Le nez près de l'instrument, j'ai pointé mon doigt sur la roue et - aïe - je l'ai touchée… C'était mon premier contact physique avec la vielle, et le début d'une véritable aventure avec cet instrument.
Le père Thomas qui jouait pour le club du troisième âge de Felletin, voyant que je m'intéressais de très près à sa vielle, m'a invité chez lui pour faire plus ample connaissance avec ce bizarre instrument, bien représentatif de la musique traditionnelle. C'est donc au mois d'octobre 1976 que je lui ai rendu visite, plus exactement que je leur ai rendu visite, puisque avec son fils René (à la cornemuse ou à la vielle), ils étaient aussi inséparables dans la vie que dans la musique.
Arrivé en début d'après midi, je ne suis sorti qu'à la nuit tombée, conquis par ce passionné, en me disant tout simplement : "il faut que je trouve une vielle". Et moi qui ne connaissais que quelques bribes de cette musique, je me suis plongé à sa recherche afin de connaître les airs et ceux qui les jouaient, et de conserver cette mémoire collective, lien fort avec le pays qui m'a vu naître. Après avoir trouvé un instrument d'occasion, c'est donc Eugène Thomas, dit "Burette" qui m'a lancé dans ce nouveau monde musical en me léguant les "rengaines" de son répertoire, en m'expliquant les arcanes de la vielle (dont justement on ne doit pas toucher la roue sous peine d'obliger l'instrumentiste à la nettoyer, la recolophaner…).
J'ai voulu apprendre cette musique de la même façon que les anciens, tout simplement de vielle à oreille, sans passer par la partition, aidé quand même par un magnétophone. Eugène m'a donc enregistré les airs qu'il jouait, puisant dans ses réserves pour extraire les plus vieux. Je jouais ainsi depuis trois semaines, me débattant avec "La marche à Compagnon" ou "Le bal de Jugon", persuadé que je détenais un instrument complètement voué à l'oubli et dont presque plus personne ne voulait entendre parler, quand … mes yeux se posent sur une affiche : "stage de vielle", et qui plus est, à Aubusson, à quelques kilomètres de chez moi !
C'était le mouvement folk des années 70 qui passait par là, générant de nombreux stages d'instruments et de danse. Après Aubusson avec Hubert Marcheix, infatigable artisan du renouveau, j'ai fait quelques autres stages, notamment à Confolent. Là, je suis rentré de plain pied dans ce mouvement folk, j'ai rencontré de nombreux musiciens, comme Frédéric Paris, tête de file de la nouvelle génération vielle, Patrick Bouffard qui amènera un très large public au "trad" grâce à ses compositions, intégration réussie de plusieurs styles de musiques.
Parallèlement, j'ai continué mes recherches locales de musiciens (ce qu'on appelle le collectage), des vielleux essentiellement, mais aussi d'autres instrumentistes. Par exemple à Fresselines, j'ai fait la connaissance de Désiré Lacoste, qui n'avait qu'un bras. Il se faisait donc aider par un ami pour tourner la manivelle. (C'est d'ailleurs la deuxième fois que j'entendais parler d'un vielleux handicapé de la sorte. Désiré avait longtemps joué avec un cornemuseux originaire de Subligny, dans l'Indre, un gars bâti en colosse qu'on surnommait "le Costaud". Aussi avaient-ils à leur répertoire un air devenu célèbre en Berry : "le pas d'été du Costaud de Subligny".
Adrien Catinaud habitait à quelques kilomètres de chez moi ; il fut tout heureux de me montrer plusieurs airs que jouait déjà son père, dont la fameuse "scottish à Catinaud", qu'on retrouve dans les Combrailles. Il jouait sur une vielle Tixier de Jenzat, la même que la mienne.
Je peux aussi citer un violoneux de Néoux, Alfred Gasne, qui avait pour moi ceci de commun avec Arsène Courty de Bosroger : il avait relégué le violon dans un placard depuis plus de trente ans, parce que "çà n'intéresse plus personne" ou même qu'ils étaient en butte aux moqueries de leur entourage. Alfred mourait d'envie de ressortir le violon et il disait : "mais il sait bien ce que c'est, lui, c'est un musicien et çà l'intéresse". Tous deux se sont donc remis à travailler d'arrachepied chacun de leur côté, puis je les ai fait rejouer ensemble. Des instants de vrai bonheur…
Alfred m'avait indiqué la façon dont il se souvenait des mélodies, car il n'y avait pas d'enregistreur bien sûr ! En revenant du bal sur son vélo, il sifflait quelques airs tout le long du chemin, et les reprenait sur son violon une fois arrivé à la maison.
J'ai ainsi rencontré pas mal de musiciens, engrangé de nombreux airs traditionnels, et depuis je suis resté fidèle à ce mythique instrument : la vielle à roue.