Après les manifestations des 30 mai 2020 (Acte 1), puis du 20 juin 2020 (Acte 2), au cours desquelles des milliers de sans-papiers et leurs soutiens ont réclamé la régularisation des sans-papiers, la fermeture des centres de rétention administrative (CRA) et un logement pour tous, des centaines de sans-papiers sont partis de Marseille, Montpellier, Lille, Le Havre, Rennes ou Strasbourg pour converger sur Paris le 17 octobre 2020 pour un Acte 3. Leur message : une société qui refuse l’égalité des droits aux prétextes de la nationalité, l’origine ou la couleur de la peau, sera de plus en plus gangrenée par le racisme et les violences d’État. Une société qui accepte l’inégalité des droits, la surexploitation, la répression, l’expulsion, l’enfermement des sans-papiers au nom de la crise, sera désarmée face à toutes les attaques sociales.
À 7 h, un bus part de Limoges. Nous étions quarante : des migrants de Limoges et Felletin, des militants d’Eymoutiers, Limoges et alentours, Saint-Pierre-Bellevue et Faux-la-Montagne. Une militante de Limoges a un contact téléphonique avec des organisateurs de la Marche. Elle nous fait le point régulièrement. Nous apprenons ainsi que certains marcheurs sont bloqués, ceux de Rennes entre autres. Juste avant d’entrer dans Paris, nous sommes stoppés par un contrôle de police à un péage. Une douzaine de policiers s’approchent. L’ambiance est tendue. Deux d’entre eux montent dans le bus et exigent la liste des passagers. L’accès est interdit jusqu’à l’Élysée et la place de la Concorde. C’est sur la place de la République, où nous arrivons vers 13 h, que se retrouvent les marcheurs. Nous avons quatre banderoles pour le Limousin. Celle de Chabatz d’entrar attire les regards, elle est beaucoup photographiée. Nous restons groupés et reconnaissables grâce aux 40 « super-masques » en tissu (à base de pochoirs d’empreintes digitales) faits par les couturières du squat de Limoges. Quelques collectifs de sans-papiers sont déjà sur place. Parmi eux, un petit groupe de migrants du Val-de-Marne avec ce slogan : « Migrants soyez régularisés ! » Vers 13h45 arrivent les premiers marcheurs venant de Bretagne, Rouen, Lille (très nombreux avec leur banderole « Les Free-chti »), etc. La place devient vite noire de monde. Tout le monde prend des photos des banderoles. La Marche des solidarités a déposé de nouveau une demande pour le parcours République-Concorde qui a été refusé mercredi soir par la préfecture. À 15 h, le cortège se met en marche. Les forces de police sont considérables. Par plusieurs dizaines, leurs camions remplissent les rues adjacentes. Plus le cortège avance, plus les camions et les policiers se multiplient.
Lancée à l’initiative de 19 collectifs de sans-papiers et de plus de 200 organisations, la demande est tout simplement une demande d’égalité, à laquelle le gouvernement reste sourd, dans un contexte social et sanitaire où les personnes sans-papiers sont souvent parmi les « premières de corvée » au service de secteurs essentiels de la société française, ou à l’inverse, parmi les plus durement frappées par la crise économique, sans aucun filet de protection.
Parmi elles, Francky a marché 27 jours, au rythme de 35 à 40 kilomètres quotidiens. Au début ce fut dur, mais arrivé à Paris, le Marseillais l’assure : « C’était la meilleure expérience de ma vie. » Le quadragénaire a traversé une centaine de villes et n’y a vu que de la solidarité. Comme Baba, parti de Rennes le 3 octobre et qui insiste sur « l’accueil chaleureux reçu partout où l’on est passé ». « Sur la route, ça s’est bien passé, on a été bien accueillis, sauf dans un village où on n’a pas pu dormir et où on a passé la nuit dans la forêt » témoigne Souleymane, Malien de 34 ans, parti le 2 octobre de Strasbourg. Il explique : « Je travaille de temps en temps dans les restaurants, le bâtiment, le nettoyage, avec les papiers de quelqu’un d’autre. Mais on est vraiment fatigués, parce que même pendant le confinement, qui a travaillé ? C’est nous. Et en plus, on est mal payés. » « J’ai 42 ans, plaide Samba, un Sénégalais. Je ne mange pas tous les jours à ma faim parce que je ne peux pas travailler. Il faut que ça change, il faut que le Gouvernement nous écoute. »
Nous sommes stoppés place d’Estienne-d’Orves dans le 9ème arrondissement.
C’est la fin de la manifestation. La foule est considérable. Bien que peu commentée par les médias, la manifestation était d’une ampleur rare : entre 10 000 et 60 000 personnes, selon les estimations. Ce jour-là avec les sans-papiers, comme en son temps au Larzac, on voulait dire : « Un autre monde est possible, un autre monde est nécessaire. »
Via de las Heras