Le dernier livre de Robert Savy, ancien président de la région Limousin (1986-2004), raconte de l'intérieur l'histoire des socialistes de la Haute-Vienne de 1971 à 2016. À 85 ans, l'ancien élu dresse le bilan d'un parti qui a peu à peu sombré dans la médiocrité. Amère leçon de politique dont nous sommes aujourd'hui les héritiers.
Si Robert Savy est avant tout un juriste il fait plus ici preuve du talent de l'historien : son écriture est précise, les phrases sont courtes, le style presque “clinique“, le livre frôle par moment l'ouvrage universitaire à destination d'élèves de sciences politiques, preuves à l'appui. Ainsi, tous les noms mentionnés sont repris à la fin du livre. Si vous souhaitez savoir ce qu'il dit de Stéphane Cambou, de François Mitterrand, de Harlem Désir ou de Marie-Françoise Pérol-Dumont, vous n'aurez qu'à consulter cet index puis retourner au corps du texte. Et quasi systématiquement, une note de bas de page précise dates et sources des citations. Tout est donc vérifiable, et certainement inattaquable.
Un regard critique, une parole moderne
Que nous raconte Robert Savy ? L'histoire de son parti où il se place comme un acteur et un témoin sur une période allant de la fin des années 1960 jusqu'à aujourd'hui. Si il zoome principalement sur la fédération PS de la Haute Vienne, il y a pour autant une forme d’enchâssement de son histoire personnelle de militant (rassurez-vous, Robert Savy, homme très pudique, parle peu de sa vie privée ou intime ; nous saurons juste que ses parents étaient de modestes agriculteurs, que son épouse était sur la table d'opération le jour où il devait prendre ses fonctions de député à Paris et grosso modo rien de plus...), à l'intérieur de la fédération, à l'intérieur de la région Limousin, à l'intérieur de la France, à l'intérieur de l'Europe... Ce regard est très critique, ce qui fait le sel de cet ouvrage. Des phrases assassines, des propos grinçants, une analyse fine d'une période de notre histoire et du fonctionnement d'un parti. C'est aussi une parole moderne qui pose des questions sur l'avenir et les défis en jeu.
Médiocrité générale
Libre depuis un bon moment de tout engagement d'élu, cet homme, assurément droit, aux convictions affirmées, et qui n'a pas à rougir du travail accompli, répète l'importance que le mot démocratie revêt pour lui. Il nous dépeint un PS haut-viennois qui s'enlise, s'encroûte, se meurt doucement et depuis longtemps. Dans les raisons de l'échec que connaît son parti le terme de “médiocrité“ est central. Médiocrité des personnes qui se professionnalisent en politique, médiocrité des ego qui se battent pour durer, médiocrité de la cour des serviteurs serviles et flatteurs, médiocrité des “élites“ et des grands corps de l'État qui travaillent parfois plus pour eux mêmes que pour le bien public, médiocrité des choix politiques de petite envergure ou des visions à court terme. Système du clientélisme, du poids des appareils, des petites combines peu glorieuses, des alliances douteuses... Personne n'est épargné, pas plus Alain Rodet, Marie-Françoise Pérol-Dumont que François Hollande.
D'autres, néanmoins, pour qui il garde de l'estime, voire du respect, comme Alain Savary, cet ancien ministre de de Gaulle qui fut aussi ministre de l'éducation nationale de François Mitterrand et avec qui il travaillera pendant deux ans comme conseiller. Respect pour cet homme de convictions qui démissionna de son portefeuille pendant la guerre d'Algérie parce qu'en désaccord avec ce qui se passait à propos de l'affaire Ben Bella.
Olivier Davigo
Robert Savy, Le crépuscule des socialistes en Haute-Vienne (1971-2016), éditions Geste, 2016, 22 €.
- Irritantes Paroles de Notre Savy
La nouvelle grande région
“Cette réforme territoriale n'était ni annoncée, ni attendue : elle ne figurait pas dans les soixante engagements présidentiels de François Hollande (…) Elle a été faite dans la précipitation, sans qu'on en connaisse ni les raisons, ni les objectifs...".
“En novembre 2014, d'anciens élus régionaux (…), ont à mon initiative lancé un appel au Président de la République pour qu'il “laisse au Limousin le droit de continuer à s'administrer librement“ (…) Nous rappelions, dans ce texte, que l'argument tiré de la nécessité d'avoir des régions de la taille européenne n'avait pas de sens : il y a dans l'Union européenne de nombreuses régions plus petites que le Limousin et avec des pouvoirs plus grands. Nous expliquions que notre petite taille ne nous avait pas empêché d'exercer aussi bien que les autres nos compétences, et qu'elle nous avait au contraire permis d'inventer des politiques originales adaptées à la situation particulière du Limousin (...) Nous n'avons eu aucune réponse à notre appel.“
La “métropolisation“ de Limoges
“J'ai souvent regretté que Limoges ne comprenne pas mieux que son propre développement ne pouvait pas se faire au détriment du reste de la région, au risque de devenir la capitale d'un désert.“
Un projet à inventer
“La question de la démocratie et des libertés individuelles et collectives (…) est en péril si les citoyens n'ont pas les moyens de former librement leur opinion : or, tous les moyens d'information (presse écrite, radio, télévision) sont entre les mains de quelques groupes industriels et financiers.“
Le terrorisme
“L'obsession sécuritaire risque de porter une atteinte excessive aux libertés fondamentales.“
L'économie de marché
“Pour eux [les socialistes], l'intérêt général doit avoir le dernier mot non seulement dans le champ des compétences régaliennes (justice, police, armée) mais aussi dans les domaines de la santé ou de l'éducation, et dans la maîtrise de biens à valeur collective essentielle comme l'eau, l'énergie, la communication. Or les logiques de marché tendent à s'introduire de plus en plus fortement dans ces diverses politiques, au risque de sacrifier le long terme, l'intérêt collectif et l'égalité des citoyens. Les socialistes n'ont pas aujourd'hui d'idées claires sur la limite à imposer aux mécanismes du marché dans ces divers domaines.“
La mondialisation
“Les socialistes devraient aussi évaluer les politiques actuelles de l'Union [européenne] par rapport aux principes dont ils se réclament : ils s'apercevraient alors qu'elles font la part trop belle à l'idéologie de la concurrence au détriment de ses objectifs de cohésion. Sur tous ces sujets, la pensée socialiste est hésitante.“