Dans son discours du 2 octobre 2020, Emmanuel Macron s’attaque brutalement à l’instruction à domicile et aux établissements d’enseignement hors contrat. Il nous dresse un tableau terrifiant d’« enfants totalement hors système […] que l’on retrouve dans des structures très simples : des murs, presque pas de fenêtres, […] des femmes en niqab qui les accueillent ». Il laisse entendre que l’État s’est laissé surprendre et qu’il « se réveille quand le scandale arrive1». Il se dit alors contraint de prendre une décision radicale : interdire l’instruction à domicile sauf pour raisons médicales, et renforcer les contrôles sur les établissements hors contrat.
Nous faisons partie d’un groupe de personnes qui ont créé et fait vivre un collège associatif au début des années 2010 sur la Montagne limousine. Nous pouvons témoigner des contrôles tatillons exercés par l’Éducation nationale sur ce type d’établissement. Un établissement hors contrat ne peut ouvrir qu’après instruction de sa demande par les services de l’Éducation nationale, qui vérifient que les enfants seront en sécurité physique et psychique. La question du risque sectaire est étudiée dès ce moment-là. Des contrôles sont ensuite effectués au moins une fois par an.
Depuis la loi Jules Ferry de 1882, l’instruction est obligatoire. Elle peut se faire dans des établissements publics ou privés, ou au sein de la famille. Les familles qui choisissent l’instruction à domicile le font pour différentes raisons : offrir à leur enfant des méthodes pédagogiques et des rythmes plus favorables, tenir compte de contraintes médicales, adapter l’instruction à des conditions et un rythme familial particuliers, ancrer l’enfant dans la vie familiale et sociale plutôt que de l’envoyer des années durant dans une institution déconnectée de la vie quotidienne. Là encore, les procédures de contrôle par l’Éducation nationale sont strictes. Elles sont du même ordre que pour les établissements hors contrat2. Les outils existent donc pour protéger les enfants. Supprimerait-on toutes les cantines du pays parce qu’il y aurait eu une intoxication alimentaire dans l’une d’elles ?
Monsieur Macron affirme que « chaque mois, des préfets ferment ‘’des écoles’’ car elles ne sont même pas déclarées comme telles, illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux». Dans un article du 4 octobre 2020, le journal Le Monde note pourtant qu’en deux ans, seuls cinq établissements ont été fermés, ce qui tempère singulièrement le bilan alarmiste du Président3. Devant un tel noircissement du tableau, la question se pose de savoir si cette volonté de supprimer ces espaces bénéfiques à des milliers d’enfants sous le prétexte avancé de « lutter contre les séparatismes » ne masque pas plutôt une action planifiée visant à interdire peu à peu toute possibilité d’instruction en dehors de l’Éducation nationale. Il y a un an déjà, l’instruction est devenue obligatoire à partir de l’âge de trois ans, au lieu de six ans auparavant. Quelle instruction obligatoire prétend-on donner à des enfants arrivant à l’école maternelle avec leur doudou, et parfois encore avec leurs couches ?
Monsieur Macron nous éclaire sur les raisons de cet assaut soudain contre des pratiques parfaitement encadrées et qui restent somme toute très marginales : « L’école, c’est le creuset républicain. C’est ce lieu où nous forgeons les consciences pour que les enfants deviennent des citoyens libres et rationnels, pouvant choisir leur vie. L’école doit d’abord inculquer les valeurs de la République. » L’école ne serait donc pas là pour apporter des connaissances, mais pour forger des consciences. Mais la conscience des enfants n’est pas à forger ! Forger, c’est taper sur une matière qu’on a préalablement privée de toute résistance pour lui imprimer sa volonté. C’est tout l’honneur des adultes qui ont des enfants à charge que de les aider à grandir sans toucher à leur conscience. Car ce qui y est imprimé y restera de façon presque indélébile. Souvenons-nous de ce qui était inculqué aux enfants des écoles à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, en référence à la défaite de la France dans la guerre contre la Prusse en 1870 : « Ils nous ont pris l’Alsace et la Lorraine, nous n’aurons de cesse que de les leur reprendre. » Ce sont ces enfants qui, devenus adultes, partiront la fleur au fusil en 1914.
Un des moyens de s’assurer de la conscience des enfants, c’est de maîtriser leur temps autant que leur esprit : horaires de cours rappelant le temps de travail, devoirs à la maison, angoisse de ne pas passer dans la classe supérieure ou de ne pas réussir ses examens, indigestion de « connaissances», méconnaissance de leurs vrais besoins… L’État ne peut le faire que dans le cadre scolaire.
Dans l’expérience du collège associatif que nous avons menée4, nous avons pris soin d’aider les jeunes à bâtir leur autonomie. C’est par la construction de la vie du groupe que nous avons travaillé sur les relations sociales, sur la manière de gérer des conflits. Nous y avons appris ensemble le respect de soi-même et des autres. De même, nous avons eu à cœur de ne pas gaver les enfants de connaissances pour développer en chacun.e le goût d’apprendre et la curiosité pour le monde qui nous entoure. Et nous avons choisi de leur laisser du temps...
Quand notre collège a fermé ses portes pour des raisons qui tenaient au surinvestissement des bénévoles, des personnes chargées de l’orientation des élèves en difficulté au sein de l’Éducation nationale nous ont dit regretter cette fermeture: notre établissement était pour elles une alternative qu’elles pouvaient conseiller à des jeunes pour lesquel.les elles ne voyaient plus de place dans les établissements publics. Alors non, la diversité des propositions éducatives, l’inventivité de nouvelles expériences, la recherche pédagogique ne doivent pas être étouffées au prétexte d’une lutte contre des dévoiements minoritaires. Nous terminerons avec cette citation du discours d’Emmanuel Macron : « La République s’est construite autour de l’école, qui forme plus que des individus, qui élève des citoyens, qui façonne des esprits libres. » A-t-il conscience de l’énormité de cet oxymore ?
Françoise Denevert et Anne Germain