne pas réduire la question écologique à la protection de l’environnement, de ne pas la séparer d'une critique radicale du capitalisme techno-industriel et d'appeler de leurs vœux un changement de société. Ils sont unanimes pour dire, chacun à leur façon, que « l'on ne peut pas prétendre protéger la nature en défendant l'économie qui la détruit ». Il ajoute : « Construire une société écologique signifie évidemment repenser notre rapport à la nature dans le sens d'un plus grand respect de la biodiversité, sans renoncer pour autant aux valeurs cardinales que sont la liberté, l'égalité et la fraternité sous la forme de la solidarité et de la justice sociale. »
Le livre de Patrick Chastenet a le grand mérite de poser les fondements d'une critique radicale, écologique et libertaire, de la société capitaliste développée.
Jean-François Pressicaud