L'échéance de la fin de l'ère du "tout pétrole" se profile à l'horizon. Ce sera, selon les fluctuations des intérêts et des pronostics, vers 2030 ou 2050. Même s'il n'y a pas tarissement des gisements, sa rareté et la flambée continue des prix vont très vite réduire la part du pétrole dans la panoplie de nos ressources énergétiques. Comme celles-ci ne cessent de s'amplifier nous sommes acculés à l'innovation et au changement pour penser l'avenir.
Avec la fin du pétrole, nos sociétés de plus en plus caractérisées par la mobilité des personnes, des biens et des marchandises, sont appelées à des mutations radicales notamment en matière de moyens de transport. Il est urgent de précéder ce mouvement et de sortir de notre frénésie pétrolière pour voyager et transporter autrement. Pour ne retenir qu'un exemple, sous la pression des lobbys des transporteurs routiers, des entreprises de travaux publics et des sociétés d'autoroute… 75 % du transport des marchandises se fait aujourd'hui par la route. Ce transport routier a bondi de 43 % en moins de quinze ans.
Carte 2 - la transversale Alpes Atlantique
Une association composée de spécialistes du transport, de collectivités territoriales et de citoyens s'est constituée depuis une dizaine d'années : l'ALTRO (Association logistique Transport Ouest). Elle propose "un projet pour façonner le réseau de transport régional, national et européen du troisième millénaire". Elle tente d'apporter une réponse à toutes les exigences de mobilité, d'échanges et d'interdépendance entre les hommes et les territoires à l'échelle nationale et européenne.
Elle s'est fixée trois objectifs.
L'ALTRO, avec son projet de Transversale Alpes-Atlantique (T.A.A) dessine un aménagement du territoire équilibré. Il drainera les régions aujourd'hui délaissées tout en se libérant de l'attraction systématique de Paris et en désengorgeant les axes surchargés du Rhin-Rhône et de la façade méditerranéenne. Il intégrera les activités du transport maritime de l'Arc atlantique dans le futur réseau trans-européen.
Avec ce projet ambitieux l'ALTRO privilégie l'interdépendance des territoires. Elle rejette le principe de leur compétitivité, tel qu'il est aujourd'hui programmé par l'ex-DATAR devenue depuis le 1er janvier 2006 : la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). La carte n° 1 parue dans le journal Le Monde du 30 mars 2006 est une parfaite illustration de l'absurdité de cette prétendue compétitivité.
Le futur réseau transeuropéen laboure les mêmes sillons déjà surchargés : la côte méditerranéenne et le couloir rhodanien jusqu’à l’Europe du Nord via Paris ou Luxembourg. Le grand ouest, une fois de plus, est laissé de côté.
Regardons de plus près le tracé de cette TAA dans notre espace hexagonal. Il sera constitué par une liaison ferroviaire à grande vitesse qui reliera l'Océan aux Alpes (voir la carte n° 2). A cet axe ferroviaire transversal seront connectées des liaisons à grande vitesse en provenance de tous les grands ports de la façade atlantique. Celles-ci convergeront par Angoulême ou Poitiers - déjà reliée à Paris - sur Limoges. De là, la TAA traversera le Massif Central pour rejoindre Lyon par Clermont-Ferrand. Limoges et Lyon seront les pôles convergents et les plaques tournantes de cette colonne vertébrale de l'Europe des transports ferroviaires (voir la. carte n° 3). Toutes ces lignes à grande vitesse seront empruntées par les trains de voyageurs ou de marchandises.
Carte 1 Le futur réseau ferré transeuropéen - Carte 3 La transversale Alpes Atlantique dans le corridor Lisbonne-Kiev
Les concepteurs de cette nouvelle infrastructure de communication, tous spécialistes reconnus de la logistique du transport, travaillent depuis longtemps sur cette ébauche. Ils l'ont présentée dans un ouvrage très technique publié en 2000. Ils y développent les multiples interactions de la TAA avec le réseau ferré déjà existant et toute la chaîne du transport des marchandises à courte, moyenne et longue distance. Ils sont conscients que parmi les solutions projetées en 2000 quelques unes sont déjà obsolètes. Représentants de la société civile, ils osent ouvrir un débat sur l'aménagement du territoire, jamais encore réalisé à cette échelle européenne. Ils entendent le mener à son terme. Aussi ont-ils confié à un cabinet d'études spécialisé une pré étude fonctionnelle pour sa réalisation d'ici à vingt ans.
Lancée au mois de mai 2006, des premiers résultats interviendront en novembre. Elle sera terminée pour la fin 2007, début 2008. S'ils sont déjà assurés de la moitié du financement, le concours financier des régions des départements, des collectivités urbaines et des chambres consulaires leur est impérativement indispensable pour terminer l'étude. Ainsi en Limousin, le président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de la Haute-Vienne et le député maire président de l'Agglomération de Limoges se sont déclarés en faveur du projet dans les colonnes de l'Echo du Centre du 30 mai dernier. A l'inverse, toujours dans ce même quotidien, la Région, par la voix du vice-président de la Région refuse de s'engager. Il exprime une certaine défiance à l'égard d'un projet mené par une association ! Et sa fixation sur le train pendulaire est quelque peu restrictive. Dans sa projection de l'avenir, il ne voit pas beaucoup plus loin que la haie de son jardin. Comme "il a d'autres chats à fouetter" il n'a peut-être pas pris le temps de lire le projet ALTRO. Celui-ci inclue bien entendu le projet de TGV pendulaire, et souhaite sa réalisation à court terme. Mais la liaison pendulaire Paris-Toulouse ne fait guère progresser le débat sur l'aménagement du territoire, encore une fois il l'enferme dans le centralisme parisien.
Nos inventeurs de la TAA nous assurent cependant qu'elle peut se réaliser dans les vingt cinq prochaines années. Il y a donc urgence à se mobiliser pour booster les élus à s'engager dans cette réflexion prospective. L'urgence est d'autant plus vive qu'un rapport réalisé par des experts suisses révèle une dégradation alarmante du réseau ferré français par manque d'entretien. Les usagers l'observent tous les jours avec l'accumulation des retards et l'augmentation des temps de parcours, à l'exception des lignes TGV. Comme la Poste ou les Hôpitaux, Gaz de France et demain EDF, la SNCF est entraînée dans le tourbillon de la privatisation libérale. En se défaussant sur les régions pour la gestion des lignes Corail interrégionales l'Etat tend à se dégager du service public du rail. Là encore il est sous la tutelle du lobby des transports routiers qui le pousse à la construction de nouvelles autoroutes. Dans le scandale des rémunérations des patrons des grandes entreprises du MEDEF on a bien remarqué les appétits luxuriants du groupe Vinci, le spécialiste de la construction et de la concession des parkings et des autoroutes. Avec l'aimable complicité des barons adoubés de l'appareil de l'Etat, il vient de se porter acquéreur de la Société des autoroutes du Sud de la France (ASF). L'intermodalité des transports des voyageurs et des marchandises autour du rail est une alternative à la croissance du trafic routier et au surenchérissement des ressources énergétiques. Les liaisons à grande vitesse à l'échelle de l'Europe sont aussi une alternance au trafic aérien continental. Or elles exigent l'électrification de tout le réseau ferré ; et de plus, les motrices de ces rames ferroviaires sont très dispendieuses en énergie. Les promoteurs de la TAA restent très discrets sur ce chapitre. Il est vrai qu'ils sont des fidèles représentants de la culture technocratique formidable propulseur de mobilité. Elle exige toujours la plus grande vitesse et la plus courte durée pour tout déplacement.
C'est la tyrannie de l'immédiateté, l'un des moteurs de l'économie libérale. Celle qui pense et organise le marché à l'échelle de la mondialisation, de tout le marché : affaires, voyages, vacances, fret …et rien que le marché, celui qui nourrit le CAC 40 et ses actionnaires. Mais avec l'obligation d'entrer dans l'ère de la restriction dans la consommation des ressources, ils seront nécessairement appelés à inventer des motrices moins gourmandes en carburant et fonctionnant avec des sources d'énergie alternatives. Comme dans le transport maritime ou aérien intercontinental la voie demeure grande ouverte à la recherche et à l'invention. Déjà des navires, des dirigeables et des avions gros porteurs fonctionnent, à titre expérimental, en système multi-énergie : solaire, éolien …
La TAA avec ses ramifications inter-régionales répond au double défi du désenclavement du territoire et des exigences environnementales. L'emprise spatiale d'une infrastructure ferroviaire est beaucoup plus limitée que celle des ouvrages autoroutiers et s'intègre quand même mieux dans l'environnement. Le débat reste totalement ouvert pour toutes suggestions nouvelles. Notamment celles qui contribuent à réduire les gaz à effet de serre et leur incidence sur le changement climatique. C'est pour demain, apprendre à voyager et transporter autrement.
Alain Carof