Ces herbes, que l’on appelle aussi les simples, ce sont les plantes d’ici et là, aux abords de nos portes, dans les haies, jardins et forêts… et dont la racine, l’écorce, la fleur, la feuille et parfois la plante entière nous apportent de nombreux bienfaits. Les senteurs et saveurs offerts à nos sens exprimant aussi bien la terre et le paysage dont elles sont issues, que les principes actifs qu’elles renferment. Et si certaines substances contenues dans les plantes peuvent nous soigner ou prévenir la maladie, elles constituent chez les plantes mille-et-une stratégies d’adaptation et de défense, que ce soit contre les ultra-violets, d’éventuels prédateurs ou la déshydratation. Ces plantes médicinales, ce ne sont d’ailleurs pas seulement les herbes, ce sont aussi les arbres, les arbustes et les arbrisseaux tels que le frêne, le sureau ou le cassis…
D’un territoire à un autre, les dénominations populaires des plantes aussi bien que leurs propriétés et usages, en tant qu’aliment ou remède, varient et témoignent par la même occasion de la relation que l’humain a tissée avec son milieu et de la vision qu’il a du soin et de la santé. Par ailleurs, si de nombreux usages traditionnels ont traversé les âges, preuve en est de leur efficacité, leur transmission par celles et ceux qui en étaient les principaux·ales détenteur·trice·s s’est peu à peu amoindrie face aux profondes mutations géographiques et sociales rencontrées par les territoires depuis l’avènement d’une ère technico-industrielle à laquelle ni l’intérêt pour ces “plantes compagnes“ ni nos modes de soin n’ont échappé. Néanmoins et fort heureusement, un véritable regain d’intérêt pour les plantes médicinales se fait sentir depuis de nombreuses années, et de plus en plus de personnes, en recherche d’autonomie et dans une quête “naturelle“ de santé et de bien-être, cherchent à se réapproprier ces savoirs et à réintégrer l’usage des simples dans leur quotidien dans une démarche locale et durable1. Cela passe par de nombreux ateliers, stages, formations, lectures… et pose aussi la question de l’accès à ces plantes. Où et auprès de qui peut-on se les procurer si ce n’est en les cueillant ou en les cultivant soi-même ?
Partout en France, plusieurs centaines de “paysan·ne·s“, “producteur·trice·s“, “agriculteur·trice·s“, “paysan·ne·s-herboristes“ cueillent, cultivent et transforment des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM) offrant ainsi au public une grande variété de tisanes, alcoolatures, baumes, huiles essentielles, eaux florales, utiles à toute démarche de soin et d’hygiène de vie, que ce soit pour l’humain, l’animal ou les plantes elles-mêmes. Ils·elles illustrent à la fois la richesse des flores et des pratiques d’un territoire aussi vaste que diversifié. Dans un contexte de destruction des milieux naturels et d’épuisement des ressources végétales médicinales (entre autres !) et face à une demande en plantes médicinales qui va croissante en France et dans le monde, ils·elles défendent à la fois la préservation des écosystèmes, un “prendre-soin“ réciproque avec la nature, mais aussi une relation de confiance et de proximité avec leur clientèle auprès de qui ils·elles diffusent en même temps leurs savoirs et leurs valeurs.
Un certain nombre d’entre eux·elles font partie du Syndicat SIMPLES2, un syndicat créé en 1982 dans les Cévennes, et dont l’objet est de promouvoir des méthodes de cueillette, de culture et de transformation basées sur l’agrobiologie, pour des plantes de qualité, dans le respect de l’environnement et des ressources. Pour la troisième année consécutive, l’Île de Vassivière accueillait d’ailleurs le 25 juillet dernier l’Été des Simples3, une fête organisée par les producteur·trice·s de plantes SIMPLES du Limousin. L’occasion de découvrir la profession de “paysan·ne-herboriste“ mais aussi l’ensemble des plantes à parfum, aromatiques, médicinales et tinctoriales et leurs possibles, avec un marché de producteur·trice·s et d’artisan·ne·s, des conférences, sorties botaniques, ateliers, et quelques associations locales dont le CEN Limousin (Conservatoire des espaces naturels) et Vieilles Racines et Jeunes Pousses, une ferme-école initiée par Thierry Thévenin (paysan-herboriste et fervent défenseur des simples) en Creuse et dédiée à la transmission des usages, savoirs et savoir-faire relatifs aux plantes. La 11ème Fête des Simples, rencontre nationale et bisannuelle, aura lieu quant à elle les 28 & 29 septembre 2019 à Cornimont dans les Vosges5.
“La Terre en nos mains attend protection contre nous-mêmes. La protéger, c’est d’abord nous défendre de l’épuiser“6. La cueillette de plantes sauvages n’étant pas sans impact sur les paysages, que ce soit pour des coopératives ou à titre individuel et pour tout type de préparation, le syndicat SIMPLES s’est regroupé avec d’autres cueilleur·se·s en 2011 afin de créer l’AFC (Association française des professionnel·le·s de la cueillette de plantes sauvages). Conscient·e·s de leur responsabilité vis-à-vis des ressources médicinales et soucieux·ses d’assurer la pérennité de leur activité, ils·elles se mobilisent afin d’échanger sur leurs pratiques mais aussi sensibiliser les pouvoirs publics, les gestionnaires d’espaces naturels et les industriels, faire reconnaître le métier de cueilleur-professionnel et également définir une charte éthique pour une cueillette durable, qui s’illustre notamment par la rédaction en cours d’un guide des bonnes pratiques de cueillette professionnelle dont on peut déjà trouver la fiche de l’aubépine sur leur site internet7.
S’il s’agit d’un métier-passion, produire et vendre des plantes médicinales n’est pas toujours simple. Les plantes vendues par les paysan·ne·s-herboristes et dont les usages sont souvent multiples, sont soumises à diverses réglementations (denrées alimentaires, complément alimentaires, produits cosmétiques) associées à des listes d’espèces distinguant les plantes en vente libre des plantes sous monopole pharmaceutique en fonction de leur forme galénique. Depuis, la suppression du métier d’herboriste en 1941, la vente des plantes médicinales est en effet soumise à un monopole pharmaceutique, sauf pour 148 plantes dont l’aubépine, mais dont seuls les fruits sont “libérés“ et non les sommités fleuries pourtant largement commercialisées (au risque pour les producteur·trice·s d’être condamné·e·s pour exercice illégal de la pharmacie) et consommées en tisane par des personnes souffrant de troubles cardiaques ou ayant des difficultés à trouver le sommeil. On trouvera d’autres plantes sous monopole telles que les fleurs de bleuet, de calendula ou les feuilles du plantain... En revanche, les bourgeons d’aubépine qui sont proposés en gemmothérapie, considérée comme complément alimentaire, sont légalement autorisés d’après un arrêté établissant les plantes autorisées dans les compléments alimentaires et qui comprend depuis le 4 février 2019 plus de 1000 plantes du monde entier ! Un ensemble de réglementations complexe et parfois difficile à mettre en oeuvre pour des petites fermes. Deux guides8 très utiles sur la réglementation ont d’ailleurs été récemment édités, l’un par le syndicat SIMPLES et l’autre par la Confédération Paysanne, afin d’aider chacun·e à mieux comprendre la réglementation et s’y adapter du mieux possible.
Si tous les producteur·trice·s ne s’intéressent pas forcément à l’aspect thérapeutique de leurs plantes, la clientèle, elle, est très souvent en demande d’information voire de conseils. Diffuser toute information à l’oral comme à l’écrit sur les propriétés et usages d’une plante, aussi traditionnels qu’ils soient, est aussi illégal. Une situation très inconfortable pour les producteur·trice·s pour qui l’information constitue avant tout une manière de protéger et de responsabiliser le consommateur en quête d’autonomie, et un droit légitime à partager des savoirs traditionnels qui ont fait leur preuve au fil du temps. De nombreuses postures coexistent mais beaucoup parmi eux·elles usent alors de noms évocateurs, tentent d’informer sans entrer dans le thérapeutique, voire conseillent carrément !
La Fédération des Paysan·ne·s-Herboristes9, créée en 2015 à l’initiative de producteurs·trice·s, représentant·e·s des SIMPLES, FNAB et MABD pratiquant la vente directe, vise à promouvoir la reconnaissance et les spécificités du métier de paysan·ne-herboriste et de lui donner les moyens d’exercer son métier, notamment par le soutien au travail parlementaire initiée en 2015 par Joël Labbé (sénateur EELV du Morbihan). Une proposition de loi est actuellement en cours de rédaction, faisant suite à une mission d’information10 constituée en avril 2018 qui a permis dans une premier temps d’auditionner une centaine d’acteurs autour de la filière des plantes médicinales et des métiers liés à l’herboristerie.
En mai 2019, un colloque organisé au Sénat sur “Les métiers de l’Herboristerie : État des lieux et perspectives“11 réunissait médecins, pharmaciens, écoles d’herboristeries, herboristes de comptoir, paysan·ne·s-herboristes et autres praticiens. Celui-là a permis d’échanger sur la question de la réglementation, de la formation et soulevé de manière évidente la nécessité d’un dialogue et d’une coopération entre paysan·ne·s producteur·trice·s et les différents professionnels de santé (médecins, phytothérapeutes, pharmaciens, naturopathes). Souhaitons que cette démarche conduise à des évolutions réglementaires et législatives à la fois créatives et constructives pour tou·te·s, redonnant à la plante toute sa place au cœur du soin et de l’hygiène de vie, et que ce dialogue soit rendu possible et nous amène à trouver des modes de fonctionnement et de communication à la fois plus harmonieux et peut-être plus organiques, à l’image de l’intelligence du végétal !
Gaëlle Morel
Gaëlle Morel mène actuellement une étude nationale sur les pratiques d’information et de conseil des producteurs de plantes médicinales.
1 Une enquête sur les consommateur·trice·s de plantes médicinales a été mise en ligne de juin 2016 à novembre 2017 par la FPH (Fédération des paysan·ne·s-herboristes) et dont l’analyse réalisée par C.Brousse et JB.Gallé est disponible sur le site de la FPH
2 Syndicat Inter-massifs pour la Production et l’Économie des Simples
3 https://etedessimples.jimdo.com
4 https://www.vieilles-racines-et-jeunes-pousses.fr
5 https://www.fetedessimples.org
6 Lieutaghi P, L’environnement végétal, 1972, p 288
7 http://www.cueillettes-pro.org
8 Réglementation de la vente directe de plantes aromatiques et médicinales, https://www.syndicat-simples.org/fr/Guide.html
Manuel d’auto-défense pour les paysannes et paysans en PPAM, https://www.confederationpaysanne.fr/mc_nos_positions.php?id=7526
9 http://paysans-herboristes.org
10 http://www.senat.fr/commission/missions/herboristerie_et_plantes_medicinales.html
11 http://www.joellabbe.fr/colloque-les-metiers-de-lherboristerie-etat-des-lieux-perspectives/ (Enregistrements audios et présentations écrites des invervenant·e·s)
Liens et ouvrages conseillés :
Thévenin T., Plaidoyer pour l’herboristerie, Actes Sud, 2013
Thévenin T., Le Chemin des Herbes, Connaître, cueillir et utiliser les plantes sauvages, Lucien Souny, 2012
Lieutaghi, P., Le livre des bonnes herbes et autres ouvrages…
Fleischhauer S.G., Guthmann J., Spiegelmberger R., Plantes sauvages comestibles, 50 plantes essentielles et leurs usages, Ulmer, 2018
Pétition pour la réhabilitation de l’herboristerie : https://www.mesopinions.com/petition/politique/rehabilitons-metiers-herboristerie/49491