Il ne se passe pas une semaine sans que des tags fleurissent sur des piles de bois, voire sur des engins forestiers, dénonçant les coupes rases. Celles-ci sont certes spectaculaires. La puissance des abatteuses est telle que le paysage est modifié en quelques jours entraînant incompréhensions et surprises désagréables, notre quotidien visuel étant bouleversé. Et puis, vient assez rapidement une appropriation du nouveau paysage qui peut apporter de bonnes surprises : des vues renaissent nous permettant d’appréhender le relief, de découvrir des horizons oubliés ; des habitats se créent, les coupes rases constituant un refuge pour certains oiseaux nichant au sol ; très vite, la nature reprend ses droits et les buissons prolifèrent.
Loin de moi, le projet de faire l’apologie de ces coupes mais laissez-moi simplement apporter quelques précisions, sans esprit de polémique. Notre forêt résineuse est récente à l’échelle de la forêt même si elle peut paraître à notre échelle humaine bien vieille. Globalement, elle date des années 1960-1970, période où la société paysanne traditionnelle a fortement reculé libérant de vastes espaces. Nos parents, ont été fortement encouragé à planter par les pouvoirs publics sans posséder de véritable culture forestière. L’implantation des essences a été dictée par les agents de l’administration qui, eux aussi, débutaient. Il était presque interdit de planter des douglas au-dessus de 700 mètres, les altitudes supérieures étant alors réservées à l’épicéa. Nous n’avions aucun conseil concernant les sols, la réserve en eau, la roche mère, l’orientation des versants, etc. Aussi, bien des erreurs ont été commises.
Celles -ci se répercutent sur une longue période. Dans bien des stations, nous sommes obligés de changer d’essences, d’autant que le climat se modifie à une vitesse qui nous dépasse. Ce qui faisait la force du pays de l’arbre et de l’eau est en train de perdre ses avantages, notre climat océanique dégradé étant marqué de plus en plus par des périodes de sécheresse d’été fortes condamnant les essences gourmandes en eau comme la famille des épicéas à racines traçantes ou le sapin Grandis. Les problèmes sanitaires deviennent récurrents : les épicéas sont par endroit scolytés, les Grandis et les sitkas dépérissent vers 40 ou 50 ans.
La coupe rase, tant décriée, est bien souvent la seule solution. La régénération naturelle ne peut être tentée que si les portes-graines sont de qualité et bien souvent si elle n’est pas conduite avec d’infinies précautions, elle produira des arbres branchus de faible qualité.
Il nous faut, dans bien des cas, repartir avec des essences nouvelles, chercher et multiplier les essais : cèdres, Nobilis, sapin de Bornmüller, thuya plicata (le red cédar américain si recherché outre atlantique), tsuga, etc. Tout en n’oubliant pas les contraintes du marché qui imposent toujours un minimum de volume pour valoriser ces bois qui seront travaillés et un jour coupés. Là, il nous faudra trier les différents produits et l’unité est le semi-remorque, c’est-à-dire au moins 50 stères du même produit.
En fait nous retombons toujours sur le douglas. Arbre magnifique, à racines pivotantes, capable de chercher l’eau en profondeur, se régénérant dans notre Limousin dont les caractéristiques climatiques et pédologiques ressemblent à celle de sa vaste aire d’origine. Certains craignent la monoculture de douglas. Rassurons-les : elle n’est pas inscrite dans la nature du Millevaches. Bien des stations lui sont interdites car il craint le gel de printemps et les sols hydromorphes. Un peu de variété ne fait pas de mal et nous pouvons conserver dans les stations de bas de pente, riches en eau, les essences traditionnelles. Surtout, nous disposons d’une deuxième essence prometteuse, les mélèzes dont les variétés nous permettent un complément à nos douglas. Mélèzes et douglas sont des arbres que je qualifierais d’arbres écologiques, car leur duramen – le fameux bois rouge – permet de les utiliser sans traitement, ce qui est un énorme avantage dans un monde où la construction bois est une chance pour la fameuse transition écologique. Le douglas peut peut-être, sans rêver de reconstituer la forêt primitive du nord-ouest américain, nous permettre d’arriver à une forêt gérée sans coupe rase comme dans la forêt de Follins (Morvan). Cela suppose des cours supérieurs à ceux pratiqués en Limousin (ceux-ci ont inférieurs à ceux de l’Est de la France ou de l’Allemagne). Là, avec des arbres de qualité et d’un volume de plusieurs m3, nous pourrions pratiquer cette sylviculture arbre par arbre en régénération naturelle. Mais pour cela il nous faut du temps pour changer nos pratiques. Espérons que le climat nous le donnera.
Christian Beynel