Se'n fot be mau, la terra !
Se 'n fot be mau d'aqueu qui semna, e d'aqueu qui culhis. D'aqueu qui n'empòrta la grana coma dau meissonier.
Se'n fot be mau d'aqueu qui la laurada, e d'aqueu qui li a marcat sos pas sus lo flanc,
d'aqueu qu'espera la frucha mai d'aqueu qui la minja.
Se'n fot be mau !
Siaja tu, siaja ieu, que quò li fai, la terra ?
Un qui la finca, un qui la nafra, lo levam de la grana, e la raiç que la mòrd,
lo fum de la vita mai lo sang de la mòrt.
Que pòrte las romegs, que pòrte l'espija, lo chasne ò be la font, la maison ò be la viá,
e lo rainard ò be la vacha. Que quò li fai !Tant de perfum dins l'espina, tant de marmus dins las leunas,
lo rossinhòl ò be la graula. Podes venir o te'n tornar, que quò li fai, la furmic ò be l'ajaça.
Se duebre, se barra. Se cuebre de flors. Se sarra. E tu dessus, e ieu dejos, que quò li balha ?
L'amor dessus, la mòrt dejos, que la trabalha ?
E tu qui te'n tornas, mais ieu, lo jorn ò be l'estiala.
Elle s'en fout, la terre !
Elle s'en fout de celui qui sème, et de celui qui cueille. De celui qui emporte le grain comme du moissonneur.
Elle s'en fout de celui qui l'a labourée, de celui qui lui a marqué ses pas sur le flanc,
de celui qui attend les fruits comme de celui qui les mange.
Elle s'en fout.
Que ce soit toi, que ce soit moi, qu'est-ce que cela lui fait, la terre ?
Un qui la flatte, un qui la blesse, le levain de la graine, et la racine qui la mord,
la fumée de la vie et le sang de la mort.
Qu'elle porte la ronce, qu'elle porte l'épi, le chêne ou la fontaine, la maison ou le chemin,
ou le renard ou bien la vache. Qu'est-ce que ça lui fait ! Tant de parfum dans l'épine, tant de murmures dans le lierre,
le rossignol ou le corbeau. Tu peux venir, et repartir, qu'est-ce que cela lui fait, la fourmi ou la pie.
Elle s'ouvre, elle se ferme. Elle se couvre de fleurs. Elle se serre. Et toi dessus, et moi dessous, qu'est-ce que cela lui donne ?
L'amour dessus, la mort dessous, qu'est-ce qui la travaille ?
Et toi, que tu repartes, et moi, le jour ou l'étoile.
Paraulas per questa terra (tome 3)
Moi qui voulais être les arbres, dans le souffle puissant de la pluie et le balancement des branches au soleil.
Moi qui voulais être les prés, longuement mûrissants de tous les parfums de leurs herbes.
Moi qui pensais être la terre sombre et toute ruisselante d'eaux, grosse de la germination des graines et pleine de racines.
Qui croyais être ce pays, dans ma bouche avec ma parole. Qui croyais être ce que sont les arbres, les moissons, le sol.
Et qu'en moi s'accomplît le cycle des saisons, la pesanteur des roches et des plantes, l'engrangement et les semailles.
Le poids des bêtes chaudes, et la profonde respiration des plumes et des pelages, la coulée de la sève et du sang ; le sommeil.
Moi qui croyais être le nom de ce pays sauvage. Planté dans l'épaisseur du sol entre la source et la montagne.
Moi qui meurs lentement comme meurent les arbres, et qui m'arracherai, branche après branche.
Moi qui meurs comme meurent les pierres, mûres de l'air brûlant qui vont à l'eau dormante.
Moi qui meurs sans mémoire et qui n'étais que l'ombre d'une ombre et le murmure d'un frémissement.
14 mars 1969