En tant qu’élu d’un territoire rural dont l’une des activités majeures est l’agriculture (1 actif sur 4 est lié à cette activité en Creuse), en tant qu’agriculteur en activité, président du groupement de développement agricole (GDA) d’Aubusson, je me dois de vous faire part d’une autre vision, qui n’est pas uniquement la mienne, mais celle d’une grande majorité au sein de la profession. Ces projets de centrales au sol font débat sur le territoire national. La revue La France agricole a ainsi titré un article sur ce sujet : « Les panneaux de la discorde ! »
L’agriculture française est sans doute la plus diversifiée au monde et ses productions reconnues comme les plus sûres, les meilleures en matière de qualité et de traçabilité. La mission de l’agriculture est de nourrir la population. En France, pendant le confinement, aucun produit de base n’a manqué pour les consommateurs ou pour fournir l’industrie agroalimentaire. Malgré ses atouts, la production agricole nationale baisse tous les ans (de la troisième place mondiale en 2005, nous sommes aujourd’hui à la sixième en exportations de produits agricoles), et, d’après les experts, à partir de 2023 on importera plus qu’on exportera ! L’agriculture française est en souffrance depuis des décennies malgré sa modernisation à la pointe de la technologie et son adaptation constante. Cela reste un métier difficile et peu rémunérateur. Nous sommes de moins en moins nombreux (environ 400 000 aujourd’hui, contre 500 000 il y a 10 ans) et une projection annonce le chiffre de 200 000 pour les années 2030. Les raisons de cette hémorragie sont multiples... Finalement peu nombreux, donc peu représentés, peu défendus et surtout peu entendus, les agriculteurs sont critiqués. L’agriculture serait responsable de tous les maux : pollution, réchauffement climatique, manque d’eau, etc. Nos détracteurs sont nombreux et cet agribashing est croissant. Certes nos pratiques sont perfectibles et bien évidemment nous devons encore travailler pour les améliorer. Une seconde hémorragie lente et incessante est celle de la SAU (Surface agricole utile) : 76 000 hectares disparaissent tous les ans en France, grignotés en partie par l’urbanisation (routes, zones industrielles, artisanales, commerciales...). Par comparaison, cette surface est plus importante que la superficie de notre communauté de communes Creuse Grand Sud. Ce déclin du nombre d’exploitants et de leur outil de travail est une réalité presque invisible, mais c’est la vérité.
Que dire du projet du Marchedieu dans ce contexte ? Il occuperait une vingtaine d’hectares. C’est peu... ou immense, car cela représente environ 30 terrains de foot ! Ce plateau du Marchedieu est magnifique, plat, sans obstacles, ni haie, ni talus, ni partie humide. Il est aujourd’hui cultivé de prairie, luzerne, blé ou maïs. C’est une terre labourable à fort potentiel, une richesse pour la production agricole, une richesse de notre patrimoine, que bon nombre d’agriculteurs creusois rêveraient d’avoir sur leur exploitation ! Le secteur agricole n’est pas opposé à la transition énergétique, au contraire. Le photovoltaïque utilisé sur des toitures a justement permis la modernisation des exploitations par la construction de bâtiments modernes. En revanche, les installations de panneaux photovoltaïques au sol doivent être réservées à des terres non productives, des pentes, des friches industrielles, militaires, des parkings....
Nos dirigeants politiques ont d’ailleurs très tôt interdit ces installations sur des terres classées agricoles par une circulaire du 18 décembre 2009, signée du ministre de l’Écologie. La réglementation de ce type d’installation est également prévue par la loi du 12 juillet 2012, dite Grenelle 2. C’est une évidence, une terre couverte de panneaux, même qu’à 45 %, n’a plus sa capacité de production, plus la possibilité d’être labourée et semée. On nous demande de modifier la classification de ce terrain aujourd’hui classé A (agricole) pour le passer en zone N (naturelle : zone qui tend à préserver un caractère naturel à un site, donc qui préserve les sols agricoles et forestiers). Mais dans une zone N, par dérogation, des constructions « temporaires » ou « démontables » sont possibles ! Ce qui est le cas des panneaux photovoltaïques.
Ceux qui partagent mon point de vue ne sont pas contre le développement économique de notre territoire. Des projets de ce type bien situés ne nous posent aucun problème ! Le poste source EDF situé à proximité du projet est également très proche de la zone industrielle du Mont, environ à 800m. Pourquoi ne pas faire un projet collectif sur cette zone en utilisant toutes les toitures des bâtiments et tous les parkings pour faire des ombrières solaires ? De telles réalisations existent et n’ont aucun impact sur les espaces agricoles. Il y a vingt ans, voire seulement dix ans, personne ne pensait que l’on pourrait manquer d’eau en Creuse. Personne. De la même façon, dans dix ans, nous ne serons plus autosuffisants pour manger. Cette dépendance alimentaire (une de plus !) nous obligera à faire venir des produits, sans traçabilité, avec des transports multiples et donc un impact carbone très négatif. Où sera le bénéfice écologique ?
Ne tombons pas dans le panneau, faisons preuve de bon sens, ne sacrifions pas, au nom de la transition énergétique, des terres à fort potentiel agricole pour produire de l’électricité (et faire de l’argent). Préservons notre sécurité alimentaire et notre agriculture. Réservons ces installations à des zones adaptées, restons cohérents avec notre projet de territoire. Cette période de pandémie devrait être le moment de prioriser les choses indispensables à la vie.
Jacques Tournier
1 Compte-rendu intégral du conseil communautaire du 28 juillet 2020 de Creuse Grand Sud : https://frama.link/9vyYePCG