A partir d’une enquête faite de bribes de récits mémoriels et de pièces d’archives incontestables, Jean Marie Borzeix nous remet en face de l’inoubliable et inépuisable mémoire du génocide de la shoah. Un coup de zoom sur un minuscule territoire de la Montagne limousine nous rappelle que nous en sommes tous comptables hier comme aujourd’hui. Le jeudi saint 1944 quatre paysans d’Echaumeil à Bugeat sont fusillés pour l’exemple. Ils ont refusé de dénoncer les hommes du maquis nombreux dans la commune. Cet événement tragique demeure gravé d’une manière indélébile dans toutes les mémoires. Mais ce même jour les SS repartent de Bugeat avec onze juifs raflés parmi la cinquantaine d’étrangers résidant alors dans la commune. Ils seront onze moins un à rejoindre les prisons de Limoges, puis le camp de Drancy pour achever leur martyre à Auschwitz. En 2001 une lettre adressée au maire par le Comité pour la mémoire de la Shoah et la nomination des Justes parmi les nations fait sortir de l’ombre le onzième juif. Avant d’atteindre Limoges, à l’Eglise aux bois les SS l’ont fusillé sur la route après l’avoir torturé.
Le récit retrace l’itinéraire de ce héros inconnu et celui de la tragédie de sa famille d’origine polonaise durant toute la période nazie. En relatant le souvenir des dix autres raflés du jeudi saint il montre comment les familles juives ont été poursuivies et persécutées pendant quatre ans par l’armée allemande avec la complicité active des autorités de l’Etat et la police nationale de Vichy. Il souligne aussi une certaine indifférence des campagnes limousines à l’égard des nombreux étrangers contraints à séjourner dans la région pendant toute la période de l’occupation allemande.
En chassant l’imaginaire et l’amnésie, Jean Marie Borzeix se fraye un chemin lent et laborieux dans les replis d’une mémoire oublieuse qui escamote et efface autant qu’elle retient. L’occultation pendant 60 ans de cet épisode tragique de la persécution des juifs de Bugeat ne serait-il pas un révélateur de la subsistance d’un antisémitisme d’indifférence dans notre conscience nationale ? Avec l’immense talent d’une belle écriture journalistique, l’auteur nous invite à nous dresser contre la mémoire oublieuse de la Shoah et nous rappelle en terminant que depuis d’autres formes de génocides se sont répétés à travers le monde : à Kigali, à Srebrenica …
Alain Carof