Vers 1900, l’américain Broadwick plie son parachute dans un sac à dos lacé, puis en 1908, introduit la poignée d’ouverture automatique. Deux ans plus tôt, un brillant ex-député de la Seine, né à Sidi-Bel Abbès, décide d’investir le monde rural vierge, à Bourganeuf précisément. Pourquoi donc et à cause de qui ? Sans aveux indiscutables, on ne peut qu’imaginer ceci : les paysans limousins commençaient à abondamment voter socialiste, et Viviani aimait les vaches à lait. Entré quelques mois plus tard dans le premier cabinet Clémenceau, il n’aura d’ailleurs guère l’occasion de labourer ses nouvelles terres d’élection (jeu de mot) creusoises. Pourtant réélu député en 1910 (quel homme !), il siège enfin à l’assemblée jusqu’en 1913, avant de retrouver quelques maroquins ministériels. C’est ainsi qu’en août 1914, devenu président du conseil (Premier ministre), il aura l’honneur et la gloire de déclarer la guerre à l’Allemagne. Et la Creuse ensuite ? Eh bien non. Bien que réélu député en 1919, puis sénateur en 1922, il n’a pas eu le loisir de visiter amplement les verdoyants paysages du Limousin, siégeant entre autres à la toute nouvelle société des nations (SDN). Il a donc laissé plus de traces sous les lambris dorés qu’aux foires de Bourganeuf, ce qui fit dire ceci à Clémenceau, son meilleur ennemi : Viviani est un « orateur péripatéticien, faisant des harangues kilométriques. » Le père la victoire cita même Fénelon à son propos : « L’éloquence démagogique, c’est l’art de parler seul et longtemps. » Pas très sympa tout de même, il a sa statue devant la mairie de Bourganeuf.
En 1945, le PCF devenu « premier parti de France » n’avait pas grand chose à conquérir. Mais à démolir, oui. Refusant déjà de lui laisser la place qu’il espérait, vu ses états de service, le Parti veut museler le grand résistant Georges Guingouin. Pour ce faire, on parachute à Limoges un dirigeant « de base », Georges Citerne (futur député des Deux-Sèvres), un préfet « de base », Jean Chaintron (futur sénateur de la Seine), et pour faire bonne mesure, un militant « de base », Marcel Paul (futur ministre). Ce dernier, meneur syndical, résistant, déporté, faisait doublement l’affaire. Élu député en 1945 (Guingouin était en troisième position sur la liste, donc inéligible), Marcel siège deux semaines à l’Assemblée, avant de devenir ministre de la production industrielle. C’est à ce titre qu’il va promouvoir les grands travaux hydro-électriques dans les vallées de la Maulde et du Taurion. En 1948, il retourne au syndicalisme, fini le Limousin.
Ce parti de masse va donner un nouvel élan au parachutage, en lui trouvant une variante : le parachute local. Voulant mettre sur la touche (encore ?) un élu trop indépendant, le Dr Fraisseix, maire d’Eymoutiers, on lui oppose la figure emblématique d’Alphonse Denis, député de la Haute-Vienne, vice-président de l’Assemblée Nationale. C’était en 1961. Et le parachute ne s’ouvrit pas ! Le pauvre Alphonse, qui ne méritait pas ça, dut aller un peu plus tard se faire élire conseiller général chez lui, à Limoges.
Un léger bond dans le temps, plutôt en deltaplane. Particulièrement agacé par la résistance des limousins, trop à gauche à son gré, le Général décide un programme de conquêtes. Cela commence en 1965 avec la mairie de Limoges, alors tenue par le socialiste Louis Longequeue. Il lui fallait une « pointure », ce fut Pierre Mazeaud, membre du cabinet du Premier ministre (Michel Debré), et accessoirement alpiniste réputé. D’où un avantage évident pour le parachutage. Échec : ce qu’auraient dû savoir les élites parisiennes, c’est qu’à Limoges, une bonne partie de l’électorat « modéré » avait l’habitude de voter Louis, rouge à Limoges, rose à Orléans, et blanc à Paris. Mazeaud, même pas limogé, eut bien d’autres récompenses : député des Hauts-de-Seine puis de Haute-Savoie (et maire de Saint-Julien en Genevois, pour les parachutages il y a le plateau des Glières, juste à côté), secrétaire d’État, président du Conseil Constitutionnel, c’est quand même plus sexy que la mairie de Limoges.
Arriva alors le plus grand parachutage réussi de l’histoire, Jacques, je vous laisse trouver le nom seuls. Si vous ne connaissez pas bien sa biographie, il y a là une nouveauté. Énarque brillant, secrétaire d’état (à l’emploi), Jacquot avait un avantage sur ses prédécesseurs parachutistes : ses grands-parents paternels étaient corréziens et enfant, il passait ses vacances du côté de Sainte-Féréole. Il avait un autre grand-père franc-maçon, ce qui peut servir. La bataille des législatives de 1967 fut rude, en terre de Haute-Corrèze, tenue jusqu’alors par des radicaux et où le PCF restait puissant. Là, JC. réussit une sorte d’alchimie qui devait durer longtemps, appuyée sur un réseau bien organisé Paris-Corrèze (il y avait même une course cycliste !), et un « missi dominici », arrivé également par les airs à Meymac, Georges Pérol. Vous connaissez la suite. Pour l’anecdote, en 1967 « on » avait aussi parachuté Robert Mitterrand, frère du François pas encore socialiste.
Il y eut bien Charles Spinasse (voir IPNS n° 59) mais à vrai dire, ce journaliste corrézien installé à Paris avait tout de même un des deux pieds à Égletons. Passons... Le must, ce fut encore la Haute-Corrèze, où Chirac la faisait un peu trop « monopole ». 1981 : F. Mitterrand élu, l’idée lui vient de proposer à un tout jeune énarque de son cabinet, prénommé aussi François, d’aller affronter Chirac en Corrèze. C’est le début des racines limousines de François Hollande, né en Normandie, monté à Paris à Sciences Po, et qui n’a guère ensuite quitté la Capitale, là où tout se décide et où se font les carrières. Hollande, 27 ans, est battu. Mais le gars est opiniâtre. Rapidement élevé dans la hiérarchie du PS, il forme un couple de « parachutables » : sa femme dans les Deux-Sèvres, et lui ? Il suffit de trouver la bonne ville et le bon canton, et hop, on monte les marches, mais plan-plan tout de même : conseil municipal d’Ussel (1983), député de Tulle (1988)... Ce sera Tulle « ma ville », et Vigeois « mon terroir ». Là aussi, vous connaissez la suite. L’amusant, c’est que cette même année 1981 apparaissait un autre parachute, plus rouge celui-là. Le PCF avait son apparatchik à caser, qui s’appelait Christian Audoin. Député ? Mais Chirac était indéboulonnable, alors au moins conseiller général ? On choisit judicieusement son canton, ce sera Bugeat, alors très rouge. Conseil régional (élu en Corrèze), présidence de PNR ? Pour un homme qui habite alors Limoges, cela relève bien du parachutage, non ?
Il me semble qu’il y a eu un trou d’air pour de telles opérations, depuis au moins 20 ans. La populace semblait renâcler. Alors, une nouvelle stratégie, plus modeste, fit son apparition : « Je saute, pas de haut, et j’atterris en douceur dans le pré d’à-côté... » Voyez les municipales. Il n’est pas facile, faute d’aveux des intéressés, de différencier le calcul partisan, l’opportunisme et l’ambition personnelle. Ainsi, en 2014, « on » veut démolir la maire sortante à Rempnat, le grand gourou a celui qu’il faut sous la main dans son cabinet. Le « vrai » socialiste (il s’en défend aujourd’hui) qui empoche l’affaire est en 2020 député suppléant LREM. Il a déménagé, mais pas à Rempnat... plus loin. La même année, un zébulon précédemment parachuté à Vassivière trouve que Peyrat est plus cool que Chaptelat. Il est toujours là, mais de qui a-t-il encore le soutien ? Mystère. Maires absents, ça fait un peu penser à « père absent », non ? Il doit manquer quelqu’un quelque part. Et cette année ? on en reparlera sûrement, nous sommes dans une ère un peu troublée, faite de beaucoup d’auto-parachutages. Une sous-préfecture, Aubusson, c’est toujours mieux qu’un patelin paumé (merci pour eux au passage). Alors, soit l’un oublie son parachute et s’écrase – « L’intelligence, c’est comme les parachutes, quand on n’en a pas, on s’écrase » (Pierre Desproges). Tirant les affaires au clair, il a finalement renoncé… Soit un autre, parce qu’il faut un poids lourd à la mairie, tentons donc un parachute léger, on verra bien. Et enfin, un troisième envolé depuis Lyon, mais le trajet est contre les vents dominants, alors l’atterrissage ?
Aux électeurs de se faire une idée : vaut-il mieux un (prétendu) meilleur, mais… ailleurs, ou un (prétendu) moins bon, mais présent ?
Maurice Clédassou