Depuis 1991 que le Centre international d’art et du paysage de l’île de Vassivière existe, j’ai pu voir l’évolution du parc de sculptures ainsi que toutes les expositions. Celle de cet hiver proposait de voir le bâtiment vide ou presque.
Avec un regard naturellement porté sur les œuvres, et à cause du trop grand nombre d’expositions de vidéos, j’en avais presque oublié cette architecture. C’est donc avec grand intérêt que je me suis précipitée pour cette expérience. Cependant, il est difficile d’exprimer de manière objective le désarroi ressenti face au délabrement du lieu. En effet, la plupart des murs sont abîmés par des infiltrations d’eau, de nombreuses vitres sont fêlées... Dans la tour, les murs suintaient de toutes parts la pluie qui tombait dru le jour de ma visite, et le sol de granite était une véritable pataugeoire. Ce bâtiment a pris un sacré coup de vieux et tout laisse à croire que ce problème n’est pas au cœur des préoccupations du moment. Du coup, les grands discours sur cette construction, si élogieux et récurrents ces dernières années, sonnent étrangement faux. Et je me demande si cette non-exposition « focus sur l’architecture » dans un lieu en si piteux état ne ressortirait pas plus d’un délire narcissique que d’une réelle envie de nous montrer quoi que ce soit !
Lors de cette visite hivernale, j’ai aussi été frappée par les puissants courants d’air émanant des portes et fenêtres. Ce bâtiment est devenu un gouffre énergétique sans fond et je serais curieuse de connaître le coût du chauffage. Cependant, ce sujet semble être pris en considération par la direction, car l’artiste exposée ce printemps et jusqu’à l’automne prochain fut lauréate du Prix COAL en 2016 – le Prix COAL Art et Environnement est le rendez-vous international des artistes plasticiens qui s’emparent des questions d’écologie et contribuent par la création à la construction d’un monde durable. Tout va bien alors ? Non. Tout cela n’est que bouffonnerie ! L’extravagante scénographie qui entoure les vidéos de l’exposition affirme au contraire la non-intégration de la problématique des déchets dans l’art contemporain
Sur le chemin du retour, je suis passée revoir une œuvre installée sur l’eau en automne 2011, simple et plutôt drôle (c’est assez rare). Bref, une forme d’art qui se passe des discours institutionnels et laxatifs habituels... L’illusion poétique procurée par ce « sous-marin » fonctionnait parfaitement. Malheureusement, cette œuvre semble aussi souffrir d’une absence totale d’entretien. Les tempêtes l’ont complètement déformé, il n’a plus d’allure. En huit ans, le gel et le soleil ont bien fini par dégrader la bâche qui constitue sa coque et des particules de plastique doivent se répandre en grand nombre dans le lac maintenant.
Mais que les poissons se rassurent, ils peuvent consulter la Charte paysagère du pays de Vassivière, « Boire l’eau du lac» à la librairie du Centre d’art ! À l’image de la tour souvent représentée comme emblème de l’île, cette œuvre se trouve sur de nombreuses brochures touristiques du lac, en photo ou dessinée et même sur le site internet du lac de Vassivière. Le contraste entre rêve et réalité est assez fâcheux. On vous vend du rêve, mais ce n’est pas nouveau...
Bref, quelque peu en colère, mais le dépliant « Vassivière Utopia » en main, j’ai pris la route pour voir enfin cela. Depuis deux ans de suite, et une troisième salve est prévue cet été, des paysagistes et architectes sont parachutés sur l’île pour une résidence et « intervenir » dans les communes proches du lac. Je cite : « […] pour tenter d’insuffler de nouvelles expérimentations et des approches sensibles, pour proposer avec les habitant.e.s un regard autre sur le paysage et chercher les moyens d’articuler art et société. » Et hop, un petit coup d’ingérence culturelle assez mal dissimulé.
Décidée à faire ce tour avec un trajet réfléchi en terme de distances plutôt que dans l’ordre calendaire de réalisation des œuvres, je me suis rendu compte au fur et à mesure des visites qu’il y avait deux couleurs de signalisation. Mais oui ! La session 2018 est signalée en jaune et celle de 2019 en bleu ! Quelle idée saugrenue ! Heureusement que le balisage des sentiers de grande randonnée ne change pas de couleur chaque année ! Par contre, peu importe la teinte, les textes accompagnant les « œuvres » restent fidèles au style pompeux de rigueur.
Passé ce détail chromatique, et hormis le travail effectué sur la commune de Saint-Martin-Château, on voit assez vite que la plupart des actions menées n’ont pas vraiment fait l’objet d’études sérieuses des lieux, ni de réelles concertations avec les riverains. En substance, sur la commune d’Eymoutiers, l’œuvre s’est vue affublée après coup d’un filet anti-chute. Son propos est littéralement travesti.
Pour la commune de Peyrat-le-Château, au lieu-dit Quenouille, alors que le moindre déplacement de cailloux serait presque soumis à une intervention de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives), le Centre d’art arrive à imposer son immonde utopie sous la forme béante d’un trou d’obus ! D’après les riverains, l’œuvre n’a pas été terminée, le camion toupie de béton n’ayant pas pu accéder au chantier. L’étroitesse de la route serait en cause. Tant mieux, cela évite finalement une grosse bouse de béton au milieu de la forêt ! Quel fiasco... Mais c’est plutôt sur le bien fondé des choix du jury que je m’interroge que sur la compétence des intervenants. En attendant la nouvelle couleur de signalisation...
À travers le brouillard matinal, il s’élève encore depuis l’âtre de nombreuses chaumières la fumée froide d’âpres discussions sur cette dystopie. Et bien, au-delà des lacs et des rivières du plateau de Millevaches, il semble que l’on commence à entendre le sinistre et néanmoins annonciateur tintement du glas. À bon entendeur, salut !
Marcelle Dulavoir