Se prêter à l’analyse des résultats électoraux de sa commune ou de son département est assez courant, surtout autour d’un verre. Après tout, quoi de plus fascinant que de voir exprimées clairement les opinions politiques des personnes qui nous entourent ? La vérité politique éclate parfois de manière douloureuse, parfois étonnante. Ce qui m’a donné envie de rédiger ce petit article, c’est qu’en tombant sur une simple représentation de carte couleur, j’ai vu une tache rouge (c’est-à-dire où Mélenchon est arrivé en tête du 1er tour) située à cheval entre les 3 départements de l’ancienne région Limousin et que cette tâche était visible même à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine, même si ce n’est bien évidemment pas la seule. La Montagne limousine serait-elle une réalité électorale ?
En Limousin, la concentration de bleu macroniste autour de l’agglomération de Limoges semble regarder en miroir une autre concentration rouge mélenchoniste bien établie plus à l’Est. Cette tache rouge, semble d’ailleurs s’étendre vers le Sud en direction de Viam et à l’Est vers Crocq. Est-ce ce fameux Plateau ou Montagne limousine ? Ça pourrait effectivement y ressembler, mais il y a des limites à ne prendre l’angle que du candidat arrivé en tête : cela ne dit pas qui est arrivé second et si l’écart était important. Si l’analyse à partir de ce seul résultat est assez simple à comprendre, elle n’en est pas moins réductrice. Alors jetons un œil plus avisé sur une carte illustrant la répartition du vote mélenchoniste.
La carte 2, indique les communes qui appartiennent au quintile ayant voté le plus pour Mélenchon (vote supérieur à 18,7 %) et à l’inverse, en noir, les communes qui ont voté le moins pour ce dernier (vote inférieur à 11,8 %). Attention, il y a un biais de représentation puisqu’on ne prend en compte que le vote Mélenchon alors qu’il existe d’autres candidats de gauche. Ce type de carte a pour objectif de mettre en avant les communes « extrêmes » dans leur vote.
Il est intéressant de noter la disparition de la tache limougeaude qui, si elle a voté majoritairement pour Macron, n’a pas pour autant boudé complètement Mélenchon. Quant à la tache rouge, à l’Est, si elle se prête à un petit régime, elle est toujours présente. Serait-ce l’apparition d’un « cœur du Plateau » ?
Pour analyser autrement les résultats, abordons la question des deux finalistes par commune, autrement dit les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au 1er tour. Pour que la carte soit plus claire, il n’est pas fait de différence entre le 1er rang et le 2ᵉ rang des binômes, c’est-à-dire qu’une commune qui a en 1er Le Pen et en 2e Mélenchon est rattachée à la même catégorie qu’une commune ayant votée en sens inverse.
Ceux qui ont voté comme au niveau national, avec en premier Macron ou le Pen, et vice-versa pour la seconde place. Pourrait-on dire des communes de droite ? Ceux qui ont voté dans les deux « extrêmes », entre Le Pen et Mélenchon : des endroits où le Gouvernement a été plus sanctionné ?
Ceux qui ont voté d’une manière plus « modérée », entre Macron et Mélenchon.
Le vote standard le plus à droite est celui qui s’est le plus exprimé dans les grandes villes : ce sont les péri-urbains qui ont voté pour Macron et Le Pen. Mais cette catégorie intègre aussi une partie des campagnes comme les Combrailles par exemple. Le cœur des villes lui, est plus variable d’une ville à l’autre.
Si on s’intéresse au reste des territoires, on voit se dessiner des noyaux verts dits
« modérés » entourés le plus souvent d’une couronne de rouge plus extrême mais surtout, au final, une certaine faiblesse du vote macroniste. On voit d’ailleurs se dessiner un Sud du Plateau plus clair et également une autre grande zone à proximité de Tulle.
À l’échelle du Limousin, se dessinent peut-être des mouvements de fond de l’électorat entre deux ruralités différentes, l’une plus proche d’une tradition de gauche et l’autre plus proche du monde péri-urbain. En tout cas, sous l’angle du vote, se dessine bien un territoire particulier celui d’une Montagne limousine qui ne vote pas comme au niveau national. Mais il n’est pas le seul : émergent également le Sud guérétois, les zones autour d’Ambazac et de Blond, en Haute-Vienne, et une bonne partie du département de la Corrèze.
Rémi N’guyen Van
Élection piège à cons ». Cela n’a pas été l’avis des habitants du Plateau dont 77 % se sont exprimés au premier tour de l’élection présidentielle. 5 points de plus qu’au niveau national.
L’ordre d’arrivée est différent : Mélenchon 22,4 %, Macron 20,9 %, Le Pen 20,5 %. C’est surtout Macron qui fait 7 points de moins qu’au niveau national et Le Pen 2,6. L’effet s’accentue pour les blocs : la gauche (Arthaud, Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo, Jadot) est à 34,6 %, plus 2,7 points par rapport au national (uniquement dû au relativement bon score du PC à 5,2%) ; l’extrême-droite (Dupont-Aignan, Le Pen, Zemmour) est à 27,6 %, moins 4,6 points ; rien ne peut être regroupé avec Macron. On peut donc parler d’une région plus à gauche que l’ensemble français. Mais pas de quoi pavoiser.
À noter la moins grande déroute de Pécresse avec 8,9 % (un reste de la Chiraquie corrézienne) et le score de 7,9 % de Lassalle difficile à analyser autrement que par la ruralité du Plateau et qui est probablement un vote très anti-Macron, de droite voire d’extrême-droite.
Mélenchon recule d’1 point, mais il y avait candidature commune FI-PC en 2017. Macron recule de 1,6 point. Le Pen progresse de 3,4 points.
Par blocs, la gauche progresse de 1,8 point, soit à peu près ce que perd Macron ; probablement le retour à gauche d’électeurs égarés en 2017. C’est à droite que les changements sont importants : Pécresse perd presque 10 points par rapport à Fillon ; la moitié au profit de Lassalle et la moitié au profit de l’extrême-droite.
Les changements importants du paysage politique français ne modifient guère les cartes électorales que l’on peut dresser du Plateau. Malgré la quasi-disparition du PS, l’Ouest du plateau reste très à gauche et la carte ressemble à s’y méprendre à celle de 2017 et même à celle de la gauche de la gauche de 2012 (fouillez dans votre collection d’IPNS soigneusement conservée).
La très forte baisse de LR entraîne l’Est et le Nord du Plateau de la droite à l’extrême-droite. Là aussi la carte ressemble beaucoup à celles du FN de 2017 et de 2012. On avait déjà pu constater depuis 2002 que la lente progression du FN ne se faisait qu’au détriment de la droite : les « extrêmes » ne se rejoignent pas et les transferts se font essentiellement par proximité.
Les lecteurs attentifs remarqueront que certaines communes figurant sur la carte de la gauche se retrouvent également sur celle de l’extrême-droite (Bujaleuf, Saint-Moreil, Saint-Pardoux-Morterolle, Felletin, Gourdon-Murat, etc.).
Quant à Macron, les quelques bons scores obtenus ne dégagent pas une géographie spécifique.
Les suffrages exprimés s’effondrent de 77 % à 64,4 %. Moins 12 points et demi. Deux fois plus qu’au niveau national où ils passent de 72 % à 66 %. Au final, Macron ne l’emporte que dans un rapport 55 %/45 % au second tour (58,5 %/41,5 % au niveau national).
Parmi les électeurs qui n’avaient voté ni Macron ni extrême-droite au premier tour, 1 Sur 3 ne s’est pas exprimé au second, presque 1 sur 2 a voté Macron et presque 1 sur 5 a voté Le Pen. On est tenté de penser que l’électorat Lassalle, très anti-macroniste, qui représente presque 1 électeur sur 6 des ni Macron ni extrême-droite au 1er tour, explique une bonne partie de la progression de Le Pen au second. En 2017, une seule commune, Le-Monteil-au-Vicomte, avait donné la majorité à Le Pen au second tour. En 2022, c’est 34 communes dont la cartographie reproduit en modèle réduit la forte implantation de l’extrême-droite à l’Est et au Nord du Plateau constatée au premier tour.
Christian Vaillant