Dans la foulée de ce déplacement ministériel, La Montagne nous apprenait que le collectif “l’Affaire du siècle“, avec ses deux millions de signataires, comptait faire son “Larzac 2003“ sur le plateau de Millevaches, à Pigerolles. “Autant que le symbole d’une campagne préservée, écrivait le quotidien, c’est à coup sûr l’image écolo-contestataire de ce territoire qui a valu au Plateau d’être repéré par les initiateurs de “l’Affaire du siècle“ comme un point de chute possible d’un grand rassemblement estival.“ Jouany Chatoux confirmait l’information tout en proposant d’accueillir pour sa part un événement de 50 à 60 000 personnes plutôt que les 200 000 initialement prévus par les organisateurs. Manu Chao et M sont pressentis.
Le 12 février, en marge du “grand débat national“, Cyril Dion, réalisateur du film Demain, initiateur de la pétition “L’affaire du siècle“, ex-dirigeant du mouvement steinerien “Colibris“ avec Pierre Rabhi, auteur remarqué d’un “Petit manuel de résistance contemporaine“ sorti chez Actes-Sud, maison d’édition de l’ex-ministre de la culture, se rend à l’Elysée. Il est accompagné par l’actrice Marion Cotillard, par l’économiste Laurence Tubiana et par Priscilla Ludosky, égérie supposée des Gilets jaunes, afin d’y promouvoir un projet d’“Assemblée nationale citoyenne“.
Le 16 février, Maxime de Rostolan, ingénieur et éco-entrepreneur, créateur du réseau Fermes d’avenir et de la plateforme de crowdfunding Blue Bees, lance son mouvement de “lobbying citoyen“ La Bascule, étrangement baptisé du même nom que l’association qui organise à Gentioux marchés d’hiver et dépôt-vente de produits locaux. Il s’agit, suite à un week-end de rencontres à l'École Polytechnique début février, de réunir cent étudiants bénévoles issus des grandes écoles et disposés à donner six mois de leur temps pour élaborer des “propositions concrètes pour la transition démocratique, écologique et sociale“, former des listes électorales citoyennes en accord avec ce programme en vue des élections municipales et organiser de grands événements fin août-début septembre afin de concrétiser la naissance du mouvement.
Le 21 mars, Nicolas Hulot, se rend à Pontivy au siège du mouvement “La Bascule“, une clinique désaffectée qui a été gentiment mise à disposition, pour y parrainer la constitution du “lobby citoyen“, lequel s’est donné 6 mois pour imaginer sa “(R)évolution“ dont les propositions devraient éclairer à l’avenir les gouvernants dans leurs choix politiques. Ces préconisations devraient être dévoilées lors de l’événement de Pigerolles, premier grand rassemblement du mouvement.
Le 13 avril, suite à plusieurs visites du soir à l’Élysée, Cyril Dion appelle dans Le Monde, avec quelques-uns de ses acolytes, à la “création d’une assemblée de citoyens tirés au sort pour élaborer des propositions pour une transition écologique solidaire“.
Le 16 avril, on apprend que, parmi les huit mesures annoncées par Macron pour tenter de se sortir de la “crise des Gilets jaunes“, figure la constitution d’une “convention de 300 citoyens tirés au sort“, chargée de “travailler à la transition écologique et aux réformes concrètes à prendre“. C’est ce qui s’appelle servir la soupe à des gouvernants discrédités pour que leurs nouvelles usines à gaz puissent prétendre répondre à d’“urgentes demandes des citoyens“.
Le 13 mai, un message émanant de La Bascule – lobby citoyen, tout en confondant évidemment un certain nombre de ses destinataires du Plateau, confirme l’intention d’organiser l’événement à Pigerolles : “Du nom de code 'L'An Zéro', ce rassemblement festif et convivial se déroulera du 30 août au 1er septembre sur le plateau de Millevaches à Pigerolles. Il réunira près de 50 000 personnes prêtes à basculer vers un monde désirable autour de conférences, de formations en tous genres, d'activités sportives, d'ateliers pédagogiques pour jeunes et moins jeunes, de concerts, de différentes représentations d'arts de la rue et bien d'autres opportunités de se rencontrer. (…) Nous sommes convaincus que la grande richesse qu'offre l'écosystème du territoire de la Creuse en matière d'associations et d'initiatives constitue une belle opportunité pour ce projet.“
Quoi de plus écolo, en effet, que d’agglutiner sur une commune plutôt épargnée (si, du moins, l’on oublie les coupes rases) quelque 50 000 personnes – soit 10 000 véhicules au bas mot - pour y tenir au prix d’une orgie d’énergie et de décibels un de ces grands raouts fédérateurs où confluent tous les habitués des festivals estivaux et les stars de la scène musicale française, bien sûr toutes très engagées pour le climat ! Quoi de plus logique, pour des bobos métropolitains décidés à sauver la planète, que de commencer par saccager de leur seule présence un coin tranquille du plateau de Millevaches ! Quoi de plus évident qu’il appartient aux étudiants des grandes écoles d’ingénieur, de commerce et de sciences politiques, alliés à Macron, Mélanie Laurent et aux multinationales pleines de compréhension, de nous sauver du désastre que leurs aînés, depuis les mêmes écoles, ont si bien su organiser !
Tout se passe décidément comme si la canaille politico-médiatique ne pouvait trouver d’inspiration ailleurs qu’ici. Le “Plateau insoumis“, coïncidence fortuite, dut il y a quelques années se résoudre à cohabiter, du moins sémantiquement, avec une formation stalino-franchouillarde dite “La France insoumise“. Aujourd’hui, c’est au tour de la “La bascule“, modeste association de Gentioux, à qui l’on usurpe l’enseigne pour en faire l’emblème homonyme d’un mouvement se proposant d’engloutir dans les impasses rebattues des élections, du management et de l’ingénierie, l’énergie d’une jeunesse des classes moyennes désespérément crédule.
Il est de notoriété publique en ce premier quart de siècle, que l’avenir du monde et de l’humanité se présente très mal. Sur les seuls aspects environnementaux et énergétiques, il suffit de lire le bilan dressé par le centralien Philippe Bihouix pour mesurer le caractère quasi-irréversible de l’impasse où plus de deux siècles de capitalisme nous ont emmanchés. Mais cette impasse est tout aussi bien sociale, existentielle, civilisationnelle. Et l’agencement géopolitique du monde, fait de superpuissances gérées par des psychopathes, est à l’image de tout ce désastre. Il n’est d’ailleurs plus un média qui ne le rabâche à tout instant, détaillant avec gourmandise les moindres contours de la catastrophe ; c’est que la gravité de la situation est devenue difficile à dissimuler.
D’autres raisons s’entremêlent à cela : la peur qui s’empare des foules garantit des heures d’audience bien mieux qu’un bonheur serein ; puis elle offre des opportunités inespérées aux appétits des promoteurs de “solutions“, aux vendeurs de poudre de perlimpinpin, et aux idéologies de pacotille. Mais l’effet le plus tangible et le plus immédiatement bénéfique au Pouvoir tient évidemment dans cette forme inédite de terreur, dans la culpabilisation de chacun, enjoint de réformer chacune de ses habitudes pour contribuer à “sauver la planète“.Dans le domaine des gesticulations vaines et nonobstant pompeuses – de celles qui aspirent à se frayer une niche en se payant sur l’angoisse des foules - nous ne résistons pas à illustrer notre propos par un exemple local, anecdotique certes mais néanmoins parlant. Il y a peu, un flyer du Centre d’art et du paysage invitait le public autochtone à rencontrer dans un bar de Royère deux jeunes artistes-paysagistes belges “en résidence“ au château de l’Ile de Vassivière. Leur projet, s’inscrivant dans le cadre du programme “Vassivière Utopia“, annoncé bien sûr en forme de solution providentielle, se propose de “débroussailler le monde pour qu’il redevienne un jardin“, pas moins ! Voilà qui est confondant, malgré son caractère bénin et sa portée limitée. Ce qui ne sera pas le cas, on l’a vu, cet été pour l’événement écolo-citoyenno-festif évoqué plus haut.
Apprendre par voie de presse ce qui se prépare à côté de chez vous est toujours mauvais signe : c’est qu’à coup sûr une expropriation est en cours. Il y a dix ans, le plateau de Millevaches accédait à une notoriété inattendue suite à une série d’arrestations médiatisées. Le marketing territorial à quoi cette affaire a fini par donner opportunément lieu, a valu au Plateau la réputation alternative et au fond inoffensive qui devait y attirer les Dion et consorts. Cette seconde incursion, armée de si louables intentions et d’une idéologie si flatteuse, trouvera-t-elle auprès des colonisés les alliés sans quoi aucune colonisation durable n’est possible ? Car il est plus facile de repousser les assauts de la police que la bonne volonté des citoyens.
Zig et Puce