Le 4 décembre 2020, on apprenait que la « ferme des 1000 vaches » dans la Somme cessait sa production de lait le premier janvier 2021. Raison invoquée : l’industriel laitier belge auprès de qui était écoulée toute la production recentrait son activité sur la Belgique. Il semble bien, en fait, que l’opposition résolue qui s’est affirmée contre cet élevage ait réussi à faire entendre le bien-fondé de ses critiques, tant auprès de la population et des élus que devant les tribunaux. On ne peut que se réjouir du communiqué de victoire de Laurent Pinardel, ancien porte-parole national de la Confédération paysanne, qui conclut ainsi cette aventureuse saga industrialo-agricole : « La chute de l’empire 1000 vaches, c’est surtout la faillite d’une logique. Ce projet n’était pas viable et le message qu’il envoyait partout dans les campagnes, “Agrandissez-vous !”, doit immédiatement être lu à cette lumière-là ! »
À Saint-Martial-le-Vieux, ce sont aussi des motifs économiques qui ont conduit les responsables de la SAS à tirer la sonnette d’alarme et à se dire d’humeur morose. Le site creusois, présenté comme exemplaire est victime de la crise qui frappe la filière des jeunes bovins. Le contrat signé avec la Société vitréenne d’Abattage (SVA) Jean Rozé, filiale d’Intermarché, acheteur exclusif de la totalité de la production, prévoyait un prix plancher qui semblait être une garantie pour les producteurs. Au moment de la signature du contrat, les agriculteurs envisageaient même qu’à l’avenir le prix pourrait être supérieur à ce prix plancher. Hélas pour eux, ces belles perspectives se sont évanouies : Jean Rozé rachète toujours les animaux à 3,96 € le kilo, alors que les cours sont tombés autour de 3,50 € et que les coûts de production ont grimpé en flèche et sont de l’ordre de 4,20 €. Ainsi la ferme-usine de Saint-Martial-le-Vieux perd 20 centimes par kilo sur chacun des 1 300 animaux engraissés chaque année. On comprend bien qu’au-delà de ce constat conjoncturel, la SAS va être conduite à demander des subventions pour équilibrer ses comptes, alors que les collectivités locales et l’État ont depuis le début arrosé généreusement ce projet (400 000 euros venus du ministère de la Défense en « compensation » de son retrait partiel du camp de La Courtine). Les agriculteurs vont être contraints de continuer dans une course sans fin... Ou bien, finiront-ils par comprendre que le modèle d’agriculture dont ils sont porteurs, et qui va vers le toujours plus gros, ne correspond plus à la demande en 2021. La crise écologique nous impose d’aller vers une agro-écologie paysanne. Combien d’installations vertueuses de petites unités, combien d’activités de proximité auraient pu être soutenues avec les millions d’euros déversés à Saint-Martial, pour parvenir à un fiasco économique et à la création de... trois emplois ?
Jean-François Pressicaud