Le romancier Sylvain Tesson est un solitaire. Il a ainsi passé il y a quelques années six mois, seul, dans une cabane en bois au fin fond de la Sibérie. Il raconte cette expérience dans un livre (Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011) qu’un film a repris récemment. Alors, quand Tesson a entendu parler d’un rapport sur l’hyper-ruralité (voir IPNS n°48), il s’est dit que ça, c’était pour lui ! Qu’en France il puisse arpenter des espaces dépeuplés et oubliés, quasi sibériens, traversant des forêts sans âmes que celles des animaux et empruntant ces “chemins noirs“ qu’il affectionne, c’était le rêve !
Il est donc parti à pied, parfois seul, parfois accompagné de quelques copains de solitude, du col de Tende, à la frontière italienne, jusqu’à la pointe du Cotentin, par les chemins délaissés. Ça n’a évidemment pas coupé : il est passé sur le Plateau : “Dans les rues vides, je posais la question du naufragé quand il se réveille en pleine eau sur une planche de bois : où est passé tout le monde ? Je traversai Magnat-l’étrange dont le nom m’aimanta, bien que l’endroit eût pu s’appeler Magnat-le-Délaissé.“ Évidemment, quand on presse le pas un jour venteux d’octobre par les forêts du Plateau on peut se poser la question : où sont les gens ? C’était le 5 octobre 2015. Une semaine plus tôt le Plateau était à Tarnac pour la première fête de la Montagne limousine. À une semaine et quelques kilomètres près, notre marcheur solitaire aurait vu un pays à peu près tout à l’opposé de ce qu’il en a retenu. Il y aurait aussi entendu et découvert un discours sur la ruralité qui l’aurait sans doute rassuré, comme le contrepoint vivant du rapport sénatorial à l’origine de son voyage (il y aurait même croisé les “anarchistes de Tarnac“ qu’il cite page 117 !).
Il n’aurait sans doute pas été mécontent de découvrir tout cela, lui qui explique que pour les auteurs du rapport sur l ‘hyper-ruralité, “la ruralité n’était pas une grâce mais une malédiction“, que “bientôt, grâce à l’État, la modernité ruissellerait dans les jachères, le wi-fi ramènerait les bouseux à la norme“ et que “les bénéficiaires de ces aménagements feraient de bons soldats, des hommes remplaçables, prémunis contre ce que le rapport appelait les “votes radicaux“, car c’était l’arrière pensée : assurer une conformité psychique de ce peuple impossible“. Un peuple impossible ? Il en aurait trouvé une figure sur ce Plateau qu’il a malheureusement traversé trop vite. Le soir même il était déjà à Clugnat (Creuse) : “À Clugnat, à dix heures du matin, la marchande était au téléphone : “Non, je n’ai plus de pain, je n’ai plus qu’une tourte.“ C’étaient des conversations de pénurie !“