Autour de 1900 ils étaient une bonne centaine de marchands de vin de Meymac et des bourgs voisins à parcourir la France et les pays de l’Europe du Nord pour y régaler les amateurs des vins de Bordeaux. Cette singulière saga migratoire a déjà été largement contée par l’enquête universitaire de Marc Prival De la montagne au vignoble. Les corréziens ambassadeurs des vins de Bordeaux (1870-1995) publiée en 1997. Marcel Parinaud avec son Meymac près Bordeaux. De la bruyère à la vigne, nous offre une photographie ethno- sociologique de cette aventure prodigieuse. Elle a fait surgir pendant plus d’un siècle pas moins d’un millier de commis voyageurs en vin dans le seul canton de Meymac ! Avec cet ouvrage de 511 pages doté d’une documentation rigoureuse et remarquablement illustrée par une iconographie très riche il ne cache pas son ambition de voir se réaliser à Meymac un musée-mémoire des marchands de vins du pays de Meymac.
A la genèse de cette épopée un personnage hors du commun, Jean Gaye Bordas figure parmi les précurseurs. Si sa truculente prodigalité entretient mythes et légendes, il n’en finit pas moins dans la misère. Ses compagnons de voyage, les vrais inventeurs, sont quelques paysans aisés et avisés qui établissent les règles de ce négoce tout à fait original. Il consiste à vendre pour son compte et sans magasin un vin que l’on ne produit pas dans le pays. Le succès foudroyant qu’ils rencontrent entraine des paysans plus modestes à se lancer dans l’aventure. Tout en maintenant leur activité agricole ils entreprennent chaque année une ou deux campagnes de deux à trois mois pour sillonner en commis voyageur les villes de France ou de Belgique. Tandis que les plus malins établissent une antenne dans le bordelais et acquièrent même des grands crus dans le Médoc, le Libournais ou le Saint Emilion.
Avant de présenter les monographies familiales qui couvrent l’essentiel de l’ouvrage l’auteur a reconstitué des récits de voyage à différentes périodes. Ainsi l’un de ces marchands adresse une carte postale à son épouse chaque jour de son absence. Ce message quotidien rend compte des préoccupations familiales, agricoles ou commerciales de l’immigré œnologue. Sa collection, bien conservée de 1904 à 1912, est une superbe illustration de l’évolution de ce mode de correspondance dans les premières décennies de son institution en France.
Avant la naissance de ce musée l’empreinte de la réussite sociale et politique des marchands de vin demeure inscrite dans le paysage meymacois. Les belles demeures bourgeoises des boulevards qui encerclent la vielle ville affichent l’aisance de leur prospérité. Leurs nombreux mandats électifs attestent la reconnaissance de leur notabilité, aussi bien dans le syndicat des négociants exportateurs en vins fins de la Corrèze que dans magistrature communale. Sans compter la ville de Meymac, dans six communes du canton 16 d’entre eux ont exercé cette fonction de maire. Rien qu’a Davignac de 1904 à 1965, à l’exception de la période de la guerre, tous les maires sont des marchands de vins.
(Marcel Parinaud, Meymac près Bordeaux. De la bruyère à la vigne. Brive, 2008, Editions du Ver Luisant, 512 pages)
Alain Carof