Le 21 novembre 2020, une centaine de personnes manifestaient devant le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Peyrelevade pour réclamer de la part de Forum Réfugiés, la structure qui gère le lieu, des améliorations concrètes dans l’accueil réservé aux résidents. Un bâtiment infecté par des cafards depuis plusieurs mois, des cuisines sous-équipées et des demandes de la part des résidents qui restent sans réponse... Autant d’éléments qui ont fait réagir. Des résidents nous disent leur quotidien.
Le CADA de Peyrelevade a ouvert ses portes en 2015 à l’initiative de son maire. L’enthousiasme était au rendez-vous, mais très vite des difficultés ont émergé entre les différents acteurs administratifs et associatifs sur les politiques d’accueil et de suivi à long terme des personnes accueillies. Dans le même temps, des habitants des villages alentours et certaines associations se sont engagés dans l’accueil. Le MAS (Montagne accueil solidarité) et la Cimade de Peyrelevade se sont affirmés dans leur mission de suivre les déboutés du droit d’asile et le réseau associatif local a hébergé d’anciens résidents du CADA dans différents villages du Plateau. Des échanges avec la mairie de Peyrelevade et les gérants du CADA ont été initiés, soit par des résidents du CADA, soit par des bénévoles associatifs, sans succès, pour trouver des solutions aux problématiques soulevées par les résidents (manque de transports ou absence de connexion internet par exemple), tant et si bien que les clivages entre les parties en présence n’ont fait que s’accentuer.
Humiliation
Le 10 Juillet 2019, une lettre des résidents, reprenant des demandes essentielles (plus d’équipement dans les cuisines, le wifi et la mise en place de transports), signée par l’ensemble des résidents (moins une personne), a été adressée à Forum Réfugiés qui gère le CADA, ainsi qu’en copie à la mairie. Une démarche qui a été très mal interprétée par le personnel du CADA. Le MAS et le Syndicat de la Montagne limousine ont eu vent de ce courrier et il en découla des échanges difficiles avec la mairie et la direction de Forum Réfugiés mais sans que le nœud du problème, qui reste la situation que vivent les résidents du CADA, ne soit traité. Si la tension est retombée ensuite, la situation n’a cessé de se dégrader, ce qui n’a pas facilité la tâche à la nouvelle directrice arrivée à cette période. Heureusement, le premier confinement s’est passé sans trop de problèmes. Sauf que cet été, le personnel du CADA, face à une invasion prononcée de cafards, a pris l’initiative de rentrer dans les espaces privés des résidents, en leur absence, pour retirer sans sommation meubles et appareils achetés par leurs propres moyens... pour justement pallier le déficit occasionné par la non prise en compte de leurs demandes. Comme le dit un ancien résident, cela a été « une énième humiliation », si l’on considère les propos désobligeants et intimidants tenus par certains membres du personnel à l’endroit des résidents.
Une manifestation et une commission
Une deuxième lettre des résidents a été rédigée le 10 novembre 2020 comprenant 12 points pour l’amélioration des conditions de vie dans le centre. Suite à cette lettre, un contact téléphonique et un courrier de Forum Réfugiés démontraient un manque de volonté évident, y compris de reconnaître la situation réelle et de faire ne serait-ce qu’un pas dans le sens des revendications des résidents. Un courrier spécifique a été par ailleurs envoyé aux services de la Préfecture (DDCSPP) et à L’Agence régionale de santé (ARS) afin de signaler la situation alarmante des conditions de vie dans ce centre. Un appel à manifester devant le CADA a été lancé et a mobilisé une centaine de personnes le 21 novembre. Les prises de parole se sont succédées sans se concentrer sur les vrais problèmes. Le plus triste est que les concernés se sont enfermés dans leurs chambres par peur de représailles, même si quelques-uns ont brandi à travers leurs fenêtres des cartons reprenant leurs demandes. Le samedi 28 novembre, une commission de travail entre des membres du groupe exilés du Syndicat de la Montagne limousine, la mairie de Peyrelevade (et prochainement avec la direction de Forum Réfugiés) s’est réunie une première fois afin de tenter une ultime approche pragmatique. Cette commission devrait se réunir régulièrement afin de voir aboutir les demandes des résidents.
- Un groupe exilés
Un groupe exilés du Syndicat de la Montagne, créé il y a un an autour des différentes problématiques sur les conditions de vie au CADA de Peyrelevade est resté sans activité pendant quelques mois, d’autres espaces liés au soutien aux exilés mobilisant déjà chacun.e. Ce groupe s’est remis en marche activement suite à la nouvelle alerte lancée par des résidents du CADA en novembre. De nombreux sujets sont apparus autour de cette lutte qui vont au-delà de ce CADA et pourraient concerner d’autres groupes de soutien aux exilés (la création de transports pour les centres isolés, la création d’un syndicat de résidents, la création de cellules de suivi psychologique avec interprètes, des gratuiteries de vêtements ou du matériel, des commandes groupées de nourriture venant de loin, etc.). Autant de besoins ou propositions que le groupe exilés pourrait prendre en main et partager ensuite avec tous les groupes locaux...
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- Paroles de résidents
On n’est pas comme des esclaves !
Je suis au CADA depuis 1 an. Je n’ai pas d’aide pour payer la cantine de mes 3 petits enfants à l’école de Peyrelevade. C’est trop cher. Les cafards, il y en a beaucoup, ils viennent surtout la nuit. On m’a donné seulement deux petites caisses en plastique pour stocker ma nourriture. Les responsables ne m’ont pas encore expliqué pour les nouveaux produits contre les cafards. Moi je suis ok pour être relogée 1 ou 2 mois le temps qu’ils mettent les bons produits. Je pense que leurs produits ça va pas marcher. Ils ont fait ça cet été et ça n’a pas marché. On m’a volé un congélateur, un micro-onde, un cuiseur à riz, un fer à repasser, un tapis, une bibliothèque, ça fait presque 100 € tout ça. Quand je suis rentrée dans ma chambre, tout ça avait disparu. On n’est pas là comme des esclaves !
On n’est pas en prison !
On est arrivé il y a 9 mois. Notre chambre elle est très propre, on nettoie tout le temps surtout contre les cafards. Pour internet, on a reçu des codes mais ça n’a jamais marché. Cet été, ils nous ont pris un blinder (10 €), un micro-onde, un fer à repasser, deux meubles... je ne sais plus les prix. Ils nous ont dit : « On va vous rendre l’électroménager après. » Les cafards il y en a beaucoup. Ils arrivent en masse le soir. On ne sait pas à qui s’adresser pour parler de nos conditions de vie, mais personne n’est content ici ! On partage une petite chambre à 2. On nous a donné une petite caisse en plastique pour stocker notre nourriture mais c’est trop petit. Elle fait 60 cm de long, 40 cm de large et 40 cm de hauteur. Le couvercle il se dépose dessus mais il ne se clipse pas. Ça fait longtemps qu’ils ne nous amènent plus faire des courses à Limoges, à cause du confinement, puis des vacances d’été, puis parce que certains résidents ont eu le corona. Pour les courses tu as la pression, ils te disent “tu as 25 minutes ici, puis 40 minutes là“. On est allé discuter et ça a un peu changé. On a dit : « on n’est pas en prison ! » La cuisine, il faut changer la cuisine, c’est le plus important. T’as vu la cuisine ? Et puis on ne peut pas être plus de 2 à la fois. Alors on y va le matin ou le soir. Parfois je dois attendre au moins 2 heures. Et aussi le transport c’est le plus important pour être autonome, pour être plus à l’aise. Et le wifi pour tous ! Et la machine à laver, on ne peut faire une machine qu’une fois par semaine, c’est très chiant. Ici on s’ennuie.
Le CADA il est sale
Je suis ici avec ma fille de 2 ans et demi depuis un an. Il y a beaucoup de cafards, on ne peut déposer la nourriture nulle part. Ils vont dans mes habits, partout. Cet été ils ont pris une machine pour faire à manger pour la petite, j’ai été demandé et ils me l’ont rendue. Le Cada il est sale, il est dégueulasse, il y a plein de cafards partout, ils sortent des murs...
Ça fait deux ans qu’on est là
On est une famille entassée dans deux petites pièces. On n’a aucune activité proposée, rien à faire, on se lève, on mange, on dort. Mon fils avant était heureux, maintenant il est toujours fatigué, triste. Nous sommes très serrés et c’est pas bien pour le moral et la tête d’être en promiscuité, surtout dans un village sans transport, isolé de tout. La seule chose qu’on peut faire c’est d’aller marcher, mais à force on connaît toutes les rues de Peyrelevade ! On voudrait voir améliorer l’installation des cuisines, et plus d’hygiène de tous les résidents, car il n’y a pas de maintenance (…) La chambre inoccupée à côté de chez nous est envahie de cafards, on a dû la nettoyer car ils passaient sous notre porte. Malgré ça, on en a encore partout (…) Pendant l’été on était là, on avait peur quand ils nous ont dit qu’ils allaient venir prendre les choses interdites par le règlement, car vu que ça fait longtemps qu’on est là, on a acheté quelques meubles pour être un peu bien dans cet espace. Ils nous ont pris une étagère en plastique toute neuve (et nous l’ont échangée avec des bacs en plastique qui ferment), un miroir, un petit canapé, un micro-onde et un presse fruits.
Propos enregistrés en novembre 2020