Les conséquences de ces politiques ont été dramatiques pour l’hôpital public qui doit composer avec un mode de tarification et de gouvernance totalement inadapté qui font qu’il est au bord de la rupture. Les tensions y sont de plus en plus fortes, le dialogue devient difficile entre une administration axée uniquement sur des résultats comptables et des soignants revendiquant la dimension éthique de leur métier. La démocratie est moribonde, elle n’est plus qu’un gadget qui peine à cacher le processus de technocratisation de l’hôpital. Ces politiques ne sont plus fondées sur la recherche de l’amélioration du bien-être physique et psychique des individus, elles ne parlent plus que de performance, de productivité, de compétitivité, de rentabilité.
Les soignants, déstabilisés par des injonctions paradoxales permanentes, constatent au quotidien les effets pervers de ces pratiques qui obligent les établissements à ajuster leurs « stratégies de développement » et leurs « coûts de production » aux lois du marché de la santé. Cette situation entraîne une importante dégradation des conditions de travail et des salaires de l’ensemble des personnels et une augmentation de la souffrance au travail. Si on y ajoute la précarisation qui se généralise avec des titularisations repoussées et l’utilisation massive de la contractualisation, on rend l’hôpital public de moins en moins attractif. Cette situation provoque également une fuite inquiétante des soignants et des problèmes de recrutement qui deviennent dramatiques. Cette obsession de la productivité et de la rentabilité fait que notre système de santé n’assure plus l’égalité d’accès aux soins partout et pour tous et que l’on voit progressivement disparaître la notion de solidarité qui en constitue le fondement.
Il est essentiel de conforter nos analyses au-delà de la simple dénonciation avec pour ambition de proposer une vision différente et un projet à contre courant de la pensée dominante. Pour cela, seule la mobilisation des professionnels mais surtout de l’ensemble de la population peut imposer ces indispensables changements. La santé n’est pas seulement l’affaire « d’experts » qui, par l’invocation de la « fatalité des faits », l’exhibition de statistiques fallacieuses ou l’appel au « bon sens gestionnaire » veulent empêcher tout débat démocratique. Il faut impérativement revenir sur les valeurs mercantiles imposées au monde de la santé par une technocratie gestionnaire, et qui ne se justifie nullement par des contraintes économiques mais par des choix politiques. La défense de notre système de santé passe par deux axes majeurs : la défense de l’hôpital public et la défense de la sécurité sociale.
Il ne s’agit pas de penser nos besoins autour d’un modèle uniquement hospitalo-centré. Il n’y a pas la ville d’un côté et l’hôpital de l’autre, mais un tout. L’hôpital doit investir de nouveaux champs d’activité, travailler de pair avec la médecine de proximité, dans sa dimension curative mais surtout préventive, en incluant les médecines alternatives. Mais c’est l’inverse qui se produit avec les dernières lois. La loi Touraine a mis en place depuis juillet 2016 les groupement hospitaliers de territoire. Concernant le Limousin, ce sont les 18 hôpitaux de la région qui sont regroupés sous l’égide du CHU de Limoges désigné hôpital support. Cette situation va modifier encore l’offre publique de soin de la région. Des fusions voire des fermetures d’établissements auront lieu avec des conséquences dramatiques tant pour les personnels qui se verront imposer une mobilité forcée, que pour les usagers qui se déplaceront encore davantage. L’hôpital ne pourra pas tout gérer si on fait le vide autour de lui. Quand à la loi Buzyn, elle pousse encore plus loin cette logique et compte créer, d’ici 2022, 500 à 600 hôpitaux dit de proximité. Derrière ce terme positif se cache une tout autre réalité : les hôpitaux de proximité se verront amputés de leur maternité et de leur chirurgie, cantonnés aux soins de suite et de réadaptation, aux unités de soins de longue durée, aux urgences éventuellement, et, sur autorisation des Agences régionales de santé, ils pourront pratiquer certaines interventions. C’est le cas à Ussel pour la chirurgie du cristallin, où, dans le cadre d’un partenariat avec la clinique Chénieux de Limoges, des praticiens viennent une fois par semaine opérer à l’hôpital avec dépassements d’honoraires à la clef.
Ce sera le prochain chantier du gouvernement que de « réformer » le système, évidement pour l’améliorer et le rendre plus efficient. En réalité, pour le démanteler. En utilisant le thème du « trou de la sécu », le gouvernement veut désengager la sécurité sociale du financement des soins courants pour la recentrer sur le financement des soins lourds et des soins aux plus démunis. Les soins courants seront de plus en plus à la charge des personnes, ce qui aggravera les inégalités sociales d’accès aux soins. On voit poindre là une privatisation rampante au profit des assurances privées. La sécu a davantage un problème de recettes que de dépenses. Les exonérations dont bénéficient les entreprises, au nom d’une compétitivité qui a le dos large, ont réduit de plus en plus ses recettes que le gouvernement a essayé de compenser par la création de nouveaux impôts comme la CSG (contribution sociale généralisée) ou le RDS (remboursement de la dette sociale), impôts payés uniquement par les salariés alors que ce sont leurs entreprises qui bénéficient des exonérations. Le tout sans augmentation des salaires qui, mécaniquement, contribuerait à l’augmentation des recettes de la sécu. Or, l’ensemble du système de santé est financé par l’assurance maladie, plus on diminue ses recettes, plus on l’étrangle. Notre système de protection sociale a été fondé sur la solidarité des bien-portants et des malades, sur l’accès de chacun, en fonction de son état de santé, aux mêmes prestations, sur un financement unique par des prélèvements sur l’ensemble des revenus et proportionnés à leur montant. C’est ce régime général que nous devons défendre contre sa privatisation partielle au profit des assurances, qui aboutira à une médecine à deux, trois ou dix vitesses selon le contrat dont on bénéficiera.
Le Syndicat de la Montagne limousine a créé un groupe santé qui se donne trois objectifs principaux :
L’enjeu est de taille : il s’agit de défendre et d’améliorer notre système de santé qui doit répondre aux besoins de tous partout.
Jean-Michel Orsini