Proche du Plateau de Millevaches, château d'eau de la France, le site de Vassivière se dessine et se lit à partir du système hydrologique : sources, rivières, tourbières, lacs. La diversité biologique présente se trouve directement liée à ce système, comme la diversité des paysages et celle des usages. Pour cette raison, et parce que la résolution heureuse du paysage dépend de l'eau dans sa forme et dans son aptitude à dispenser la vie, nous avons intitulé l'étude pour la charte paysagère de Vassivière : Boire l'eau du lac.
Cet impératif à lui seul détermine le paysage : sa fabrication, sa gestion et son aspect. Il donne immédiatement les indications nécessaires au juste emplacement des aménagements, à leur nature, à l'entretien des éléments existants, au choix des techniques d'exploitation agricoles et forestières environnantes, à la transformation des équipements actuels dont le fonctionnement porte atteinte à la qualité de l'eau (assainissement) et à l'usage général de l'espace livré au public et, par voie de conséquence, à un nouveau tourisme.
La région de Vassivière ne possède pas les atouts ordinaires des stations touristiques : mer, soleil, neige, monuments historiques ... La nature, ici, s'exprime discrètement quoique de façon remarquable : balance des lumières, douceur et force du relief, diversité des perspectives, des milieux et des êtres. Le lac, source d'attraction, doit permettre d'initier les touristes à cette multiple nature. Transformer le plan d'eau en marina serait condamner le site à sa propre destruction. Révéler l'état de nature propre au site de Vassivière, le donner à comprendre, le valoriser en préservant son mécanisme, instituer un tourisme - ou un mode de résidence - compatible avec cette approche, inviter la population active à participer à cette entreprise : voilà un projet sans équivalent réel sur le territoire français.
Fragment érodé d'un massif ancien, longuement travaillé, occupé dans ses moindres reliefs, le Limousin résulte d'un artifice où la part du territoire humanisé se combine à l'expression de nature pour se présenter à nos yeux comme un espace à la fois sauvage et serein. C'est un paysage domestique.
Que vient-on visiter dans un paysage domestique si ce n'est l'art de la mise en ordre - la domestication - et tout ce qui, en contrepoint, l'anime : le foisonnement, l'imprévisible, la diversité ? Ordonnancement et richesse, deux composantes fondatrices de l'espace dans lequel l'homme prolonge son habitat : le jardin.
Avec quelques autres secteurs heureux du Massif Central, le Limousin partage le privilège d'être regardé par l'étranger - notamment les anglais - comme un jardin. Parfois aussi comme un parc.
L'intention de paysage sur laquelle s'appuie la charte paysagère se réfère donc au jardin, terme incluant d'emblée l'acteur sans lequel un jardin ne saurait exister : le jardinier. Il est tout d'abord nécessaire d'évacuer l'image selon laquelle l'exploitant de nos campagnes deviendrait le jardinier des parisiens en vacances. Les exploitants, majoritairement esclaves des lobbies, n'ont pas l'intention d'être pris en otage, en plus, par une population oisive. Ils ont raison.
Il convient donc de revoir la notion de jardinier en l'adaptant aux nouvelles définitions du jardin. L'avènement écologique désigne la diversité - en nombre et en santé - comme le baromètre des écosystèmes. Il n'est plus concevable d'envisager une réflexion sur le "jardin" sans intégrer l'approche écologique qui, toujours, débouche sur un mode gestionnaire. Le jardinage d'aujourd'hui n'est plus celui d'autrefois, il ne concerne plus seulement l'homme affairé au fleurissement, à la bonne venue des légumes et des fruits, au nettoyage des allées, il concerne celui qui gère sans dégrader, celui qui permet à la diversité de résister, à la vie d'inventer, celui qui perçoit la richesse dans le foisonnement, celui aussi qui ne fait rien, par décision, pour éviter le pire ; celui enfin à qui revient les mesures permettant au "jardin" d'exprimer sa richesse : le gestionnaire, le politique.
Toute région voit ainsi son territoire partagé entre trois "jardiniers" de terrain : l'exploitant, l'aménageur et, de façon plus ou moins expressive, la nature en liberté. Chaque partie est soumise à l'évolution gestionnaire du territoire. C'est pourquoi en dernier ressort le politique a tant d'importance et son choix gestionnaire (s'il n'est pas orienté par les lobbies) apparaît si décisif : l'aspect du jardin en dépend.
Cependant, une région distinctement nommée "jardin", par opposition à d'autres qui ne le sont pas, désigne la masse de ses habitants comme jardiniers et invite quiconque viendrait y séjourner à se comporter comme tel.
A la liste des jardiniers de terrain il faut alors ajouter l'habitant mais aussi le visiteur.
La charte paysagère ne s'adresse pas exclusivement au gestionnaire soucieux de valoriser sa région pour mieux la vendre, mais à la somme des acteurs en place pour comprendre leur région et mieux y vivre. Elle s'adresse aux humains responsables, chacun dans leur secteur, de tel ou tel aspect du territoire et, par voie de conséquence de la qualité générale des espaces. Son respect ou son non-respect détermine directement le pouvoir attractif de l'ensemble paysager, donc de sa capacité à générer un tourisme durable et son économie générale.
Sur le territoire du Limousin la part laissée à la nature seule, en dépit de la forte "expression de nature" qui caractérise cette région, est réduite à des espaces fragmentés de petites dimensions : déprises agricoles, territoires accidentés, délaissés de toutes origines, landes, tourbières, bords de route, lisières, etc. Cependant l'étroitesse de ces lieux, la relative rareté de leur présence au milieu des champs et des forêts exploitées, n'atténue pas - du moins pas encore - la grande valeur paysagère de leurs différents composants et, surtout, la grande richesse biologique des êtres en présence.
Dans l'optique d'un accroissement de la fréquentation de l'arrière-pays de Vassivière il paraît évident que cette diversité est l'atout principal du site, une raison pour s'y rendre tout au long de l'année. Le lac, constamment grandiose, demeure un spectacle douze mois sur douze. Il n'est utilisable, selon les critères du tourisme balnéaire que deux mois par an. Il convient donc de l'intégrer comme atout du paysage, avec, en plus, la possibilité d'en user en période estivale.
Enfin, s'il l'on veut respecter le principe d'un aménagement en accord avec le "développement durable" (concept-valise, ouvert et mystérieux). il convient d'écarter l'habitat du territoire sensible, qui est aussi le fond théâtral permanent du site. Ceci afin de réduire les sources de pollutions visuelles, mécaniques et chimiques, de conserver l'impact attractif du site par son état naturel, fait extrêmement rare autour des lacs européens.
Sur les bords du lac, il faut regarder le renforcement possible des deux pôles d'Auphelle et de Broussa comme une réponse - encore une fois progressive et prudente - à la demande d'accès au lac, avec résidence, sur la base d'une charte paysagère et architecturale concertée. Les propositions visant à établir des lotissements d'un bloc pour atteindre le nombre de lits estimés nécessaire à l'économie touristique de loisirs traditionnels, s'orientent automatiquement contre le projet touristique durable, le seul à notre avis défendable en Europe aujourd'hui.