Qui n’a pas entendu, après s’être plaint de ne pas trouver à se loger sur le plateau de Millevaches, une remarque du genre « Pourtant, il y a plein de maisons vides sur le Plateau ! » ?
Il y a quelques années, une personne ayant repéré une maison inhabitée dans son bourg appelle le propriétaire en région parisienne pour savoir s’il serait prêt à louer son bien. « Ah non ! Vous comprenez, c’est une maison qui vient de mes parents, et puis maintenant je ne suis plus en âge de m’en occuper, ce sont mes enfants qui décideront de ce qu’ils veulent en faire... », explique le propriétaire. Après un petit instant de réflexion, il ajoute : « Mais tout de même, c’est étrange que vous ne trouviez pas à vous loger dans le bourg... Il y a tellement de maisons vides ! »
L’anecdote n’est pas très différente de celle de cette vieille femme qui allait aérer depuis trente ans une maison inhabitée. Au jeune couple qui lui propose de l’occuper moyennant travaux et petit loyer, elle oppose une fin de non recevoir avec un argument de choc : « Vous comprenez, si je m’étais mariée, c’est la maison que j’aurais habitée. »
Et l’histoire de cette autre maison dont le toit s’abîme, les ardoises glissent, les murs se fendillent. La mairie alerte le propriétaire... Il y a danger, péril imminent. Elle le somme de faire quelque chose, un accident pourrait arriver. Résultat : un jour, le propriétaire envoie un bulldozer qui, ni une ni deux, rase le bâtiment.
Dans les années 1970-1980, un château du XIXe siècle avait fait rêver plus d’un.e nouvel.le habitant.e, qui y aurait bien monté, l’un.e une ferme, l’autre un centre équestre. Mais veto du proprio. La belle demeure, perdue au fond des bois, finira par voir sa porte fracturée, ses boiseries dépecées, puis son ardoise s’émietter, sa charpente s’effondrer. Quelques pilleurs de beaux linteaux étaient passés par là... Il ne reste aujourd’hui qu’une ruine. Un pan de mur, une fenêtre vide, un amas de pierres sous une croûte de lierre.
Trois associations repèrent une belle bâtisse dont la toiture vient d’être refaite. Elles y installeraient bien leurs bureaux. Mais le propriétaire, un résident secondaire dont la vie a bifurqué, cherche à en retirer le meilleur prix (il veut au moins récupérer les billes qu’il y a dépensées). Son bien ne vaut pas la moitié de ce qu’il en veut. Sous le panneau « À vendre », un tag rageur est apparu un jour : « À rendre ».
Ailleurs, un groupe d’ami.es tente d’acquérir une maison et le hangar attenant. Amiante dans la toiture, isolation nulle, cloisons à refaire. Le bien ne vaut rien. Les acheteurs sont prêts à le remettre en état, à l’habiter, à le rendre à nouveau vivant. Les propriétaires font monter les enchères avec une hypothétique offre concurrente. Ils s’imaginent détenir une perle immobilière. Maquignons dans l’âme, ils font tout ce qu’ils peuvent pour retirer de l’or d’une poule qui n’est même plus capable de pondre un œuf. Le bâtiment, en attendant, se dégrade...
L’ancien hôtel dépare le haut du bourg. Depuis des années, des privés, la commune, proposent à la famille, absentéiste, de lui racheter le bien. On parle d’en faire un bar, une école, des logements sociaux. Non, le vieux ne veut rien entendre : « Vous en ferez ce que vous voudrez quand je serai mort. » Il finit par décéder. Sa veuve : « Vous en ferez ce que vous voudrez quand je serai morte. » Elle aussi trépasse. Les enfants, qui habitent loin, qui ne savent peut-être même plus à quoi ressemble le vieil hôtel des aïeux, s’imaginent détenir un cinq étoiles sur le plateau de Millevaches. Pas question de céder un tel trésor ! Le toit commence déjà à fuir... La faillite est pour bientôt, mais, en attendant, la friche enlaidit un bourg et bloque des initiatives.
Dans ce village, voilà un jeune qui cherche à agrandir son terrain pour faire du maraîchage. Mais tout est bloqué. Ce qui n’est pas déjà utilisé est gelé : « On veut pas s’embêter avec un locataire », « J’en ferai peut-être quelque chose un jour. » La situation perdure. Le jeune finit par s’en aller ailleurs.
On pourrait, en arpentant les communes de la Montagne limousine, égrener tout un chapelet d’historiettes du genre qui illustrent avec une terrible récurrence comment le sacro-saint principe de propriété peut être handicapant pour un territoire qui accueille plus d’habitant.es que de personnes qui le quittent, des habitant.es qui bien souvent peinent à se loger. Que ce soit en empêchant des personnes de trouver facilement un toit, en gelant un immobilier qui pourrait servir, en laissant se dégrader un patrimoine qui devient vite une verrue dans un village quand ce n’est pas un danger. Des propriétaires, souvent non résidents, organisent inconsciemment le blocage du foncier et l’inertie immobilière. Patrimoine en déshérence, biens vacants, ruines désespérantes... À côté, les résidences secondaires, pimpantes ou tristounettes, se font presque pardonner leurs volets fermés et leurs portes barricadées...
La présence de biens vacants, notamment immobiliers, sur le ban des communes, constitue une réelle épine dans le pied des élu.es. Outre les risques encourus pour la sécurité des personnes, ces biens pèsent sur l’image et l’attractivité des bourgs et villages et donnent un aspect d’abandon qui ne facilite pas la revitalisation des centres-bourgs.
On ne peut rester passifs devant de telles situations. Des collectivités s’y emploient, souvent en rachetant du bâti, en le réhabilitant puis en l’offrant à la location. Cela a un coût qui est souvent important car il faut rajouter au prix d’achat celui de la réhabilitation qui est souvent très élevé. Mais il arrive que la vente soit impossible ou même parfois que le propriétaire ait disparu ! Même si peu de leviers existent pour agir sur de tels blocages, il y en a malgré tout quelques-uns, trop souvent ignorés, encore moins souvent utilisés, que ce soit par méconnaissance, par timidité politique ou par respect exagéré du droit de propriété.
La brochure éditée par le Syndicat de la Montagne limousine vise à donner quelques outils pour dégonder les choses. Il ne s’agit pas d’entrer par effraction (encore que dans certains cas il puisse être légitime de le faire), mais de venir, code en main, loi en tête, se saisir, dans les interstices du droit, des dispositifs et des procédures qui permettent de récupérer des logements vides, des terres en friche ou des maisons inhabitées. L’évolution du droit, notamment au début des années 2000, a donné aux collectivités locales de réels moyens d’agir. Indépendamment de la procédure de péril, qui porte sur des édifices menaçant ruine et présentant un risque pour la sécurité des biens et des personnes, les procédures de déclaration de parcelle en état d’abandon manifeste et d’acquisition de biens sans maître ont ainsi ouvert d’intéressantes perspectives pour les communes. Il existe en effet toute une batterie de dispositifs qui, sans remettre en cause les fondements du droit de propriété, ouvre la possibilité, pour les communes, de remettre en vie un patrimoine en déshérence. Ces outils existent : osons les utiliser !