Même en étant éloigné du champ de bataille, le territoire de Monts et Barrages a lui aussi largement éprouvé la guerre. 2 500 de ses soldats ont péri (sur près de 48 000 habitants en 1914) et les familles restées à l’arrière ont dû vivre dans des conditions difficiles et dans l’attente pendant quatre longues années. Les 34 communes composant aujourd’hui le Pays Monts et Barrages constituent un territoire rural représentatif des bouleversements que la guerre a fait subir en général au monde rural en France. La saignée démographique engendrée par le conflit a eu pour conséquence d’accroître un déclin déjà entamé depuis la fin du XIX° siècle avec la Révolution industrielle, l’exode rural et les mutations agricoles. 14-18 marque clairement la fin d’un monde. Et à l’échelle de Monts et Barrages, le contraste entre le territoire d’avant 1914 et celui d’aujourd’hui est saisissant.
Enfin, la mémoire de 14-18 est encore très présente sur le territoire : dans le paysage avec les monuments aux morts, mais surtout par l’existence de nombreux documents privés de l’époque, en sommeil dans les familles. Ces sources sont d’une grande richesse pour raconter une histoire locale de la guerre. Ce sont les témoins directs d’un territoire et des destins de ses habitants en 1914-1918.
Alors que l’État présente le moment du Centenaire comme une vaste commémoration de la guerre, le Pays d’art et d’histoire de Monts et Barrages se place dans une perspective de valorisation du patrimoine, à la frontière entre histoire et mémoire. Il ne s’agit ni de célébrer ni de commémorer 14-18, mais d’assurer une médiation propre à répondre à l’enjeu pédagogique du Centenaire : transmettre une mémoire locale de la Grande Guerre, en s’appuyant pour cela sur des ressources et un patrimoine locaux. Cette transmission correspond aux missions de valorisation du patrimoine habituellement portées par le Pays d’art et d’histoire et s’adresse à des publics-cibles : prioritairement les jeunes et les habitants, mais aussi les touristes. En faisant cet usage du Centenaire et de la mémoire de 14-18, le Pays d’art et d’histoire s’inscrit non pas dans le devoir de mémoire, porté par l’État et la société civile, mais plutôt dans ce que Paul Ricoeur nomme « le travail de mémoire », à savoir une étude de la mémoire locale de 14-18 au service d’une valorisation et d’une médiation elles aussi locales, ayant pour média le patrimoine dans sa diversité.
Julie Grèze : “Le processus de patrimonialisation d’un événement international peut-il permettre de valoriser un territoire rural ? L’exemple du centenaire de la Première Guerre mondiale en Pays Monts et Barrages“, dans Patrimoine, identité et développement territorial, sous la direction d’Edwige Garnier et Frédéric Serre, éditions La Librairie des territoires, 2015, 180 pages, 18 €, extrait : pages 144 et 145.