Cet "acte II de la décentralisation" se présente en l’état actuel sous la forme d’un projet de réforme constitutionnelle présenté en Conseil des Ministres le 16 octobre dernier. Il prévoit :
Ces deux dernières dispositions sont contestées par le Conseil Constitutionnel.
Les débats autour de la décentralisation sont l’occasion pour les différents échelons de collectivités de défendre leur pré-carré. Dans ce jeu, les départements se sentent une fois de plus menacés. Ils sont souvent critiqués pour leur mode de représentation politique qui favorise les espaces ruraux au détriment d’une population majoritairement urbaine et pour les relations qu’entretiennent ses élus avec la population qui tendent à la notabilité. Des questions se posent également sur la pertinence de faire gérer par un corps politique l’aide sociale aujourd’hui dévolue aux départements. Enfin, l’échelon départemental n’est pas toujours ressenti comme le mieux placé pour décider par exemple d’aménagements routiers : la plus value d’une représentation très dépendante d’un électorat de proximité ne favoriserait pas des décisions qui mériteraient parfois des approches plus techniques que politiques. Dans ce contexte, les départements sont très vigilants à leur maintien et à leur autonomie vis à vis notamment des régions dont on pressent que l'avenir sera grand. Cette perspective repose peut être sur des éléments rationnels mais aussi sur des logiques qui restent à vérifier. Il en est ainsi de l’assertion selon laquelle notre actuel premier ministre étant un ancien président de région (Poitou-Charentes), la prédominance des régions serait garantie. Il faut se méfier de ce genre de raccourci et les récentes déclarations de Jean-Pierre Raffarin devant l’Assemblée des Départements de France (ADF) remet en cause une lecture aussi mécanique. Le premier ministre a en effet rassuré les élus départementaux en prenant comme exemple un sujet qui nous est cher et sensible : les pays.
Il est de bon ton de dire que la première loi Pays (dite loi Pasqua, 1995) visait à organiser les territoires ruraux. La loi Voynet (1999) aurait rectifié le tir en étendant la logique d’organisation en pays à l’ensemble du territoire national et en misant sur une organisation des espaces ruraux et urbains au sein de mêmes pays, dont la pertinence reposerait sur une cohérence géographique, humaine et économique (des espaces de vie pour faire simple). Parallèlement à cette extension de la vocation des pays et à sa redéfinition, la loi Voynet a prévu un véritable parcours d’obstacles en 8 étapes pour aboutir à la reconnaissance officielle d’un pays. Ce parcours donne une prédominance au niveau régional pour l’acceptation ou le refus d’un pays. C'est en effet une instance régionale (la Conférence Régionale d’Aménagement du Territoire – CRADT) qui délibère pour qu’un espace soit reconnu comme "pays en périmètre d’étude", puis pour attribuer le label "pays" au périmètre définitif. Cette instance regroupe des élus régionaux et départementaux, des représentants des maires, des instances consulaires, des associations diverses, etc. C'est à l’issue des délibérations de la CRADT que le préfet de région, par un arrêté, reconnaît le pays au stade où il en est : périmètre d’étude ou périmètre définitif.
Dans ce schéma, l’influence des Départements dans le choix des pays "s’arrête" à la production d’un avis indicatif et à une simple participation parmi les nombreux autres acteurs à la CRADT. Cette situation a été jugée insupportable par nos élus départementaux qui, pétris de bonnes intentions, se seraient vus un peu plus présents dans le processus visant à définir les contours et le contenu des projets de pays. Il s’en est suivi 3 types de réaction, parfaitement illustrées en Limousin :
Au regard de ce petit rappel, la position des départements revendiquant l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre est croustillant ! Dans ce contexte l’intervention de Monsieur Raffarin devant l'ADF visait à rassurer sur le fait que les pays seraient bien définis dans le cadre des départements. Parallèlement, ce choix doit permettre de supprimer la CRADT (ce mouvement d’humeur figure dans le carton des réformes prévues par le gouvernement) qui a notamment pour défaut aux yeux des élus départementaux, d’être composée de personnes qui ne sont pas toutes issues du suffrage universel et qui se permettent d’apporter leur avis sur l’organisation du territoire national ! Cela ne vous rappellerait-il pas les "conseils de développement" des pays (voir IPNS n°2) ? Vous savez, ces instances qui doivent être mises en place au niveau local pour construire le projet de territoire et peuvent réunir des représentants professionnels et associatifs, bref une instance qui vient battre en brèche le très fameux et sacro-saint "qui paye, décide".
Au delà de la disparition de la CRADT, les projets de réforme de la politique des pays sont loin d’être très transparents. Est-il d’ailleurs arrêté dans l’esprit de nos responsables nationaux ? Rien n’est moins sûr. On parle ça et là de projets de pays qui ne se fixeraient plus sur une délimitation territoriale mais sur des objectifs. Le pays ne se focaliserait plus sur un territoire (ses frontières) mais sur un projet, et une commune pourrait envisager, selon les objectifs poursuivis, de se rapprocher, à la carte, de tel ou tel pays. L'objectif principal, on l'aura compris, est d'éviter de se crisper sur des contours territoriaux.
Quand le projet de Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin était en phase de finalisation (en 1998), certains se souviennent sûrement des recommandations qu’on nous servait suivant lesquelles il valait mieux attendre l’adoption de la nouvelle loi sur les pays avant de décider quoi que ce soit sur le projet de parc. On risquait, parait-il, d’empêcher les communes d’aller vers tel ou tel pays. La loi est venue. Elle a permis (à la marge -mais on l’oublie vite- et de manière organisée) la double appartenance des communes à un projet de parc et à un pays. Cette disposition nous semble-t-il était davantage prévue pour des cas où la question sur un plan économique était vitale pour des communes et non pour organiser la double mangeoire à subventions (accès aux financements Etat-Région par le biais du parc et par l’intermédiaire du pays = ce qui a fait beaucoup rêver à droite et à gauche).
Bref, la loi Voynet a été un des arguments forts pour attendre de conclure sur le parc. Une fois la loi proclamée, les puristes ont voulu attendre les décrets d’application pour bien mesurer ce qui allait se passer. Les décrets sont intervenus et n’ont apparemment pas conduit les communes à penser leur devenir au sein du parc et/ou des pays de manière différente.
En conclusion, il ne faudrait pas aujourd’hui que les mêmes causes (des incertitudes sur le cadre législatif et réglementaire des pays) produisent les mêmes effets (gel des décisions des communes concernant le projet de parc naturel régional). Et souvenons-nous qu’un projet de parc naturel régional relève de la compétence régionale, étant entendu qu’un parc ne se fait qu’avec l’assentiment, que dis-je, l’adhésion des habitants.
François Plazanet